Le Sermon sur la montagne est une collection de paroles de Jésus rassemblées par l’évangéliste Matthieu entre les chapitres 5 et 7 de son évangile. Cette collection est présentée, avec des nuances et en ordre plus dispersé, par l’évangéliste Luc (chapitres 6, 9 et 11 à 13). On la lit en une vingtaine de minutes, mais loin d’être un « sermon », il s’agit plutôt d’un résumé de l’enseignement de Jésus.
Ce texte, parmi les plus beaux et les plus forts de l’humanité, aurait tout pour être admiré, si l’application de ses préceptes n’avait pas été controversée, voire jugée dangereuse par certaines personnes au pouvoir. Dans une vieille Bible allemande, se trouve une gravure de Schnorr von Carolsfeld : dans le coin à droite, un soldat écoute Jésus enseignant sur la montagne, mais avec la main, il tient son épée... C’est que Jésus ne laisse pas d’alternatives. Il nous demande d’aimer son projet, le Royaume, avant toute autre chose : sa nation, sa famille, l’argent, son honneur, ses réserves, etc. L’enseignement de Jésus bouscule.
C’est Jésus qui commande
Les anabaptistes communautaires, face aux autorités devenues réformées de Suisse, invoquaient ces chapitres, éclairés par d’autres textes et la mort et la résurrection de Jésus, pour légitimer leur attitude. Avant eux, c’étaient les vaudois, les amis de Pierre Valdo, et avant eux, d’autres encore. C’est Jésus lui-même, repris par l’autorité apostolique, qui commande ; c’est à son autorité et pas à une tradition humaine qu’il faut obéir. C’est ce qu’ils opposent aux juges, aux bourreaux et à la population pour justifier certaines actions. Aucune famille chrétienne n’écarte ces textes de sa Bible, mais certaines en réduisent la portée en les réservant aux relations entre personnes et non en société, ou relativisent le caractère obligatoire de sa mise en pratique. Même les descendants des anabaptistes le feront ici et là. Car cet héritage n’appartient en fait qu’à ceux qui le mettent en pratique.
Sans en avoir l’air, cette collection de paroles de Jésus présente la vision d’un monde plus juste et propose une manière d’y parvenir. Jésus de Nazareth, appelé le Messie-Sauveur par certains, cherche des disciples et c’est cet enseignement que présente le Sermon sur la montagne. Il aborde des domaines capitaux : la justice, la réconciliation, les relations entre hommes et femmes, le rapport au travail et à l’argent, à côté de la prière, du jeûne...
De ce texte, les anabaptistes ont retenu entre autres choses le refus de porter des armes physiques et le seul recours à la confrontation aimante pour lutter contre le mal. Si Jésus, le maître, qui demande une telle attitude, n’était pas ressuscité des morts, ce serait la plus mauvaise nouvelle qui soit... Mais voilà, selon les évangélistes, Dieu l’a ressuscité et il vit et règne aujourd’hui.
Qui est capable ?
« Vous vous croyez meilleurs que nous ! » disaient certains, plus ou moins contrariés, aux anabaptistes. Paradoxalement, certains se croyaient meilleurs et le disaient. Au lieu de dire le désaccord, voire de dénoncer la lecture arrangeante de ces textes, ils se vantaient d’être « meilleurs ». « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? », disaient alors à juste titre des Réformés aux anabaptistes. En effet, personne ne peut s’enorgueillir du Sermon sur la montagne, car nous resterons toute notre vie des apprentis de l’obéissance aux commandements d’amour. On a le droit de dire son désaccord sur des manières de comprendre la Bible. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas prendre ces commandements au sérieux et y conformer sa vie. Il convient de changer les mauvaises habitudes.
Mais le débat reste : pourquoi Jésus est-il venu ? Nous sauver individuellement, nous sauver aussi dans notre vie sociale, nous faire vivre l’exemple d’un nouveau peuple international parmi les peuples de la terre ? Remarquons que c’est pour corriger de fausses idées sur les raisons de sa venue que cette collection de paroles de Jésus a été dite (voir Matthieu 5.17ss). « N’allez pas croire que je sois venu pour abroger la Loi... je suis venu » pour lui rendre son sens plein (« accomplir la loi et les prophètes »). Le danger est réel que Jésus ne soit venu que pour nous acquérir le pardon et pas pour nous inspirer et nous transformer.
Une nouvelle alliance
Le Sermon sur la montagne constitue une charte pour une société guérie, une nouvelle alliance avec des personnes en recherche. Avez-vous remarqué que « sur la montagne », c’est un peu comme au Sinaï, là où Moïse a reçu et donné au peuple les tables de la loi ? Ici, c’est même un dépassement : le Fils de Dieu lui-même est l’intermédiaire et l’agent de l’alliance avec le nouveau peuple de Dieu. C’est un recommencement (voir 4.23 à 5.2). Jésus est sur la montagne ; le peuple, des gens perdus et insatisfaits venant de partout, retrouvent un nouvel appel à devenir le peuple de Dieu, lumière et sel de la terre. Nous le saurons plus tard dans l’Evangile : Jésus scellera de sa propre vie, de son propre sang, la nouvelle alliance avec ce peuple en marche.
