On dit qu’une femme sur quatre arrive à l’âge adulte en étant abusée. C’est le constat de Priscille Hunziker qui travaille notamment dans un centre chrétien de relation d’aide. C’est le constat, mais aussi le moteur qui l’a poussée à écrire un conte d’une petite centaine de pages sur Emmy, une enfant abusée sexuellement par son père. « Au fil de la rédaction, plusieurs visages de personnes que j’ai suivies ont nourri le récit. J’ai voulu offrir comme une piste nouvelle dans des situations de désespoir. Montrer qu’il est possible de retrouver une capacité à être. »
Dieu ne nous veut ni dominé ni soumis
Pour cette femme qui fréquente avec sa famille l’église évangélique de La Colline (FREE) à Crissier, il y a abus dès qu’il y a prise de pouvoir non consentie sur quelqu’un. « C’est quand la liberté et la dignité de l’autre ne sont pas reconnues et qu’il devient un objet pour l’abuseur qui s’en sert pour assouvir ses propres désirs, explique-t-elle. C’est une négation de l’altérité. » Et si cela la touche autant, c’est parce que c’est « totalement à l’opposé du projet de Dieu pour les humains. Qui ne nous veut ni soumis, ni dominé, mais libre. Toute emprise nous coupe de la possibilité d’être dans une relation de réciprocité où chacun peut exister. »
Reconnaître le drame
L’enfant Emmy a mal. Ça brûle dans son entre-jambe. Car l’abus provoque des blessures. Parfois physiques, parfois identitaires. Souvent les deux. Mais très vite, une grenouille intervient. « La grenouille, c’est le voisin, l’ami, la collègue, celle ou celui qui fait des gaffes, mais qui se soucie du mal-être et récolte les larmes. Elle reconnaît le chagrin, la solitude, le drame », commente la quinquagénaire. Pour Priscille Hunziker, le psaume 56 est l’ancrage biblique de cette récolte des larmes qu’entreprend le batracien. « Notre mission d’être humain, c’est d’être présent dans la compassion. D’être là pour accueillir, recueillir la parole de celle et de celui qui souffre, estime-t-elle. Mais il manque parfois de grenouilles sur les chemins de vie des abusés… et de formations dans les églises pour porter et supporter leurs récits. »
L’espérance a du poids
Et le Roi, dans tout cela ? « Je suis témoin de son action invisible, mais réelle, dit simplement la psychologue. Je ne cherche pas à convaincre. Mais je crois qu’il y a un autre destin à nos larmes que celui de tomber par terre : il est dit que Dieu les essuiera (ndlr : dans Apocalypse 7), qu’il y a une espérance et qu’une justice adviendra. J’ai vu des personnes relever la tête en regard de cette promesse. Mais il y a d’abord à parcourir un réel chemin de deuil de son innocence bafouée. Mais vous savez, l’espérance au lieu de zéro perspective, cela a du poids. » Priscille Hunziker termine d’ailleurs son récit par ces mots : « Un véritable espoir existe. Quelque chose en vous a survécu et pourra à nouveau participer à la vie. Un doux souffle murmure au-dedans de vous. »
Gabrielle Desarzens
« Où vont nos larmes », un conte thérapeutique de Priscille Hunziker, Editions Prétexte : 2022