« Le burnout peut entraîner une invalidité à 100 pour-cent ! » Cristina Heierli est psychiatre et psychothérapeute à Gümligen, près de Berne, dans le cadre du Centre de thérapie chrétienne Siloah. Dans son accompagnement médical, elle suit plusieurs personnes atteintes d’un burnout grave et en arrêt maladie pour 6 mois au moins. « C’est une chose que l’on n’a pas encore intégré aujourd’hui, mais une personne qui utilise ses réserves à l’excès et qui connaît une certaine fragilité psychique, peut atteindre un épuisement qui fera d’elle un handicapé à vie ! »
Le burnout, le lot de beaucoup aujourd’hui
Très sollicités en situation de crise, des responsables d’entreprise ou des cadres connaissent aujourd’hui le burnout. En Allemagne, une statistique révèle que plus de 30 pour-cent des enseignants sont touchés par ce syndrome, plus de 30 pour-cent également du personnel soignant et environ 10 pour-cent des médecins... Dans les Eglises aussi, des pasteurs stressés vont au bout de leurs ressources et développent un épuisement qui les rend inaptes à la poursuite de leur activité pastorale. L’augmentation constante de la productivité et la multiplication des exigences professionnelles poussent de plus en plus de gens dans les limites de leurs capacités.
« Le burnout est un état d’épuisement physique et émotionnel, explique la Dr Cristina Heierli. C’est très progressif et il peut s’écouler 9 mois avant que la personne prenne conscience qu’elle ne peut plus continuer comme cela. » Pendant ces 9 mois, elle essaie de se maintenir en fonction, mais le coeur n’y est plus. « Parmi les signes avant-coureurs d’un burnout, il y a le fait que la personne n’arrive plus à suivre au niveau professionnel. Elle connaît des troubles du sommeil importants. Elle est irritable et développe des conflits avec son entourage. De plus sa libido s’éteint. »
Les hommes et les femmes ne sont pas égaux face au burnout. Pour Cristina Heierli, une femme est plus à l’écoute d’elle-même. Elle prend plus rapidement conscience qu’elle est épuisée et qu’elle n’a ni joie ni entrain dans son quotidien. « La femme demandera plus facilement de l’aide, ajoute-t-elle, alors que l’homme va essayer de maintenir le rythme, même si son corps donne des signaux d’alarme importants. »
Retrouver son « fil d’or »
Pour cette femme médecin, qui a fait ses études à Lausanne, il y a deux phases dans l’accompagnement d’une victime d’un burnout. D’abord l’accueil de la personne là où elle se trouve et une écoute dans la durée, puis un renvoi dans le quotidien pour voir comment la personne se débrouille avec les différentes clés qu’elle a intégrées. « Il n’y a pas de recette toute faite, s’empresse d’ajouter la psychiatre. Avec chaque personne, des facteurs différents jouent un rôle qu’il importe de découvrir. Avec mes patients, j’essaie d’examiner leurs motivations face à la vie et même parfois de réfléchir au sens qu’ils donnent à leur existence. »
Cristina Heierli suit actuellement un patient en arrêt pendant 6 mois. Avec lui, elle a réfléchi à sa trajectoire de vie et découvert qu’il y avait des raisons plus profondes qui l’avaient conduit à son épuisement. « A différents niveaux, cette personne a essayé de reprendre contact avec elle-même. Elle a ainsi pris conscience qu’elle avait un deuil à faire face à l’absence d’enfant au sein de son couple et que, professionnellement, il était important de dresser un bilan de son activité pour mieux rebondir. » Pour exprimer cette reprise de contact avec soi-même, Cristina Heierli aime utiliser l’image du fil d’or. En chacun de nous, il y aurait un endroit très précieux, un lieu où nous pourrions trouver le fil d’or de notre existence : ce qui nous tient et ce qui fait sens dans les aléas du quotidien. « Le burnout peut donc représenter une chance si la personne cherche un vis-à-vis avec lequel réfléchir à sa situation. Il devient possible alors de renouer avec son fil d’or, de redéfinir un équilibre personnel et de négocier un aiguillage qui peut constituer un moment très créatif dans sa vie. »
Et le vide en forme de Dieu ?