La jubilation du Roi-Sauveur
Cette charte est précédée d’un cri de joie du Seigneur à la vue de ces gens rassemblés. C’est plus qu’un appel au bonheur, c’est la jubilation du Roi-Sauveur qui voit que les choses commencent à se réaliser par sa venue et par ceux qui le suivent. C’est un appel à une conversion intelligente. Sept ou huit fois, il dira « heureux » ou « en marche » comme le traduit le juif André Chouraqui. En marche, tous ceux qui revêtent une certaine qualité humaine ou entreprennent certaines actions.
Ces caractéristiques sont un portrait de Jésus lui-même. Il ne s’agit pas ici de ses titres, mais du genre d’homme parfait qu’il a été. Pauvre de cœur, doux (ou non-violent), se laissant affecter par l’injustice, ayant faim et soif de justice, le cœur penché vers la misère des autres, le cœur pur, activiste de la paix, acceptant de souffrir pour la justice... Il est le premier-né et le prototype d’une nouvelle création qui prend forme. Ce sera le travail du Saint-Esprit de nous transformer à son image. Un travail jamais terminé…
Je partage l’opinion de certains spécialistes qui pensent que ce texte faisait partie de ce à quoi s’engagent ceux et celles qui demandent à être baptisés. Nous sommes devant une catéchèse de l’Eglise primitive. Jésus est sérieux avec ce qu’il demande et nous nous y sommes engagés dans notre vie. Heureux, car le Roi-Sauveur est là et avec nous, parce que vient le Royaume.
Une nouvelle ère
Pourquoi sont-ils dits « heureux » ? Parce que « ça commence ». « Ça », c’est la vision des « derniers temps » promis par les Ecritures, temps où le monde entier entendra la bonne nouvelle et où la loi sera inscrite dans les cœurs (Jérémie 31, Ezéchiel 34, 36, 43, Esaïe 2, etc.). Ils sont heureux, car « le Royaume vient », le Roi est présent.
Le Royaume ne vient pourtant pas à la manière des politiques humaines. Il commence dans les cœurs et gagne les situations concrètes par l’amour et l’appel à la repentance, strictement.
Ainsi, Jésus précisera au chapitre 5 de Matthieu ce qu’est la volonté de Dieu dans différentes situations classiques de la vie humaine, et valable également en temps d’occupation par des troupes étrangères : comment avoir soin des relations et vivre réconciliés, comment avoir de bons rapports entre femmes et hommes, comment parler sans tromper, comment faire face aux méchants et aux armées étrangères, comment se positionner face aux ennemis.
Une spiritualité correspondante
Le chapitre 6 dit que pour mettre cela en pratique, il faut une spiritualité qui sorte les gens de l’anxiété et de l’hypocrisie, y compris religieuse, qui les mène par le bout du nez. Jésus parlera du type de prière, de jeûne et d’offrande qui vont avec son programme... Il parlera également de l’avidité et de l’anxiété, c’est pourquoi il abordera la gestion de l’argent en général et des offrandes en particulier. Au cœur de ce chapitre, et du « sermon », il y a le « Notre Père », car c’est le Seigneur qui est au cœur de la foi et non pas une idée ou une utopie.
Dans le dernier chapitre (7), afin que tout le monde comprenne qu’il est sérieux avec ce qu’il demande, Jésus aborde des questions concernant la mise en pratique ou non. Il répond à des questions et à des excuses qu’il sent venir chez les disciples. Car nous sommes de remarquables chercheurs d’excuses, lorsque Jésus nous demande quelque chose. Nous aurons nos « oui, mais », nos « mais, si... ». Finalement, Matthieu conclut sa collection en rappelant qu’il nous faut de l’entraînement dans l’obéissance à Jésus et que le « rocher » sur lequel il faut construire pour résister à la tempête qui vient, c’est la mise en pratique de l’enseignement qu’il a donné en Matthieu 5 à 7.
En pratiquant ce qu’il enseigne, Jésus nous dit que nous sommes (notez le présent !) « sel de la terre » et « lumière du monde ». Nous ne pouvons donc pas ne pas être vus ! « Voyant vos bonnes actions », les humains « rendent gloire à votre Père » (5.16). En route donc, car Jésus est le Roi-Sauveur.
Claude Baecher, professeur et directeur du CEFOR (Bienenberg)
Cet article est une reprise adaptée d’une contribution publiée dans le journal des Eglises mennonites suisses « Perspective ».