Le Réveil dans le canton de Vaud prend une forme différente de celui de Genève. Alors que des désaccords doctrinaux majeurs entre les autorités ecclésiales et les « évangéliques » donnent lieu au Réveil de Genève, dans le canton de Vaud, le Réveil naît plutôt d’un manque de piété et de spiritualité chrétienne.
Une théologie réformée mais sans ferveur
Le premier pasteur de Lausanne, Louis-Auguste Curtat (1759-1832), affirme la divinité de Jésus-Christ. Son enthousiasme pour le Christ et pour une théologie orthodoxe le pousse à écrire une lettre en 1820 à son collègue, le pasteur et professeur genevois Chenevière, où il déclare que nier la divinité du Christ ne fait qu’empêcher la recherche théologique (2). Alors que les théologiens vaudois restent sur une ligne théologique réformée, c’est le formalisme et une « appartenance sociologique » à l’Eglise qui posent problème. Cet attachement aux coutumes et aux traditions religieuses est dépourvu de toute foi vivante. Ce manque constaté au travers de tout le canton, est considéré comme l’une des raisons principales qui poussent un groupe de protestants « réveillés » à réagir.
Des Vaudois attachés à leur bien-vivre
Louis Burnier, dans sa biographie Notice sur Auguste Rochat(3), considère que les sources du manque de piété des Vaudois proviennent des effets néfastes de la philosophie du XVIIIe siècle et de son côté révolutionnaire, du manque de foi vivante de beaucoup d’étrangers habitant le canton ainsi que de leur style de vie hédoniste, et des mœurs licencieuses de l’armée napoléonienne. La croissance de l’indifférence religieuse n’empêche cependant pas l’épanouissement des communautés moraves et quiétistes qui se répandent, pour la plupart, non pas dans la ville de Lausanne, mais à la campagne.
L’Eglise nationale exclusivement
Ces communautés pieuses ne sont pas les uniques acteurs du Réveil qui se répandra dans l’entier du canton de Vaud. Les élans missionnaires de chrétiens « réveillés » de Genève ne doivent pas être négligés. Le Genevois Félix Neff est l’un des évangélistes principaux qui parcourt le canton. Il fait des rencontres stratégiques au travers des pasteurs Henri Juvet de La Sarraz et Auguste Rochat (1789-1847) de Lignerolle. L’attitude respectueuse à l’endroit de l’« institution Eglise » propre à Félix Neff, est appréciée par de nombreuses personnes. Il encourage les chrétiens aux tendances moraves à rester dans l’Eglise nationale : à « se mélanger aux convertis et aux non-convertis, tout comme aux chrétiens pieux ou formels » ; tout en organisant des rencontres spécifiquement pour les croyants convertis (4). Louis-Auguste Curtat, néanmoins, perçoit de telles rencontres comme des menaces à la vie de foi de l’Eglise nationale et, par extension, au canton même. Dans des tracts virulents, Curtat manifeste sa désapprobation (5). Il déclare que de telles rencontres sont « contraires à la loi de Dieu et aux lois des hommes ». En 1824, toutes les rencontres religieuses extérieures aux temples de l’Eglise nationale sont interdites. Tout acte de piété et de dévotion domestique est ainsi considéré par les autorités du canton de Vaud comme un crime (6). Alors qu’Henri Juvet rejoint peu après une Eglise séparatiste illégale, Auguste Rochat, pour sa part, reste dans l’Eglise nationale jusqu’en 1829.
