Il est le Gospel le plus connu sur la planète. Les chorales chrétiennes comme laïques aiment à chanter cet air qui met le cœur en joie. Le Gospel Oh Happy Day (O jour heureux !) a perdu lundi dernier celui qui l’a popularisé, en lui donnant sa touche, son swing et son explosivité à la fin des années 1960. Edwin Hawkins (1943-2018) est décédé lundi 15 janvier en Californie d’un cancer du pancréas. Il avait 74 ans.
Une reprise d’un classique des cantiques d’Eglise
En 1969, ce pianiste, très engagé dans l’Ephesian Church of God in Christ de Oakland en Californie, grave un « 33 tours » sous le nom de Northern California Youth Choir. Sur ce disque « Let Us Go Into The House of The Lord », il place la vieille hymne composée par Philip Doddridge et très souvent chantée dans les rencontres de réveil du XIXe siècle aux Etats-Unis. Avec son son un brin étouffé, cet arrangement de Oh Happy Day fera entrer cet album au Top 10 du hit-parade. L’album sera vendu à plus de trois millions d’exemplaires et aura un retentissement planétaire.
Une multitude de reprises et d’interprètes
« O jour heureux quand Jésus m’a lavé de mes péchés. O jour heureux. Il m’a enseigné comment veiller, combattre et prier, et vivre dans la joie chaque jour. » Ce Gospel, très simple, sera repris par la famille Hawkins – Les Edwin Hawkins Singers – sous différentes formes.
Différentes personnalités noires ont aussi interprété ce Gospel réarrangé par Edwin Hawkins. Au nombre de celles-ci :
Ray Charles et les Voices of Jubilation,
Oh Happy Day connaîtra une popularité encore plus grande grâce au film Sister Act (Acte 2) où la comédienne Whoppi Goldberg interprète la pseudo « bonne sœur », transformée en directrice de chorale, qui met en route des adolescents pour un concours de chant. Le succès de l’interprétation de ce O Happy Day reste dans toutes le mémoires.
Dans le monde francophone, le chanteur français Laurent Pagny en donnera aussi sa version.
Selon le sociologue français Sébastien Fath, Oh Happy Day a même été repris le 6 mai 2007 sur la place de la Concorde, le soir de l’élection de Nicolas Sarkozy comme président de la République française. « A la stupeur de certains auditeurs, ajoute ce spécialiste du mouvement évangélique, les interprètes (Miss Dominique et Jane Manson) avaient remplacé dans la chanson Jésus par Sarkozy ! » (1).
Le secret d’un succès
Les paroles de Oh Happy Day sont simples. Elles sont redites sous différentes formes et confessent le cœur du salut chrétien : « Jésus, le Fils de Dieu, est mort sur la croix. Sa mort en sacrifice purifie de tout péché. » Les spécialistes francophones de la musique sont peu sensibles à la profondeur théologique du propos. Ils s’attachent plutôt à l’effet que produit le dialogue entre la choriste et le chœur. « Tout n’est que répétition et variation, commente Denis-Constant Martin dans son livre Le Gospel afro-américain. Des spirituals au rap (2), un module mélodique bâti sur deux notes avec un frottement bleu sert de leitmotiv entre les reprises duquel une mélodie très simple s’insinue. » Pour Noël Balen, membre de l’Académie du Jazz à Paris, « ce n’est pas tant le message purificateur des paroles qui provoquera ce feu d’artifice universel, mais plutôt la fugacité subtile de la pulsion festive, la simplicité du module mélodique, l’évidence même de l’intervention chorale, le leitmotive ressassé sans heurt » (3).
Au cœur d’une vision classique de la mort de Jésus
Pour les chrétiens, ce Gospel évoque une manière de percevoir la mort de Jésus traditionnelle. On discerne derrière le fait que Jésus lave les péchés ou purifie des péchés un renvoi au rituel sacrificiel de l’Ancien Testament. Jésus est compris symboliquement comme le Grand-Prêtre qui entre dans le Temple de Jérusalem et qui s’offre lui-même comme sacrifice qui purifie du péché (Hébreux 10.11-22).
Cette lecture de la mort de Jésus est aussi très présente dans le récit de l’évangile de Jean où Jésus lave les pieds de ses disciples (Jean 13.1-17). Trois significations profondes de la mort de Jésus y sont proposées : le don de soi comme exemple de Jésus à suivre (v. 15), la purification occasionnelle dont tout chrétien a besoin parce que toujours enclin au péché (v. 10-11), et le lavement des pieds opéré par Jésus comme symbole de la purification fondamentale qu’il va opérer en mourant sur la croix pour tous ceux qui croient lui (v. 6-8).
Serge Carrel
Notes
1 Sébastien Fath sur son blog : « Edwin Hawkins (1943-2018) ».
2 Denis-Constant Martin, Le Gospel afro-américain. Des spirituals au rap, Arles, Actes Sud, 1998, p. 93.
3 Noël Balen, Histoire du Negro spiritual et du Gospel. De l’exode à la résurrection, Paris Fayard, 2001, p. 232-234.