A Chavanne-près-Renens, la chapelle de la gare qui, depuis une cinquantaine d'années, sert de lieu de culte à l'Eglise évangélique « La Chapelle » (FREE) pourrait devenir une buvette. Monique Roggo, membre de l’équipe des responsables de cette Eglise, et Peter Randewijk, pasteur de la communauté, répondent aux questions de Serge Carrel sur les ondes de Radio R(1).
Serge Carrel – Comment avez-vous réagi à cet appel à projet, lancé le 26 avril dernier par la commune de Chavannes-près-Renens ?
M. Roggo – Ma première réaction a été : « Cette fois, ça y est ! » Voilà 28 ans que je fais partie de cette Eglise et que j’entends régulièrement : « Un jour, la commune de Chavannes va faire quelque chose ». Et là, c'est arrivé !
Il s’agissait donc d’une sorte d'épée de Damoclès qui pesait sur la communauté, liée à l'affectation future de cette chapelle située sur la place de la gare de Renens ?
M. Roggo – Oui. La chapelle doit être rénovée. Le toit a été refait l'année passée. Nous pouvions donc deviner que quelque chose allait suivre. Mais nous avons été surpris de nous retrouver devant un fait accompli, sans avoir été avertis.
Peter Randewijk, vous êtes d'origine hollandaise. Vous êtes le pasteur de cette Eglise depuis le début de l'année. Comment vivez-vous la perspective de servir dans une communauté qui pourrait éventuellement être privée de son lieu de culte ?
P. Randewijk – Je savais qu'il y aurait d'autres rénovations dans la chapelle. Je m’attendais à ce que nous devions à nouveau déménager provisoirement, comme lors de la rénovation du toit. Mais j’ai été surpris d’apprendre que nous risquions de perdre le lieu.
Comme je suis nouveau dans cette Eglise, je comptais prendre le temps de faire connaissance avec la communauté. Mais, maintenant, je dois me concentrer sur cette question d’affectation. Je vais m’employer à développer une bonne communication avec la commune de Chavannes-près-Renens.
La commune de Chavanne-près-Renens a donc lancé un appel à projet et, d'ici au 24 juin, plusieurs partenaires potentiels peuvent proposer des idées originales d’affectation de la chapelle. La rénovation devrait être terminée en 2024.
M. Roggo – C'est exact. L'Eglise ne va donc pas se contenter d’attendre et de voir ce qui se passe. Elle va également proposer quelque chose.
Certains ont déjà proposé de faire de la chapelle une ludothèque, une buvette ou une discothèque. Mais il est intéressant de constater que, dans l’appel à projet, il subsiste la possibilité de maintenir votre culte le dimanche matin.
M. Roggo – Nous sommes conscients de cette possibilité. En même temps, nous sommes déçus de constater que la fonction cultuelle de la chapelle n’est présentée que comme une possibilité éventuelle, en fonction du projet qui est proposé. Si la chapelle devait désormais abriter une ludothèque, nous pouvons bien imaginer tenir nos cultes dans ce lieu.
Cela dit, nous aimerions être une communauté qui rencontre la population de Renens. Nous aimerions que ce lieu reste central et qu’il ne soit pas seulement destiné au commerce.
Il est en effet important de rappeler que cette chapelle est ancienne. Elle a été construite en 1902 et elle témoigne d'une dynamique particulière au sein du protestantisme. Cette dynamique, vous continuez de l’incarner en tant qu'Eglise évangélique.
P. Randewijk – En 1902, cette chapelle a été construite pour l'Eglise libre, une Eglise protestante indépendante de l'Etat. Notre communauté n’est pas l’Eglise libre de l’époque, mais elle incarne encore aujourd’hui quelque chose de l’ancienne Eglise libre. Et cela fait quand même presque cinquante ans que nous faisons vivre cette chapelle avec des cultes.
Ce que la commune de Chavannes déplore, c'est le fait que la chapelle ne soit utilisée que le dimanche matin. Comprenez-vous cela ?
M. Roggo – Nous le comprenons bien. Mais comprenez aussi notre situation actuelle, avant les rénovations : le chauffage est situé sous des bancs qu’il est impossible de déplacer. Il n’est donc actuellement pas possible d’aménager la salle pour organiser des activités autres que le culte. Nous sommes coincés, et les rénovations permettront à l’Eglise de diversifier ses activités. Nous avons des envies et des projets.
J’ai découvert une situation assez cocasses. Actuellement, la commune de Chavannes permet à des artistes d’utiliser la chapelle. Mais, comme celle-ci ne dispose pas de sanitaires, les artistes utilisent les toilettes de l’appartement tout proche que l’Eglise loue, à ses propres frais, afin de disposer de locaux annexes.
P. Randewijk – Effectivement, un collectif d'artistes organise des événements dans la chapelle, et il y a même un artiste qui habite dans la chapelle. Ces gens nous ont demandé l’autorisation d’utiliser les sanitaires de notre appartement. Bien sûr, nous leur avons donné cette autorisation.
