Selon le théologien Amos Yong, l’Eglise doit discerner les dons que l’Esprit accorde aux handicapés

jeudi 08 février 2018

Le frère d’Amos Yong est trisomique. L’expérience familiale de ce théologien pentecôtiste l’a poussé à réfléchir à la condition des handicapés dans l’Eglise et dans le monde. Amos Yong a publié plusieurs ouvrages sur ce sujet (1). Alors qu’il se trouvait à Fribourg en juin dernier pour la rencontre internationale « Viens, Esprit Saint », Serge Carrel l’a rencontré.

Comment vos parents ont-ils réagi à la naissance de votre frère Mark ?

Mark est né quand j’avais 9 ans. Les deux premières années de notre vie ensemble ont été marquées par beaucoup de peine et de tristesse. Mes parents exercent un ministère pastoral dans une Eglise pentecôtiste. C’était au milieu des années 70. Leur première question était : « Que se passe-t-il, Seigneur ? Nous pensions que nous t’avions donné notre vie… » Suite à la naissance de Mark, nous avons eu des rencontres de prière 24 heures sur 24. Nous demandions à Dieu de le guérir et cette prière incluait le fait que mon frère, qui avait 6 doigts à une main, devait perdre ce doigt. La langue qui pendait constamment de sa bouche devait aussi revenir à sa place…

Pendant deux ans, nous avons prié comme cela. Nous avons pleuré devant le Seigneur pour qu’il guérisse Mark. Dieu l’a guéri, mais pas comme nous le demandions ! Il l’a guéri d’une leucémie, d’une pneumonie… Au travers d’une opération cardiaque, il a aussi guéri son coeur… Actuellement, Mark a 41 ans. Il est toujours atteint de trisomie 21 et il est en vie !

Aujourd’hui, quand j’entends ma mère donner son témoignage, elle ne dit plus que Dieu a guéri Mark. Elle affirme que Dieu nous a guéris en tant que famille. Il a utilisé Mark pour guérir notre propre aveuglement, nos incapacités, notre perception étroite de l’Evangile. Il l’utilise aussi pour que nous tissions des relations avec des travailleurs sociaux, avec ses médecins, avec ses enseignants…

Vous avez consacré une partie de votre travail de réflexion biblique et théologique au handicap. Qu’en avez-vous retiré ?

Dans le milieu pentecôtiste de mon enfance, nous avions très peu de ressources théologiques pour aborder la question du handicap et pour le comprendre. Alors que je développais ma réflexion, j’ai perçu que nous pouvons appréhender la Révélation de Dieu d’une manière nouvelle, en « utilisant comme lunettes » la condition d’handicapé de mon frère.

Qu’avez-vous découvert dans la Bible ?

Par exemple dans 1 Corinthiens 12, Paul parle du corps du Christ, l’Eglise, et des membres du corps. Il souligne que ceux qui ont l’apparence d’être faibles sont, dans le même temps, des membres indispensables du corps. S’ils sont guéris, sont-ils encore indispensables ? C’est donc dans cette apparente faiblesse à assumer que les Corinthiens découvriront la véritable sagesse.

Tout au long de cette épître, la puissance de Dieu se révèle non dans la sagesse, mais dans la folie, non dans la force, mais dans la faiblesse, non dans la vie de ceux qui ont, mais dans celle de ceux qui n’ont pas… Les personnes handicapées ont toujours été marginalisées, socialement et économiquement. Ce renversement de perspective donne aux handicapés énormément de valeur.

Le chapitre de 1 Corinthiens 12 intervient au milieu d’une discussion autour du corps du Christ dont tous les membres sont dotés du Saint-Esprit. Dans mon Eglise pentecôtiste, les dons sont envisagés à partir de la perspective des Corinthiens : les charismes sont donnés aux forts, à ceux qui ont ! L’apôtre Paul, lui, souligne que ceux qui sont les plus faibles ont aussi des dons. Cette perspective m’a aidé à apprécier de manière nouvelle les handicapés. Une véritable réflexion sur les charismes inclut les handicapés et ne saurait les exclure !

Y a-t-il dans la Bible d’autres textes inclusifs, d’autres textes qui ménagent une place aux handicapés ?

