« Avant, j'étais dans le noir. Aujourd'hui, j'apprends à lire et à écrire en français et, grâce à l'éducation que je reçois, je découvre beaucoup de choses et je me sens sortir de l'obscurité. » Elisa, la trentaine, est originaire d'Afrique de l'Ouest. « J'étais vendeuse de bananes et d'ananas au village (2). Un jour, un touriste suisse a dit être amoureux de moi. Il m'a fait des papiers, et je suis arrivée ici. Mais sitôt dans un appartement, il m'a enfermée et m'a obligée à recevoir plusieurs hommes par jour. C'était tous les jours, pendant 4 mois, et je n'ai jamais pu sortir. Une fois, il a oublié de fermer la porte à clé et j'ai couru dehors. J'ai dormi dans la rue, sous un pont... C'était à Lausanne. J'ai atterri aux urgences du CHUV, où on m'a fait toutes sortes d'analyses, pour me dire à la fin que j'étais enceinte. »
Les faits remontent à 2007. Elisa a porté plainte, mais son abuseur n'a pas encore été arrêté.
Souffre-t-elle encore de ce qu'elle a vécu ? « J'ai vu dernièrement une émission à la télévision où une femme africaine disait n'avoir jamais eu la chance d'aller à l'école. Elle avait 7 enfants. J'ai eu les larmes aux yeux. Parce que je me suis vue en elle : j'étais pareillement démunie ! Mais maintenant, je peux dire où j'habite, indiquer mon numéro de téléphone, remplir un formulaire... J'ai récemment fait seule toutes les démarches pour inscrire ma fille aînée à l'école. C'était pour moi une grande victoire ! »
« Il faut du courage ! »
Elisa n'est jamais retournée en Afrique. Au bénéfice d'un permis de séjour depuis un an, elle indique avoir beaucoup changé ces cinq dernières années. « Après mon accouchement en 2008, je suis restée dans un foyer pour femmes à Lausanne avant de venir ici au Cœur des Grottes à Genève » (3). Elle dit y avoir trouvé comme une famille, glisse en souriant avoir aussi rencontré un Suisse avec lequel elle a eu un deuxième enfant ; et projette de faire une formation à la Croix-Rouge suisse « pour aider les personnes âgées ». Comme quoi « il y a une vie après la traite, reconnaît-elle, mais il faut beaucoup de courage ! »
Du courage, elle en trouve notamment en regardant ses deux filles, pour lesquelles elle souhaite des études et une bonne compréhension de leurs droits.
Et cette jeune femme d'ajouter spontanément : « Chaque jour, quand je me lève, je prie Dieu avant de sortir en lui demandant de prendre ma main dans sa main, de prendre la main de mes enfants dans sa main, et d'être présent dans ma vie. Et je suis dans la joie ! »
Gabrielle Desarzens
Participer à la journée nationale StopPauvreté 2013, le 2 novembre à Berne.
Notes
1 Prénom d'emprunt.
2 Voir un autre article de Gabrielle Desarzens sur ce sujet : « La traite des être humain au pilori » (avec une interview de Simonetta Sommaruga, conseillère fédérale).
3 Voir.