Il est tout de même un peu surprenant d’apprendre que que la commune n’a pas pris contact avec vous pour vous dire quelque chose du genre : « Nous avons autorisé un collectif d'artistes à utiliser la chapelle. Mais, comme celle-ci ne dispose ni de sanitaires, ni d’eau courante, nous nous permettons de vous demander si, par hasard, vous autoriseriez ces artistes à utiliser les sanitaires de l’appartement que vous louez à vos propres frais »...
P. Randewijk – C’est vrai ! Nous aurions souhaité une meilleure communication avec la commune. En particulier, nous aurions aimé qu’ils nous informent de leurs divers projets : « Voilà ce qui va se passer. Est-ce que vous voulez participer à ces activités ? »
Vous avez expliqué que l'Eglise s’apprêtait à déposer un projet d'ici au 24 juin. Est ce que vous auriez une ou deux précisions à donner, en lien avec ce projet ?
M. Roggo – Nous voyons deux possibilités. La première serait de collaborer avec d’autres organisations pour servir les jeunes de la commune et leur proposer certaines formations. La seconde serait d’ouvrir la chapelle et d’en faire un lieu d’accueil, par exemple pour servir des cafés à des personnes âgées, ou pour proposer les services d’un écrivain public. Dans le contexte très multiculturel de l'Ouest lausannois, cela pourrait être très d'utile.
Vous fourmillez d'idées, mais j'imagine que la commune va vérifier la faisabilité de vos projets. Serez-vous capables de tenir la route sur la durée ?
P. Randewijk – Je crois vraiment que nous sommes capables de proposer un projet qui serve à la fois notre communauté et la commune de Chavannes. Quant au réaménagement de la gare, il amène beaucoup de vie et de passage. Nous aurions la possibilité de servir les passants.
Cela dit, nous aimerions que cette chapelle garde un peu son âme, parce qu’elle a été construit dans un but cultuel. Cela n’empêche pas les activités culturelles, mais je serais gêné si ce bâtiment devenait un lieu purement commercial. En effet, la mise à l'enquête ne concerne pas que la rénovation, mais aussi la réaffectation de la chapelle. Comme pasteur, je pense que l'âme de cet endroit, c'est quand même de louer Dieu et d’aimer son prochain, pas forcément un lieu commercial.
Vous regrettez que la commune de Chavannes-près-Renens n'ait jamais pris contact avec vous, directement, pour vous informer de son projet. Comment expliquez-vous cela ?
M. Roggo – C'est un peu difficile à comprendre, parce que nous sommes facilement atteignable. Nous ne demandons pas à la commune de nous favoriser, mais juste de nous écrire ou de téléphoner. Je regrette ce manque de communication.
Cela signifie-t-il que, en tant qu'Eglise évangélique bien établie, vous n’avez jamais eu la possibilité d'être véritablement reconnus comme un partenaire de la commune ?
M. Roggo – Personnellement, je perçois que nous ne sommes pas vraiment des partenaire de la commune. La commune nous informe de ses décisions, mais je ne pense pas me tromper en disant que nous ne sommes pas reconnus comme un partenaire… alors que, dans les faits, nous sommes malgré tout un partenaire important.
P. Randewijk – Comme je viens d'arriver à Renens, je n'ai pas de recul historique à ce sujet. Nous avons quand-même des contacts indirects avec la commune, car un membre de l’Eglise siège au Conseil communal.
Cette personne est donc un partenaire de dialogue...
P. Randewijk – Effectivement, nous recevons quelques informations de sa part. Mais, comme nouveau pasteur, j'aurais besoin de plus d’informations concernant ce processus. J’ai bien compris que notre communauté ne doit pas trop s'installer dans la chapelle, et nous avons du reste trouvé un lieu de remplacement durant la réfection du toit. Mais nous vivons dans l’insécurité, ne sachant pas si nous allons devoir trouver un autre lieu.
Il est important de rappeler que vous collaborez avec les Eglises et les paroisses de la région. Et, durant toute une période, vous avez organisé vos cultes dans la maison de paroisse de l'Eglise réformée.
P. Randewijk – Nous avons effectivement d’excellentes relations avec les autres Eglises : la communication fonctionne, et celles-ci nous ont beaucoup aidés. Mais nous restons un peu une Eglise en exil, et il est difficile de développer de nouveaux projets lorsque nous ne savons pas où nous serons dimanche prochain.
Vous vous qualifiez d’« Eglise en exil ». Serait-il possible que le cœur de l'identité de cette Eglise soit d'être sur un lieu de passage, mais aussi une communauté dont l’avenir n'est jamais assuré ?
P. Randewijk – C’est bien possible. Et c'est une jolie métaphore de la vie chrétienne. Nous sommes tous en exil, dans une certaine mesure. Nous sommes étranger dans ce monde. Mais nous sommes aussi là pour amener le royaume de Dieu. Et c'est ce que nous voulons faire. Si nous devions connaître un exil au sens littéral, nous poursuivrions bien sûr notre mandat. Mais nous avons aussi beaucoup d'idées pour le futur dans cette chapelle.
Monique Rogo, pourquoi êtes-vous très attachée à ce lieu ?
