J'ai un ami chrétien qui vit en Italie et travaille comme aumônier dans les prisons. Afin d'être bien entendu des détenus, il recourt parfois à un langage vulgaire. Oui ! Il emploie des gros mots. Il est persuadé qu'en adoptant le langage des détenus, il est bien mieux compris que s'il ne le faisait pas.
Par exemple, certains détenus s'enferment dans un rôle de victime. Ils n’assument pas leurs responsabilités et culpabilisent leur entourage. Mon ami aumônier débusque de tels comportements et encourage ces détenus à faire un bilan plus objectif de leur situation. Dans ce but, d’après lui, il est nécessaire de parler leur langage.
Je renonce à donner des exemples de cette manière de parler ! Cependant, il faut bien admettre que la Bible contient quelques exemples de langage très direct, ceci afin d'encourager les lecteurs à se comporter selon la volonté de Dieu.
La manière de s'exprimer de l’apôtre Paul est un très bon exemple de langage vigoureux et franc. Cela me surprend parfois – autant que les expressions de tendresse de l'apôtre. Le mot anathème constitue un bon exemple de son franc-parler.
Avant de considérer les occurrences du mot dans les écrits de Paul, commençons par quelques remarques. Dans la vieille traduction grecque de l’Ancien Testament, dite « la Septante », les traducteurs utilisent anathème (en grec, anathema) pour traduire le mot hébreu hērem. Ce dernier signifie « ce qui est voué à Dieu », soit dans le but de lui être consacré (par exemple dans Lv 27.28-29 ; Nb 18.14), soit pour la destruction (par exemple dans Dt 7.26 ; Nb 21.3 ; Jos 6.17 ; Za 14.11).
Un mot fort, une imprécation
A l'époque de Paul, le mot anathème a donc déjà une longue histoire derrière lui et il est bien connu des Juifs. Dans le Nouveau Testament, il prend généralement le sens de : « être sous la malédiction de Dieu », « être voué à la destruction ».
Voyons maintenant comment Paul emploie anathème dans ses écrits. Il emploie cinq fois le mot en lui donnant le même sens (Ro 9.3 ; 1Co 12.3 ; 16.22 ; Ga 1.8-9) (1). Ailleurs dans le Nouveau Testament, cette expression n’est utilisée qu’une fois, dans Actes 23.14.
Dans ce texte des Actes, l’apôtre Paul est visé par un attentat à Jérusalem. Plus de quarante hommes se sont engagés par un pacte d’anathème à ne pas manger, ni boire, avant d'avoir tué l’apôtre. Quelle ardeur contre ce missionnaire de Jésus ! Le problème, c'est qu'ils n'ont pas réussi leur coup. Je me demande donc s'ils ont mis leur serment en pratique – et comment ? Cet emploi du mot anathème montre que celui-ci n'est utilisé que dans des situations graves.
Dans sa première lettre aux Corinthiens, Paul utilise deux fois le mot anathème. Cela s'explique, puisque l’Eglise de Corinthe souffrait de graves problèmes doctrinaux et moraux. Un langage fort s'imposait donc.
Dans son épître, Paul rappelle que personne ne peut dire : « Que Jésus soit anathème » sous la conduite de l’Esprit Saint (1Co 12.3). Cela semble assez évident, mais il faut le dire avec Paul : confesser Jésus-Christ comme Seigneur ne peut se faire que grâce à la présence de l’Esprit Saint (12.3).
Plus loin, à la fin de cette même lettre, Paul applique le mot anathème à ceux qui manquent de loyauté envers le Christ : « Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur, qu’il soit anathème ! Maranatha ! » (16.22). Voilà un langage fort, causé par une situation difficile.
Dans sa lettre aux Galates, Paul met en garde les chrétiens contre les Juifs qui ont cru en Jésus, mais qui imposent aux chrétiens d’origine païenne la pratique de la loi juive. Ils disent que la pratique de certains rites de la loi et d’autres traditions juives sont obligatoires si l’on veut suivre Jésus.
Paul s'oppose radicalement à cette doctrine fausse et contraire à l’Evangile de la grâce. Par conséquent, il écrit : « Si nous-mêmes, si un ange du ciel annonçait un évangile s’écartant de celui que nous vous avons prêché, qu’il soit anathème ! » (Ga 1.8). Notons au passage qu’il inclut son équipe missionnaire – « nous-mêmes » – et les anges dans cet avertissement ! Pour Paul, les faux prédicateurs judaïsants méritaient l’anathème ! Mais rappelons que ce langage musclé vise le bien de ses frères et sœurs en Jésus-Christ. C’est là le côté tendre de l’apôtre !
Un mot employé avec discernement
On pourrait croire que Paul avait l'habitude d'invoquer l'anathème sur ces adversaires. Mais un exemple montre qu'il n'en est rien. Cet exemple dévoile le côté tendre de l’apôtre. Dans sa lettre aux chrétiens de Rome, aux chapitres 9 à 11, Paul décrit le plan de Dieu pour le peuple d’Israël qui, selon certains à l’époque, avait déjà été abandonné par Dieu. Paul rejette cette opinion. Il montre la force de son amour pour son peuple en affirmant qu’il serait prêt à être anathème si cela pouvait contribuer au bien de son peuple.
Paul voit que le peuple juif a été choisi par Dieu, mais qu'une bonne partie de celui-ci n'a pas reçu Jésus le Messie. L'apôtre en éprouve une grande douleur et s'exclame : « Je dis la vérité en Christ, je ne mens point, ma conscience m’en rend témoignage par le Saint-Esprit : j’éprouve une grande tristesse et j’ai dans le cœur un chagrin continuel. Car je voudrais moi-même être anathème et séparé du Christ pour mes frères, mes parents selon la chair... » (Ro 9.1-3). Ce cri du cœur est d'autant plus fort que certains de ses adversaires les plus acharnés font partie du peuple juif.
Ainsi, lorsque Paul emploie le mot anathème, c'est parce qu'il est passionné par le message de l'Evangile. D’un côté, il invoque le jugement de Dieu sur les faux prédicateurs de l’Evangile. D'un autre côté, il est prêt à être maudit si cela peut conduire le peuple d'Israël au salut. A la suite du Christ, Paul aime et défend le message du Royaume de Dieu, véritable source de libération pour les nations.
Par le passé, j'ai également appris à employer un langage fort. Par exemple, lorsque je pratiquais des sports durant mon adolescence, j’invectivais, je lançais des imprécations et j'employais un langage vulgaire. Cela ne servait aucun but noble !
Plus généralement, mon langage « pimenté » indique-il un engagement passionné de ma part ou plutôt quelques mauvaises habitudes ? Suis-je aussi passionné que Paul pour l’Evangile et le monde qui a besoin d’être réconcilié avec Dieu ? Est-ce que j'ai acquis une bonne connaissance du contenu du message évangélique ? Est-ce que j'arrive à reconnaître les discours inspirés par d’autres « évangiles » et à évaluer les dangers qu’ils représentent ? La manière de Paul d'employer le mot anathème montre que ces questions méritent notre réflexion.