Prêcher la doctrine évangélique au sein de l’Eglise nationale
En 1829, suite à une deuxième vague de persécutions, le pasteur Rochat défend un ami séparatiste. Il plaide la cause de la liberté religieuse devant la cour de justice du canton de Vaud. Il reçoit peu après une lettre du magistrat l’avertissant que, s’il venait à aller à l’encontre de la loi, il serait poursuivi en justice (7). Jusqu’à la fin des années 1820, Auguste Rochat tient fermement à rester dans l’Eglise nationale. Alors que les tendances séparatistes augmentent, causant de nombreux problèmes, ce dernier affirme :
Je crois pouvoir faire beaucoup plus de bien en évitant tout ce qui peut me donner l’air de me jeter dans une secte et m’ôter par là même tout crédit sur l’esprit de certaines personnes. Mon plan est de me prononcer très franchement en toute occasion sur ce que je crois être la doctrine évangélique, de la prêcher, de la répandre dans mes conversations, et, avec la grâce de Dieu, d’y conformer ma vie. Mais en même temps, je ne veux me faire le champion d’aucun parti… je ne veux tenir qu’à la Bible et ne citer pour autorité que la Bible. (8)
Les menaces reçues après la défense de son ami marquent néanmoins profondément Auguste Rochat. Déplorant les mesures trop rigoureuses de l’Etat envers les séparatistes, il quitte l’Eglise nationale, déclarant : « Il m’est impossible d’assister au culte d’une Eglise qui persécute les enfants de Dieu » (9). Cette décision douloureuse lui permet, néanmoins, de réaliser qu’il peut désormais confesser le nom de Jésus-Christ avec une ardeur renouvelée (10).
L’unification des croyants « réveillés »
Après avoir quitté l’Eglise nationale en 1829, Auguste Rochat devient le pasteur d’une Eglise séparatiste à Rolle (11). En tant que prédicateur et écrivain talentueux, il devient aussi le porte-parole de ce mouvement et représente ainsi les quinze Eglises séparatistes qui voient le jour dans le canton de Vaud entre 1820 et 1830. Il essaie d’unir les séparatistes autour de leur foi évangélique, tout en dialoguant avec l’Eglise nationale et en travaillant pour l’unité. Sa Doctrine évangélique, publiée en 1825, avant sa séparation de l’Eglise nationale, reflète un désir d’unifier les croyants « réveillés » des deux milieux autour des doctrines du péché originel, de la justification par la foi, ainsi que de la Bible en tant qu’autorité ultime et unique des chrétiens. Rochat termine son traité en disant : « Voilà la doctrine évangélique, seule voie de salut ; doctrine trop peu connue, parce qu’on ne lit pas la Bible avec attention et bonne foi ; doctrine opposée à tous les préjugés, à toutes les passions de l’homme charnel » (12).
Les fruits du Réveil en Suisse romande
Le Réveil du début du XIXe siècle en Suisse romande émane d’un désir de combattre le « libéralisme théologique » des autorités ecclésiales de Genève, qui sont immergées dans une religion naturelle dépourvue de toute révélation, une forme de déisme comme l’appelle le pasteur genevois Ami Bost. Il émane aussi d’un désir de vivifier la foi des habitants du canton de Vaud. Le Réveil sort ainsi les chrétiens d’un sommeil plombant qui avait forgé, au sein des Vaudois, une indifférence grandissante et un formalisme marqué envers le christianisme. En mettant l’accent sur le besoin d’une foi et d’une dévotion personnelles, les « réveillés » ont non seulement vivifié la piété au sein des protestants du canton de Vaud ; mais leur ardeur à prendre au sérieux l’appel de la foi chrétienne a aussi entraîné la création de la Société biblique du canton de Vaud, en 1814, et la création de la Société missionnaire évangélique du canton de Vaud, en 1821.
Auguste Rochat : le don d’une vie
Parmi ces « réveillés » vaudois, Auguste Rochat, et ses douzaines d’écrits laissés à la postérité, dévoile une voix qui a su s’opposer à l’hérésie, aux maux et à l’indifférence de son temps, en invitant toute personne à méditer sur Jésus-Christ et à apprendre de celui qui est la source de la Vie. Son désir de faire une telle chose, tout en unifiant les convertis et les non-convertis, les membres de l’Eglise nationale et les séparatistes autour de la personne du Christ, est admirable. Malheureusement, peu de temps avant la mort d’Auguste Rochat, l’arrivée de l’Anglo-Irlandais John Nelson Darby en Suisse peut être comprise comme un arrêt à toute tentative d’unifier l’Eglise protestante nationale et les Eglises séparatistes.
Antje Carrel