Genève : les croix huguenotes interdites au cou des élus, tout comme les baptêmes au bord du lac !

Serge Carrel jeudi 31 janvier 2019 icon-comments 1

Le 10 février, les Genevois voteront sur la Loi sur la laïcité de l’Etat. Michael Mutzner, secrétaire général adjoint du Réseau évangélique suisse (RES), s’est impliqué dans ce débat. Genevois de par son domicile, il détaille les faiblesses et les forces de cette nouvelle loi, alors que le Réseau évangélique de Genève n’a pas donné de consigne de vote. Interview.

Comment le Réseau évangélique genevois (REG) se positionne-t-il par rapport à la Loi sur la laïcité de l’Etat ?

Le REG ne donne pas de consigne de vote, parce qu’il estime que cette loi comporte un certain nombre d’éléments positifs et qu’elle est nécessaire. Mais il y a deux sujets en contradiction avec la liberté religieuse. Raison pour laquelle, le REG a d’ailleurs lancé un recours devant la Cour constitutionnelle genevoise.

Le premier objet à propos duquel vous émettez des réserves, ce sont les restrictions par rapport au personnel de l’Etat et aux élus qui ne pourront plus afficher de signes religieux. Qu’est-ce qui vous gêne ?

Il y a ici plusieurs groupes concernés : les fonctionnaires, les représentants de l’Etat et même les élus représentant le peuple dans des organes législatifs communaux ou cantonaux. Ces groupes de personnes n’auront pas le droit d’afficher de signes religieux. Pour les deux premiers groupes, ils n’auront pas non plus le droit d’indiquer par des propos leur appartenance religieuse, quand ils sont en contact avec le public.

Pour un enseignant ou un élu réformé ou évangélique, interdiction d’afficher une croix huguenote à son cou quand il est en contact avec le public ?

Oui peut-être, en tout cas la loi ne prévoit pas d’exceptions et pose une interdiction générale qui laisse place à peu de marge de manœuvre, même si le règlement d’application permettra peut-être de distinguer par exemple entre les différents signes religieux, plus ou moins ostentatoires. Que la loi exige de la part des représentants de l’Etat d’accomplir leur service de manière neutre est tout à fait normal. Mais leur demander d’être neutre, de ne rien dire de leur identité confessionnelle ou de ne rien en montrer, ça va trop loin et porte atteinte à la liberté religieuse.

Comment en est-on arrivé là ?

Le fait pour des élus de ne pas pouvoir afficher les raisons de leur engagement n’est pas une avancée pour la démocratie. A mon sens, cela n’a pas été suffisamment réfléchi. On a voulu cibler l’islam et interdire le port du voile dans les séances de législatifs. Certains ont voulu éviter qu’un parti musulman puisse un jour s’afficher dans les débats démocratiques, mais, à mon avis, ce n’est pas la bonne manière de gérer une telle question.

La loi interdit aussi au membre d’un exécutif d’exprimer son appartenance religieuse. C’est vraiment étonnant. Si un élu a un enracinement dans des convictions religieuses, c’est dans l’intérêt du public de connaître ce qui motive son action. S’il fait partie d’un parti confessionnel d’autant plus !

Il y a un autre élément négatif, celui des manifestations religieuses dites cultuelles qui sont interdites sur le domaine public. Pourquoi vos réserves à ce propos ?

Il n’y a pas de raison de justifier une séparation entre les événements cultuels et les non cultuels. Une telle distinction est arbitraire et contraire à la liberté religieuse.

Concrètement, cela voudrait dire que les communautés religieuses ont le droit de tenir un stand sur un marché ou d’organiser une marche pour Jésus dans les rues de Genève ?

Oui. La loi prend acte de la décision des tribunaux de 2015. A ce moment-là, certaines associations religieuses ont fait recours contre l’interdiction de tenir un stand au marché et ont obtenu le droit de le faire. La question des marches pour Jésus est intéressante : y aura-t-il problème si les participants se mettent à chanter ? Une telle manifestation tomberait-elle sous le coup d’une interdiction parce qu’elle serait alors cultuelle ? La frontière n’est pas simple à déterminer !

