Christian Kuhn, directeur du Réseau évangélique suisse (RES), et Michel Siegrist, professeur à la Haute école de théologie de Saint-Légier (HET-PRO), viennent de publier une brochure de 26 pages intitulée : « Pastorat 2.0 – Le paradoxe du flou pour un ministère complexe ! Une réflexion sur l’avenir du ministère pastoral et un positionnement à prendre ». Cette brochure résume un document éponyme d’une quarantaine de pages.
« Il y a plusieurs crises de leadership dans les Églises locales, écrivent Michel Siegrist et Christian Kuhn. Il y a la question de la pratique du ministère pastoral des femmes qui remonte à la surface. Il y a des unions d’Églises qui s’inquiètent pour le remplacement des pasteurs dans les années à venir. Il y a des jeunes pasteurs qui arrivent sur le marché et qui ne veulent pas exercer leur ministère comme il est coutume de faire. Il y a des pasteurs qui sont épuisés et se plaignent de devoir être des ‘couteaux suisses’. Il y a trop d’étudiants en théologie qui ne rêvent pas d’exercer un ministère en Église. Il y a des instituts de formation qui se questionnent […] Il y a une société qui change [...] »
Nuancer la notion de crise de la vocation
Pour Michel Siegrist et Christian Kuhn, il est nécessaire de nuancer la notion de crise de la vocation. Ils écrivent : « Il est souhaitable de parler de crise du modèle pastoral et donc de mutation des ministères, plutôt que de crise de la vocation. Et ils citent un prêtre et sociologue qui pose cette question : « La ‘crise des vocations’, insistante depuis bientôt deux générations, n’est-elle pas le révélateur d’un appel très puissant de Dieu à entrer dans une nouvelle vision de la vie ecclésiale ? »
Rédaction – Michel Siegrist, pourquoi avez vous décidé de publier cette brochure maintenant ?
Michel Siegrist – La première raison vient de ce qui a été dit, à tort ou à raison, ces dernières années. Nous entendons que nous allons bientôt manquer de pasteurs ou que nous subissons une crise de la vocation.
La seconde raison est plus personnelle. J’ai participé à une Conférence des présidents d’unions d’Églises (CPUE). Lors de cette rencontre, la plupart des unions d’Églises signalait qu’elles allaient manquer de pasteurs dans les années à venir. Ce n’était plus simplement une constatation lue ou entendue, c’était un défi concret pour ces fédérations. En même temps, j’avais le sentiment qu’une réflexion solide à propos des profils pastoraux nécessaires à l’avenir n’avait pas encore été menée. Un énorme travail d’analyse de la situation avait été fait, mais j’avais l’impression que les hypothèses, les modèles, les propositions pour se projeter dans l’avenir manquaient.
Le but de cette brochure est donc, non seulement, de poser un constat et de résumer les analyses menées depuis plus de trente ans, mais surtout d’émettre des propositions. Le document est conçu pour être un jalon vers l’avenir.
Quels sont les apports originaux de cette brochure ?
Le but de ce document n’est pas d’analyser la situation actuelle et de tout expliquer, mais de générer un regard différent, une clé de lecture et des propositions concrètes permettant de se projeter dans l’avenir. Il montre d’abord que nous ne traversons pas une crise des vocations, mais une crise du modèle pastoral.
Ensuite, il propose une approche du modèle pastoral basé sur des compétences. Il définit ainsi huit compétences et huit ministères nécessaires dans les Églises et les associations para-ecclésiales.
Cette approche fondée sur les compétences oblige les Églises à définir leurs objectifs principaux et, donc, les compétences dont elles ont besoin en priorité. Ces compétences peuvent se trouver parmi des salariés ou des bénévoles. Cela élargit la question du ministère et oblige les Églises à différencier entre le rôle de direction – ou de gouvernance – et le rôle spirituel.
Cette approche oblige les instituts de formation à remettre en question leur enseignement. Ceux-ci vont devoir définir les compétences qui sont étudiées, vécues et approfondies. Ils devront nécessairement développer un lien avec les Églises, afin de collaborer en ce qui concerne la découverte et le suivi des vocations. Cela permettra aux instituts de formation et aux Églises de travailler en synergie, plutôt qu’en silo.
La brochure montre également qu’un élément important à prendre en compte est le changement de culture dans notre société. L’une des conséquences de cette évolution est le besoin, exprimé notamment par les pasteurs, de travailler en équipe, d’être reconnus pour leurs compétences plus que pour leurs titres, de vivre un autre style de gouvernance, etc.
Quelle place la HET-PRO désire-t-elle prendre dans cette réflexion ?
De par son rôle de formation aux ministères, la HET-PRO doit réfléchir à la question de la vocation, des modèles pastoraux et des ministères. Elle doit mettre en adéquation la formation qu’elle propose avec les besoins des Églises. Cela aura probablement un impact sur la nature de la formation qu’elle devra proposer, permettant d’approfondir ces fameuses compétences.
Pour le dire manière abrupte, sans scier la branche sur laquelle nous sommes assis, la question se pose ainsi : « La théologie est-elle la seule compétence à approfondir dans notre lieu de formation ? Quel est le minimum théologique que tout ministère doit avoir pour vivre son ministère ? »