Sylvain Aharonian raconte l’histoire des «frères larges» en France

Serge Carrel jeudi 28 juin 2018

Sylvain Aharonian est professeur à l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne (F). Il vient de publier sa thèse de doctorat aux éditions du Cerf à Paris. Plus de 600 pages qui retracent les quelque 200 ans du développement des « frères larges » en France. Un développement largement soutenu par nos Eglises, notamment via les Assemblées évangéliques en Suisse romande (AESR).

« Dès le début, le mouvement des ‘frères larges’ en France s’inscrit dans le mouvement évangélique tel qu’il est caractérisé par l’historien britannique David Bebbington : un accent fort sur la Bible, sur la mort de Jésus à la croix, sur la nécessité de la conversion et sur le zèle évangélisateur. » Sylvain Aharonian vient de publier sa thèse de doctorat (1), un travail de recherche conséquent qui jette un regard sur une autre composante du mouvement évangélique français. En son temps, Jean Séguy avait publié une œuvre majeure sur les mennonites. En 2001, Sébastien Fath a dressé le portait des baptistes, et aujourd’hui c’est au tour des « frères larges ».

Une spécificité : le congrégationalisme

Parmi les quelque 700'000 personnes qui constituent actuellement le milieu évangélique français, 10'000 sont membres ou sympathisants des Communautés et Assemblées évangéliques de France (CAEF). Au sein d’un mouvement évangélique en croissance, les « frères larges » se distinguent par une vision de l’Eglise marquée par le congrégationalisme : chaque assemblée ou Eglise locale est autonome, ce qui n’empêche pas des liens de fraternité et de solidarité entre les différentes assemblées. Mais au final, chaque assemblée locale est maître de son sort, de la gestion de ses finances et du choix de ses éventuels salariés. « Cet accent sur l’autonomie locale est certainement moins fort aujourd’hui qu’il y a quelques décennies, ajoute Sylvain Aharonian. On souligne actuellement la nécessité de liens de solidarité entre les assemblées, à tel point qu’il peut y avoir des décisions ou des conseils décidés au niveau national qui, d’une certaine façon, tendent à s’imposer aux assemblées locales. »

Outre cette caractéristique, le professeur de l’Institut biblique de Nogent-sur-Marne ajoute un attachement particulier à la collégialité dans le gouvernement de la communauté locale. La collégialité dans la direction n’est pas l’apanage des assemblées de « frères larges », mais elle est une caractéristique particulièrement nette de ces Eglises. Pendant longtemps, une certaine réticence s’est manifestée par rapport au pastorat classique, une réticence qui témoigne sur le fond d’un anticléricalisme fort. Alors aujourd’hui, la situation change : de plus en plus de pasteurs salariés sont actifs dans les assemblées, mais l’attachement à la collégialité reste. Sur le fond, il s’agit de valoriser concrètement l’une des valeurs fortes mises en avant par la Réforme du XVIe siècle, mais souvent peu mise en pratique : le sacerdoce universel des croyants, le fait que chaque croyant, comme le disait Martin Luther, peut être appelé prêtre, évêque ou pape !

Par ailleurs dans une assemblée de « frères larges », qu’il y ait ou non un salarié appelé « pasteur », la prédication n’est pas l’apanage de l’éventuel ministre du culte salarié. Le ministère de la Parole est une tâche partagée entre plusieurs responsables. Une autre manifestation des conséquences du sacerdoce universel des croyants !

Les débuts : « A l’état dispersé » (1850-1915)

L’histoire des « frères larges » en France remonte notamment au Réveil de Genève avec la migration contrainte d’étudiants en théologie ou de pasteurs expulsés de cantons comme Genève ou Vaud pour des raisons de renouveau de la foi. La première assemblée de « frères larges » en France est attestée à Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle. Pour Sylvain Aharonian, il paraît possible, néanmoins, de remonter plus haut. Le Vaudois François Olivier est venu à Paris en 1820, alors qu’il était persécuté dans le canton de Vaud. A ce moment-là, il est possible qu’il ait constitué une petite communauté embryonnaire…

Mais c’est dans le sud-est de la France, sur la Côte d’Azur, que l’arrivée d’immigrés italiens, issus des Vaudois du Piémont, voit la naissance de quelques communautés « frères larges ». A Nice, Cannes, Antibes, Vallauris, et cela dès la fin du XIXe siècle. Un certain Maurice Demaria (1863-1947) évangélise en italien ses compatriotes et en français les citoyens de la République. Ce travail entraîne la création des premières assemblées de « frères larges » dans le sud-est de la France.