Du point de vue concret, des baptêmes au bord du lac pourraient-ils être interdits sur le domaine public ?

On pourrait l’imaginer. Jusqu’ici on ne sait pas très bien si c’est autorisé ou pas. Parfois c’est oui, parfois non. C’est typiquement le genre de questions, où il y a besoin de clarification. Pour nous, il est clair qu’il devrait être possible de célébrer des baptêmes au bord du lac, sous réserve d’avoir une autorisation et de choisir un moment favorable pendant la journée, par exemple le dimanche matin avant que la foule arrive sur la plage pour le barbecue. Il faut trouver des terrains d’entente, plutôt que de promulguer des lois qui distillent des interdits généraux.

Le Réseau évangélique genevois n’a pas promulgué de réserves par rapport aux contributions financières qui peuvent être prélevées par l’Etat pour le compte des communautés religieuses. Pourquoi ?

Pour les évangéliques, ce n’est pas une préoccupation fondamentale. On prend note qu’à l’avenir cette contribution volontaire sera ouverte à toutes les communautés religieuses, ce qui sur le principe est une bonne nouvelle. C’est une solution plus équitable que celle qui prévalait jusqu’à maintenant, parce qu’elle n’était pas égalitaire. La laïcité, c’est un traitement équitable pour toutes les communautés religieuses.

Si la loi est acceptée, des Eglises évangéliques vont-elles demander l’aide de l’Etat pour prélever des contributions financières ?

A ma connaissance, cela n’a pas encore été vraiment discuté en profondeur par les Eglises évangéliques de Genève. C’est possible que quelques Eglises évangéliques soient intéressées… Mais cette ouverture vient tout de même avec un certain nombre de contraintes. Il faudra que les Eglises réfléchissent pour se coordonner et pour être claires. Si on a une liste d’Eglises évangéliques qui apparaît parmi les options que le contribuable peut sélectionner, cela pourra générer un peu de confusion. Il faudra une coordination à l’interne, mais aussi avec les autorités pour voir comment mettre en œuvre cette possibilité.

Il y a un autre avantage que propose cette nouvelle loi, c’est le fait que les aumôneries seront accessibles à toutes les communautés religieuses. Les évangéliques vont-ils engager des aumôniers payés par l’Etat pour aller visiter leurs coreligionnaires dans les hôpitaux et les institutions de droit public ?

C’est une réflexion qui va pouvoir commencer. Il existe certains services d’aumônerie où les évangéliques sont associés, mais globalement le système actuel ne les inclut pas systématiquement. On s’est arrangé avec ce système jusqu’à maintenant, mais le fait de pouvoir être en dialogue avec les institutions sociales et d’être traités sur un pied d’égalité rendra la situation plus simple.

Dans l’espace public genevois, on voit régulièrement des mentions des horaires des cultes réformés et des messes catholiques. A l’avenir, pourra-t-on avec cette nouvelle loi voir aussi s’afficher les horaires des cultes évangéliques ?

C’est souvent un dialogue qui se fait au niveau des communes. Il y a une certaine disparité de pratiques. Du coup, cette loi donne une bonne base pour que les communautés religieuses puissent discuter avec leur commune et bénéficier d’une égalité de traitement avec les trois Eglises « historiques ».

Diriez-vous que ce projet de loi souffre de dérives à certains égards « laïcardes » ?

Oui. A certains endroits, cette nouvelle loi fait preuve d’une laïcité positive qui, à mon avis, correspond à la culture de Genève. A d’autres, on a introduit quelques excès « laïcards » où la loi entre dans des détails et pose des règles absolues qui, si elles restent en l’état, créeront des problèmes et des conflits que l’on pourrait résoudre autrement. Maintenant si la loi passe, nous poursuivrons le recours engagé devant la Cour constitutionnelle dans le but de faire rectifier la loi sur ces points. Nous avons confiance dans le fait que nos institutions corrigeront alors le tir pour ce qui concerne les éléments en contradiction avec la liberté religieuse.

Propos recueillis par Serge Carrel

Communiqué de presse des 3 Eglises (réformée, catholique romaine et catholique chrétienne).

1 réaction

  • Baumberger Herbert vendredi, 01 février 2019 16:09

    Exitste une traduction?

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