Dans le Centre de thérapie chrétienne Siloah, les intervenants sont ouverts à un accompagnement qui intègre une réflexion sur le sens de la vie. « Dans les premiers entretiens avec une personne, explique Cristina Heierli, je demande toujours à mon interlocuteur si il a une vie de foi, s’il croit à quelqu’un au-dessus de lui ou si il ne dépend que de lui-même et de ses propres forces... » Convaincue qu’en tout être humain il y a un vide en forme de Dieu, elle considère que ni le travail, ni l’argent, ni les biens matériels ne pourront remplir ce vide. Pour elle, ce « lieu » doit être pris en considération dans la gestion d’une vie équilibrée.
« Une spiritualité saine représente donc un apport important pour la santé psychique d’un individu et pour la gestion de son quotidien, relève-t-elle. Avoir une relation à un Dieu qui nous aime permet de définir nos priorités et de ne pas chercher au plan relationnel ou professionnel ce que l’on ne peut recevoir que de sa relation à Dieu. »
Ces dernières années, Cristina Heierli a suivi une femme prise à 200 pour-cent par son travail. « Au travers de nos rencontres, cette femme a découvert qu’au fond d’elle-même il y avait un vide profond. Sa boulimie d’activités était une sorte de compensation. Fille d’un père absent, elle multipliait ses engagements pour combler sa soif de reconnaissance. En fait, elle a découvert en Dieu la paternité qu’elle cherchait. » Par la suite, cette femme a repris un travail où elle était beaucoup plus protégée au niveau de ses horaires. Aujourd’hui, elle se sent bizarre parce qu’elle n’a plus les mêmes modèles qu’avant. Elle doit découvrir un nouvel équilibre et faire des choix qui ouvrent de nouvelles possibilités.
Découvrir sa dignité en Dieu
Développer une spiritualité saine permet aussi d’éviter un burnout, c’est la conviction de la Dr Cristina Heierli. Pour elle, la parole de Jésus : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai du repos » (Mt 11,28) peut jouer un rôle fondamental dans la prévention du burnout. Parce que Jésus se définit lui-même comme l’eau qui désaltère et le pain qui rassasie (Jean 6,35), la psychiatre considère que la proximité de Jésus nourrit et permet à chacun de découvrir sa dignité non pas dans ses activités ou dans ses réalisations, mais en Dieu. « Une saine spiritualité autorise le chrétien à devenir vraiment libre. Très souvent les personnes qui connaissent un burnout sont très collaborantes et s’adaptent facilement aux demandes extérieures. Le fait de découvrir Dieu comme celui qui nous accepte et qui fonde notre vie, permet de dire non et de se faire respecter avec ses propres limites ! »
Des stratégies anti-stress
Du point de vue pratique, le fait d’ancrer sa vie en Dieu et de vivre dans la proximité de Jésus permet de réaliser plus facilement dans sa vie l’équilibre entre des temps d’engagement et de ressourcement. « Pour moi, explique Cristina Heierli, l’équilibre se trouve dans l’alternance entre des temps d’activité et des temps de repos. » Chacun doit ainsi prendre conscience de son rythme, de ses besoins de repos et développer des stratégies anti-stress. La psychiatre bernoise conseille ainsi d’entrecouper ses journées de courtes pauses afin de renouer avec soi-même, avec le fil d’or qui nous porte. Les courtes siestes ne doivent pas non plus être négligées... « De plus, si dans une journée, les tâches à effectuer se multiplient, relève-t-elle, n’hésitez pas à vous arrêter et à vous interroger si le fait de déplacer telle ou telle tâche au lendemain entraîne des conséquences catastrophiques. On découvre alors souvent que l’on peut déplacer une tâche urgente au lendemain, sans que cela ne porte trop à conséquence ! »
Serge Carrel
Suite de notre mini dossier: "Georges Musy: 2 ans et 3 mois d'arrêt à cause d'un burnout", le témoignage d'une victime d'un burnout.