En début d’année, le Réseau évangélique suisse a fait paraître sur 120 pages un petit livre collectif sur les « Objections de conscience en Suisse ». L’occasion pour les différents auteurs de faire le point, dans leur domaine de compétences, des tensions que pourraient connaître des chrétiens évangéliques face à des exigences que formuleraient à leur endroit un employeur ou la société. Les domaines du service militaire, mais aussi de la santé, de l’école ou de l’entreprise sont présentés en lien avec l’objection de conscience.
Ce livre intervient, explique Michael Mutzner, secrétaire général adjoint du Réseau évangélique et éditeur de ces pages, dans une société qui devient de plus en plus multiculturelle et multireligieuse. Dans une société aussi où on assiste à l’augmentation de zones de tensions et « à l’émergence de nouvelles objections de conscience » (p. 8), y compris pour les chrétiens évangéliques. « Objections de conscience en Suisse » recense ces « veto existentiels » et propose des pistes pratiques à la fois aux évangéliques et aux autorités.
Un parcours biblique sur l’objection de conscience
Robin Reeve, pasteur de l’Union des Eglises évangéliques de Réveil et professeur d’Ancien Testament à la HET-Pro, ouvre le livre par un parcours autour de l’objection de conscience dans la Bible. Il souligne d’abord l’importance de la soumission aux autorités à partir des textes classiques de Romains 13.1-7 et de 1 Pierre 2.13-17, tout en relevant que cette obéissance n’est pas absolue. Il présente ensuite différents exemples bibliques d’insoumission et de confrontation, puis les différentes stratégies mises en oeuvre par des gens de foi opposés aux autorités : la fuite, la pédagogie de la soumission libre, la contestation par la parole, la prière et la confiance dans la perspective de l’espérance éternelle.
Du point de vue pratique, les contributions les plus stimulantes sont celles de Michael Gonin sur « La liberté de conscience au travail », de Michael Mutzner sur « L’objection de conscience des institutions chrétiennes – le cas de l’assistance au suicide », et, en final, la Déclaration du Conseil du Réseau évangélique suisse.
Pour des entreprises ouvertes à l’expression de la singularité religieuse
En mettant en avant l’idée d’« accommodation raisonnable », inspirée de ce qui se fait au Canada, Michael Gonin contre la « laïcité à la française » qui souhaite bannir des entreprises toute manifestation d’appartenance religieuse. Il promeut une « laïcité ouverte » qui permet « l’expression des convictions personnelles au travail... pour autant que le travail attendu soit réalisé et qu’il n’y ait ni favoritisme ni discrimination » (p. 85). Sur le fond, l’enjeu est de permettre l’expression d’une société pluraliste dans le monde du travail, ce qui devrait encourager le développement d’entreprises plus éthiques et plus humaines.
L’importance des clauses de conscience
Dans la dernière contribution du livre, Michael Mutzner dresse un bilan du plaidoyer d’institutions, la plupart du temps chrétiennes, pour éviter de devoir accepter l’assistance au suicide dans leurs murs. A partir des situations vaudoise et neuchâteloise, il relève que, dans ces deux cantons, les EMS évangéliques sont contraints d’accueillir des associations comme Exit sous peine de retrait de leurs financements publics. La question a même été tranchée par le Tribunal fédéral qui a refusé d’accorder à un EMS neuchâtelois de l’Armée du salut la possibilité de refuser l’accès à Exit dans ses murs. Raison invoquée : la liberté d’un individu à demander l’assistance au suicide l’emporte sur les convictions d’une institution privée, au bénéfice de fonds publics. En conclusion, Michael Mutzner plaide pour un dialogue renforcé entre les institutions confessionnelles, les communautés religieuses et les autorités, afin notamment de pouvoir insérer, dans des législations à haut potentiel de divergences, une « clause de conscience » qui permettrait de désamorcer les conflits.
En final, la « Déclaration du Conseil du Réseau évangélique suisse » résume bien l’ensemble de la démarche du livre : rappeler que les chrétiens doivent être soumis aux autorités et que cette soumission de principe connaît des exceptions, encourager les chrétiens à développer par rapport aux zones de friction « l’attitude la plus constructive possible » (p. 106) et inscrire dans la législation des clauses de conscience afin de ménager aux croyants la possibilité de dire non à certaines pratiques qui pourraient leur être demandées.
Serge Carrel
Michael Mutzner (éd.), Objections de conscience en Suisse. Perspectives évangéliques, Genève, Réseau évangélique, 2018, 120 p.