De telles communautés voient aussi le jour dans la Drôme, à Die notamment. Samuel Vernier, un pasteur réformé français, endosse les conceptions « frères larges », puis développe à Die, ensuite à Digne-les-Bains, des assemblées. Il est rejoint dans son ministère d’évangélisation notamment par le Suisse Henri Contesse, le frère du missionnaire Gabriel Contesse parti, lui, au Laos.

Au terme de cette première période de l’histoire des « frères larges » en France – « A l'état de dispersé » (1850-1916) –, il y a une vingtaine de communautés éparpillées sur l’ensemble de la France, avec une implantation marquée dans le Sud-Est.

La deuxième période : 1916-1946

La deuxième période de l’histoire des « frères larges » court de 1916 à 1946. Sylvain Aharonian l’a intitulée : « En phase de coalescence ». Coalescence pour rapprochement. Les assemblées commencent à se multiplier et consolident leurs liens de solidarité. Henri Contesse met sur pied, avant les années 20, des séminaires regroupant plusieurs serviteurs de Dieu, pas tous issus des « frères larges ». Ces séminaires de formation sont des occasions de renforcer les liens entre les différents pionniers.

Maurice Demaria, Henri Comtesse, mais aussi Samuel Vernier, René Zinder et d’autres se visitent les uns les autres et tissent des liens de confiance, qui permettent aux communautés de se reconnaître comme cousines… « Certes, des liens de solidarité se développent, mais pas au niveau institutionnel. Là, on en reste à un congrégationalisme ‘pur’, commente Sylvain Aharonian. Ce mouvement n’est pas le résultat d’une décision prise par une institution française ou étrangère. L’implantation de ces différentes assemblées est le résultat d’initiatives personnelles de différents pionniers, notamment étrangers. » En 1946, il y a en France 29 assemblées qui constituent la famille des « frères larges ».

La troisième période : 1947-2010

Sylvain Aharonian appelle la troisième période de l’histoire des « frères larges » en France : « Ensemble synergique ». Deux éléments la caractérisent. Tout d’abord l’essor numérique : de 29 assemblées en 1947, les CAEF passent à une centaine en 2010. Les liens de solidarité entre ces différentes assemblées se renforcent. Un journal, Servir en l’attendant, voit le jour. Il constitue un lien entre ces plus ou moins jeunes assemblées de France. A cette même date, de grands rassemblements nationaux sont lancés. Ils réunissent des représentants des différentes assemblées françaises, qui commencent à se reconnaître liées les unes aux autres. Des camps ou des colonies de jeunes voient le jour au niveau national. Différentes forces sont mises en commun pour, dans une certaine mesure, mieux se connaître et mieux travailler ensemble…

Ce synergisme donne des moyens accrus pour l’évangélisation et finalement pour l’implantation de nouvelles Eglises. Le ministère des tentes d’évangélisation qui trouve son origine dans l’entre-deux-guerres consiste à mettre à disposition des différentes assemblées ou évangélistes une tente pour organiser pendant la belle saison des réunions d’évangélisation. Ce ministère-là est une manifestation du synergisme des « frères larges », puisque c’est un ministère non pas d’une assemblée, mais de plusieurs.

Des liens forts avec les Eglises FREE

Les liens avec les Eglises FREE sont très forts dès le départ. Certains missionnaires suisses de l’époque affirmaient qu’ils avaient une responsabilité à l’égard de la France pour avoir bénéficié de ministères de Français comme Jean Calvin ou Guillaume Farel. Certains avaient cette conscience-là dans l’Eglise évangélique de la Pélisserie (FREE) à Genève. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, on voit plusieurs Suisses issus d’assemblées romandes s’engager en France, non avec le désir de développer une dénomination, mais avec le souci du témoignage chrétien dans cette France encore pauvre en présence évangélique.

Parmi ces Romands, Sylvain Aharonian retient Henri Contesse (1872-1960), qui est issu de l’assemblée de Vevey. « Il est remarquable par son zèle et son dévouement. Il implante à Die, il effectue une œuvre d’évangélisation à Digne-les-Bains, où le face à face avec le catholicisme local n’est pas toujours aisé. Il met aussi en place une maison d’accueil, la Sympathie, une sorte d’hôpital de convalescence destiné à l’accueil de protestants qui ont besoin d’une période de repos dans un cadre chrétien, et une œuvre caritative en faveur des orphelins. » Il y a aussi Abel Félix (1923-2014) qui est issu de l’Eglise de la Pélisserie et qui joue un rôle important d’évangéliste et de gardien de la tente d’évangélisation. Pour Sylvain Aharonian, il faut aussi retenir Pierre Bory (1913-1995) qui a d’abord développé un ministère à Nîmes, puis ailleurs dans le sud-est de la France. Au travers de son ministère, ce Romand a permis le développement de liens de solidarité entre les assemblées françaises et développé La Clairière, une maison de retraite fondée dans le giron des « frères larges » en France.

Serge Carrel

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