Comment célébrer un culte en ligne sans perdre son âme ou son corps

W. David O. Taylor mardi 05 mai 2020

Voilà bientôt une dizaine de semaines que nombre d’Eglises ont fait le saut de la diffusion online. Nous vous proposons 8 conseils pour gérer cette nouvelle technologie qui a pris sa place dans l'Eglise dans une période où la distanciation sociale est de mise et où elle pourrait le rester pendant un certain temps encore. Cet article est signé W. David O. Taylor. Il est paru sur le site de « Christianity Today », un magazine évangélique américain.

Le culte de nombreuses Eglises a été radicalement perturbé par l'arrivée du COVID-19. Alors que certaines utilisaient déjà régulièrement des moyens de diffusion tels que la projection d’un orateur sur grand écran, le streaming et l'envoi de textos pendant une prédication, d'autres sont perturbées par ce changement qui entraîne des célébrations plus dépendantes de la technologie. Pour ces dernières, les adaptations technologiques suite à la mise en place de la nécessaire distanciation sociale sont ressenties comme un déni de leur identité liturgique.

La relation des Eglises aux nouvelles technologies dans le culte a longtemps été l’occasion d’un fossé marqué. Certains font preuve d’un enthousiasme sans bornes et d’autres d’une antipathie viscérale et on peut imaginer que les uns et les autres se répartissent à parts égales entre ces deux camps. Même le rétroprojecteur démodé dont je m’occupais fièrement pour notre Eglise lorsque j'étais adolescent a été ressenti comme une menace par beaucoup à l'époque. Pourtant, il est utile de voir ce qui peut être fait, par la grâce de Dieu, grâce à une foule d'options technologiques pour approfondir nos célébrations, même si nous ne les utilisons que jusqu'à ce que le coronavirus ait fait son temps.

Bien que la liste de conseils suivante ne soit pas exhaustive, elle devrait offrir une aide pratique aux pasteurs et aux responsables de louange qui souhaitent apporter un soin liturgique et pastoral à leurs assemblées en ces temps étranges et exigeants.

1. Il s'agit d'une transposition, pas d'un transfert

La première fois que j'ai enseigné un cours en ligne au « Fuller Theological Seminary », je me suis senti idiot. N'ayant jamais suivi un seul cours en ligne en 15 ans d'études supérieures, je n'avais aucune idée de ce qu'il fallait faire, et je n’étais pas à l’aise avec ce travail. J'ai aussi commis une erreur de débutant : j'ai enseigné mon cours en ligne exactement de la même manière que mes cours en présentiel.

Comme je l'ai appris des experts de l'éducation en ligne, l'enseignement online n'est pas un transfert direct de matériel d'un support ou d'une manière d’enseigner à une autre. Il s'agit d'une transposition du matériel. Si, par exemple, je donne un cours de 40 minutes en classe, je ne devrais pas enregistrer une conférence vidéo de 40 minutes et attendre de mes étudiants qu'ils découvrent le contenu de la même manière.

C'est la différence entre l’enseignement qui se fait de manière incarnée et l’enseignement de manière désincarnée, entre un dialogue et un monologue, et entre le fait de sentir ce qui se passe dans une salle de classe et d'envoyer un message unidirectionnel sur Internet. Pour le dire en termes musicaux, comment transposer ce que nous faisons normalement à l’occasion d’un culte en présentiel dans cette nouvelle « clé » marquée par la technologie ?

Si, dans votre Eglise, vous êtes habitué à entendre les participants crier « Amen » ou « Oui, Seigneur » à quelque chose que vous avez dit, pensez à inviter vos fidèles à envoyer des textos ou à utiliser un chat en temps réel pour avoir l'impression qu’ils sont toujours avec vous. Si, normalement, vous dirigez la communauté dans la prière, invitez les membres de l’Eglise à envoyer leurs sujets de prière à l'avance, afin que vous puissiez inclure leurs demandes actuelles et peut-être intercéder pour les personnes par leur nom. Vous pouvez également envisager d'enregistrer votre prédication à l'avance et demander à votre Eglise de l'écouter avant le culte du dimanche, afin de pouvoir passer du temps en direct pour répondre aux questions qu'ils pourraient avoir à ce sujet. Cela pourrait rendre cette expérience plus dynamique.

2. Faites du culte une affaire personnelle !

Une rencontre face à face, c’est ce qui est promis dans la gloire à ceux qui auront cru (1 Co 13.12) et c’est ce que Paul aurait souhaité vivre avec les chrétiens de Corinthe (2 Co 10.1). C'est l'idéal pour le culte. Mais puisque nous sommes confrontés à des circonstances qui ne sont pas idéales, comment pouvons-nous encourager une célébration personnelle, alors que celle-ci est en grande partie médiatisée via un écran ?

Si vous diffusez votre culte en direct, donnez aux participants l'occasion d'interagir entre eux pendant une ou deux minutes : avec leur famille ou leurs amis qui regardent le flux ensemble derrière un même écran, par le biais d'un chat en ligne ou par SMS, ou alors peut-être au travers d’une série de questions liées à votre prédication. Vous pouvez également demander à certaines personnes de votre communauté de préenregistrer un témoignage à propos de la fidélité de Dieu dans ces moments difficiles et le partager pendant le culte. Vous pouvez aussi faciliter cet échange en créant des hashtags que les gens pourront utiliser lorsqu'ils partageront quelque chose sur Instagram, Facebook ou Twitter.

