Alpha a fui la Mauritanie, Zimako le Nigéria. La menace de Daech a poussé le Kurde Amin, sa femme et ses trois enfants sur les routes, hors de leur ville de Mossoul, en Irak. L’Afghan Jaffar indique être en France depuis trois mois. Tous habitent des habitations improbables, faites de bâches, de palettes de bois, de toiles de tentes. Le froid sur ce bord de mer est mordant. Il pleut et le vent souffle de façon soutenue. Calais est la fin du voyage avant l’eldorado que représente l’Angleterre pour ces quelque 4500 migrants qui restent là en attente d’une hypothétique réponse positive à leur demande d’asile de la part du gouvernement anglais ou qui essaient de « passer » la Manche au péril de leur vie.
Eglise et mosquée rasées
Des échoppes, « restaurants » afghans ou pakistanais – 0.50 € le verre de thé ! – jalonnent l’artère principale de ce qui s’est organisé comme une ville. Au début du mois, un bulldozer a rasé l’église évangélique et une mosquée installées en périphérie de ce qu’on appelle la jungle de Calais. « Le jour de la destruction, chrétiens et musulmans du site étaient là. Ils se sont spontanément donné la main et ont prié ensemble », indique Fabien Boinet, pasteur de l’Eglise évangélique des Deux Caps de Calais (ADD) et instigateur de cette église qui vient d’être détruite. Ce samedi 13 février, elle renaît toutefois de ses cendres : un concert du groupe « Alleluia North Africa » sous la direction du chanteur Nahed célèbre sa remise sur pied à l’intérieur d’une large tente. Des chrétiens éthiopiens et érythréens sont venus tout exprès d’Angleterre pour soutenir les migrants de Calais et leur servir le repas traditionnel, l’injera.
Une envie de s’accrocher à la foi
« Il y a, dans cette population de migrants, cette envie de s’accrocher à la foi. Peu importe sa religion, commente sur place Fabien Boinet. Ils continuent à croire en Dieu même dans des conditions très pénibles. Une dizaine de mosquées cohabitent d’ailleurs aux côtés d’une église orthodoxe érythréenne et de notre église évangélique. » Le pasteur et une dizaine de bénévoles de l’Eglise des Deux Caps interviennent depuis un an et demi dans ce lieu désolé. « On a commencé et on continue à laver le linge des migrants, chrétiens comme musulmans. Puis on a mis d’autres projets en place, comme la distribution de 250 kilos de pain tous les deux jours et celle de bonbonnes de gaz. »
Nouveau coup de boutoir
Après avoir vécu douloureusement la destruction de deux lieux de culte au début du mois, et des habitations qui les environnaient, les habitants de la jungle viennent de connaître un nouveau coup dur : vendredi 12 février. Fabienne Buccio, préfète du Pas-de-Calais, a annoncé vouloir faire évacuer la partie sud du camp. Près de 1000 personnes seraient concernées, selon les autorités. A partir de lundi 15, ces migrants auront une semaine pour partir. La décision accable les habitants de la jungle et scandalise les différents bénévoles du site. « Seule une partie des personnes dont on va détruire les habitations pourrait intégrer des containers. Maintenant que les choses sont à peu près organisées de façon convenable pour l’hiver, c’est vraiment délicat. Et où iront les autres ? » interroge Fabien Boinet. « Et pour plusieurs migrants, ces containers rappellent des souffrances terribles. En Erythrée par exemple, certains d’entre eux ont été enfermés dans des structures métalliques similaires », lui fait écho son collègue Robert Despré, coordinateur de la toute nouvelle plateforme évangélique d’aide aux migrants, créée il y a 4 mois. La décision prise ne tient en outre aucunement compte de l’aménagement de lieux de vie communs, comme ceux créés par les migrants.
« Les aimer, simplement »
A l’intérieur de l’église de toile, le chanteur Nahed parle de ce Jésus qui n’avait pas d’endroit où reposer sa tête… « Malgré la pluie, la joie que Dieu nous donne, on veut la partager avec vous », lance-t-il au son de tambourins et de youyous. « Vous savez, ma première expérience avec des migrants remonte à plus de deux ans, indique encore Fabien Boinet. J’avais vu en pleine ville des gens dormir sur des palettes, sous des bâches. Ils n’avaient rien et m’ont offert un thé… Voir des gens aussi accueillants dans un endroit où ils n’étaient pas accueillis du tout m’a beaucoup touché. Cela a comme ouvert des portes à l’intérieur de moi et m’a motivé à faire quelque chose. Comme simplement les aimer ! »
Gabrielle Desarzens (de retour de Calais)
Sur cette question, la chronique de RTSreligion de Gabrielle Desarzens le mardi 16 février: "Nouvelle église dans la 'jungle' de Calais".