Un autre récit extrêmement fort est celui de la Pentecôte dans Actes 2. Tous reçoivent l’Esprit ! Les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux, ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, les esclaves et les hommes libres… Personne n’est exclu ! Chacun a la possibilité d’être touché par l’Esprit dans sa vie, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, quelles que soient ses circonstances de vie… C’est toujours le message de l’Evangile aujourd’hui !

Pensez-vous que les Eglises ont vraiment réalisé le potentiel de changement d’un récit comme Actes 2 ?

Une partie de ma vocation est d’être aussi pentecôtiste que je le peux dans ma théologie. Peut-être qu’une dimension de mon appel est de vivre plus intensément ce message de l’Ecriture qui appartient à toutes les Eglises et pas seulement aux Eglises pentecôtistes !

Pratiquement, votre frère exerce-t-il des dons de l’Esprit ?

Alors pas dans le sens pentecôtiste classique et selon sa liste de dons fermée, mais néanmoins mon frère exerce des dons de l’Esprit. Dans son Eglise, il fait partie de l’équipe d’accueil. Il fait partie d’un groupe de personnes qui prient pour les autres dans les temps de prière. Il a aussi développé des compétences dans la louange. Il n’est pas devant pour conduire, mais, à sa place, il joue un rôle très important dans le corps local du Christ pour impliquer les participants dans la louange au Seigneur.

Que pourraient faire les Eglises pour être davantage inclusives ?

Pratiquement, la chose la plus importante que nous pouvons faire, c’est de devenir amis des personnes handicapées. C’est un appel ! Souvent nous essayons de devenir amis de gens qui sont comme nous, qui parlent la même langue, qui partagent les mêmes intérêts que nous, afin de pouvoir partager nos loisirs avec eux. Souvent, les personnes avec un handicap sont très différentes, le défi de devenir amis avec elles est très réel. Il peut même y avoir des difficultés en matière de communication.

Dans ce contexte, une réelle amitié nous permet de percevoir qu’il y a une humanité commune, qu’il y a une véritable « koinonia » (communion) – comme on dit dans le Nouveau Testament – qui peut exister. Devenir amis nous sensibilise et nous permet d’être enseignés et même guéris ! Souvent nous pensons que les personnes handicapées ont besoin de guérison, mais la plupart du temps c’est nous qui avons besoin de cette amitié dans notre propre chemin de sanctification et de réveil… Dieu utilise nos amitiés pour nous défier et pour aller plus profondément dans la guérison de nous-mêmes, pour guérir notre égoïsme et le fait que nous ne soyons intéressés que par notre moi.

Voyez-vous d’autres choses que les Eglises pourraient mettre en place pour davantage intégrer et prendre soin des personnes handicapées ?

Le récit de la Pentecôte dans Actes 2 est intéressant, parce qu’il raconte comment, alors que les premiers chrétiens ont répondu à la Parole de Dieu, ils ont commencé à partager et à avoir tout en commun. Cela continue à être un idéal évangélique. Dans l’évangile de Jean, Jésus dit : « Si vous avez de l’amour les uns pour les autres, tous sauront que vous êtes mes disciples » (Jean 14.35). Cet amour est exprimé de manière tangible dans le fait qu’aux origines de l’Eglise on prenait soin les uns des autres.

Les communautés de l’Arche fondées par Jean Vanier donnent un bel exemple de ce que peut générer la communion du Saint-Esprit. Dans ces communautés particulières, des personnes handicapées vivent avec des « bien portants ». Du point de vue des convictions, il y a des catholiques, mais certains ne le sont pas. Il y a même des non-chrétiens qui prennent part à la vie de ces communautés. Cette communion mystérieuse, cette « koinonia », exprime la personne de Jésus par le fait que les uns prennent soin des autres…

Une telle démarche donne une ouverture sur ce qu’est le Royaume de Dieu. Prendre soin les uns des autres représente l’amour du Christ qui se donne sur la croix. Le dépouillement du Christ – la « kénose » pour reprendre un terme théologique – résonne alors comme une invitation à nous dépouiller nous-mêmes en faveur des uns et des autres.

Propos recueillis par Serge Carrel

Note
1 Voir notamment : Amos Yong, The Bible, Disability, and the Church, A New Vision of the People of God, Eerdmanns, Gran Rapid/Cambridge, 2011, 162 p.
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