M. Roggo – D’abord, je me rappelle de l'accueil que j'ai reçu dans cette chapelle, il y a 28 ans. Et cet accueil demeure. Vous ne pouvez pas venir dans notre Eglise sans que quelques personnes s’intéressent à vous. Cela, c'est probablement un point fort.
De plus, lorsque j'ai lu l'appel à projet, j’ai pensé : « Ça va nous obliger à chercher comment accueillir les gens de l'extérieur. La place de la gare est un lieu magnifique : des milliers de gens la traversent chaque jour, beaucoup sont étrangers et parlent toutes sortes de langues. Comment les accueillir quelques minutes et leur offrir la possibilité de se ressourcer avant de repartir ?
Et il semble que, régulièrement le dimanche matin, des gens entendent des chants et ouvrent la porte...
M. Roggo – Effectivement. Et je trouve ça magnifique. Je m’occupe régulièrement de l'accueil et, le dimanche de Pentecôte, j’ai vu arriver un monsieur. Il a sorti son téléphone et a commencé de parler en chinois – son téléphone traduisait ses paroles. Il m’a dit : « C'est Pentecôte et je cherche une Eglise pour fêter Pentecôte ». Grâce à son téléphone, je lui ai répondu : « Bienvenue, nous sommes une Eglise évangélique ! » Ce n'est pas rare, ce genre de rencontres.
Pourrions-nous dire que cette petite communauté chrétienne exerce une fonction sociale et interculturelle ?
P. Randewijk – C'est sûr ! L’Eglise est ouvert à tous. Quant à la population de Renens et de Chavannes, elle est constituée d’une multitude de cultures et de langues. Je rêve d’une communauté multiculturelle et multilingue, et je vois venir à nos cultes des gens d’arrière-plans très divers : plusieurs langues et plusieurs cultures sont représentées.
Si les choses se passaient mal, et qu’il devienne impossible de maintenir vos culte dominicaux dans cette chapelle, comment réagiriez-vous ?
P. Randewijk – Nous ne désirons pas nous victimiser. Par contre, une telle situation constituerait une grande déception pour nous. En effet, cette chapelle fait partie de l'ADN de l’Eglise : l’une ne va pas sans l’autre. Nous pourrions bien sûr trouver un autre lieu, mais l’Eglise serait différente.
M. Roggo – Personnellement, j'aime beaucoup cette chapelle. Je pense qu'elle a sa place, et que la communauté devrait rester là. Mais si cela était impossible, alors j'espère que l’appel à projet ouvrirait une nouvelle porte pour nous. Nous devrions trouver comment notre communauté se mettrait au service du quartier.
Mais je trouverais dommage que cette chapelle devienne un lieu purement commercial. Car son apparence restera celle d’une chapelle, qu'on le veuille ou non. Les passants continueront de la voir ainsi. Il serait donc dommage qu’elle perde sa fonction cultuelle.
Cet appel à projet de la commune de Chavannes ne vous oblige-t-il pas à repenser votre projet d'Eglise ? Cela n’a-t-il pas l’avantage de vous contraindre à une réflexion qui n’aurait pas eu lieu autrement ?
P. Randewijk – Tout à fait ! Nous voyons la main de Dieu dans ces événement. Cela nous oblige à réfléchir, à sortir de nos cadres et à chercher comment fonctionner après la rénovation de la chapelle. Et reconnaissons que cette rénovation peut élargir le champs des possibilités pour notre communauté.
D'après ce que montrent les plans d’architecte, la chapelle n’aura plus de bancs fixés au sol. Elle offrira un espace complètement ouvert, permettant d’organiser toute sortes de rencontres sans subir les contraintes d’un lieu de culte classique.
P. Randewijk – Effectivement. Et nous avons écrit à la commune pour l’informer de notre satisfaction à ce sujet. Le projet est très intéressant : il y aura plus de place, une petite scène à l’extérieur, sur la place de la gare, ainsi que des sanitaires. Actuellement, sans sanitaires, nous ne pouvons rien faire.
Et la commune précise que la chapelle rénovée autorisera l'accueil de deux cent personnes, alors qu'actuellement vous êtes limités...
P. Randewijk – Oui, actuellement nous n’avons pas la possibilité d’accueillir plus de cinquante personnes, ce qui est un peu juste. Nous sommes souvent proches de cette limite.
Ce bâtiment a été construit pour louer Dieu, au centre de la ville. Quand on entre dans la chapelle, la hauteur du plafond attire nos regards vers le haut. Tant d'Eglises évangéliques se réunissent dans des zones industrielles, à l’écart. Et notre Eglise se réunit au centre de la ville. Cela me passionne, et j'aimerais bien conserver cette identité.
(1) Mise par écrit d’une interview menée par Serge Carrel, dans l’émission « Un R d’Actu » sur Radio R (radio-r.ch). Vous pouvez retrouver le son de cette émission à l’adresse suivante : https://smartlink.ausha.co/un-r-d-actu-1/l-eglise-evangelique-de-chavannes-pres-renens-bientot-sans-lieu-de-culte
Site internet de l’Eglise évangélique « La Chapelle » : www.chapellechavannes-renens.ch
Site internet de Radio R : https://radio-r.ch