Laura de Jong, pasteur dans la « Second Christian Reformed Church » à Grand Haven, dans le Michigan, propose cette idée : « Ce que nous aimerions faire, c'est que les membres s'enregistrent eux-mêmes en lisant des parties de la liturgie que nous leur envoyons à l'avance et nous proposerons des liens vers ces vidéos durant le culte. Nous sommes conscients que tout le monde ne sera pas suffisamment au point techniquement pour suivre les liens, mais nous espérons que la plupart des gens pourront y accéder. De cette façon, notre communauté pourra continuer à s’enrichir mutuellement par le culte et avoir la possibilité de voir certains visages qui nous manquent. »

3. Faites de votre ministère quelque chose d’ambulant !

Parcourir l'histoire de l'Eglise donne des perspectives. Le spécialiste de la liturgie Aidan Kavanagh, dans son livre « On Liturgical Theology », écrit qu'avant l'ère de la presse écrite, le culte était principalement écouté et non lu, actif et non statique, et bien plus dynamique – peut-être même plus désordonné – que ce à quoi nous sommes habitués actuellement. Avant le VIe siècle, par exemple, les chrétiens « se réunissaient liturgiquement dans des maisons (tituli), sur des forums, sur des places, dans des centres d'aide sociale (diaconiae), dans des rues, des tombeaux, des cimetières et des cathédrales. Leur culte envahissait des villes entières ainsi que leurs banlieues, et devenait une fête mobile qui durait la majeure partie de la journée ».

Et si les temps étranges que nous vivons étaient une occasion de célébrer le Seigneur en se déplaçant. Vous pourriez prendre une vidéo d'une ou deux minutes chaque jour sur votre smartphone – que ce soit à votre bureau, dans votre jardin ou dans la rue – et l'envoyer aux membres de votre Eglise. Vous pourriez y inclure une pensée du jour tirée des Écritures, un mot d'encouragement ou une brève histoire.

Charles Spurgeon, alors qu'il servait comme pasteur et que sévissait à Londres en 1854 une importante épidémie de choléra, a fait la remarque suivante : « Toute la journée, et parfois toute la nuit, je me déplaçais de maison en maison... et comme les membres de mon Eglise étaient heureux de voir mon visage ! Si cela est possible et sans danger, envisagez de faire des visites à domicile, de saluer les gens devant leur maison ou de les bénir par la fenêtre.

Le 15 mars dernier, l'Eglise anglicane « Christ Church » à Austin a organisé un service religieux dans les parcs publics de toute la ville. Cela a permis de maintenir une distanciation sociale appropriée et de se rassembler en petit nombre pour la louange et la prière. Cela a également permis au culte public d'être vraiment public, comme c'était le cas dans les premiers siècles de l'Eglise médiévale.

4. Gardez le tout dans la bonne humeur !

Il n'y a pas de mal à se tromper les premières fois que vous essayez une nouvelle technologie. Les personnes particulièrement inquiètes peuvent être bénies par des moments de légèreté et de rire.

Ron Rienstra, professeur d’homilétique et de liturgie au « Western Seminary », encourage à faire de ce temps particulier une occasion de créativité et d'expérimentation. Essayez de nouvelles choses sans viser la perfection. Si vous vous trompez devant la caméra, n'essayez pas de le cacher. Si cela devient gênant à un moment donné, ce n'est pas grave. Partagez des moments de joie grâce à des vidéos amusantes ou créez vos propres clips amusants à partager sur les réseaux sociaux.

5. Devenons physiques !

Si notre objectif est de favoriser la participation pleine, consciente et active des membres de l’Eglise au culte, alors nous devrions chercher des moyens de faire participer les gens activement, plutôt que passivement. Comment s’opposer à l’attitude de spectateur que le fait d'être assis devant un écran peut engendrer en nous ? Faites bouger votre corps !

Nous entrons dans la louange avec des corps sains et entiers, ou nous le faisons avec des corps brisés et déprimés. Nous adorons Dieu avec des corps qui ont été touchés ou avec des corps qui ne l'ont pas été. Ce que nous faisons avec notre corps est important. Donc si vous chantez en direct pendant un culte, invitez les personnes qui sont chez elles à chanter avec vous. Si vous priez, invitez les gens à se tenir la main ou à se prendre par les épaules chez eux. Si votre Eglise s'agenouille pendant la confession lors d'un culte particulier, encouragez les gens à faire de même chez eux.

Si les participants au culte se sentent perturbés par le fait d’être cloîtrés chez eux, invitez-les à faire des promenades de prière dans leur quartier et à s’imprégner de la beauté de la création de Dieu. Si cela ne leur semble pas sûr pour leur santé, invitez-les à regarder par la fenêtre les petits détails de la nature qui témoignent de l’extraordinaire sollicitude de Dieu.

6. Soyez présents au présent !

Un de nos besoins humains fondamentaux, c’est la présence physique, mais cela peut aussi intervenir d’une autre manière. Comme le fait remarquer Lester Ruth, professeur d'études liturgiques à la « Duke Divinity School », « il n'y a qu'une seule réalité liturgique : le Christ est présent. Il peut prendre et prend effectivement de nombreuses formes. Conscient de cela, je doublerais les visites pastorales, même si elles se font avec des moyens passés de mode : des appels téléphoniques ou des lettres écrites. Avoir des contacts vaut mieux que de ne pas en avoir du tout. »

Envisagez d'utiliser FaceTime pour entrer en relation avec les personnes confinées ou l'application Marco Polo pour envoyer et recevoir des messages vidéo en temps réel. Demandez aux membres de votre Eglise de poster des photos ou de réaliser de courtes vidéos de leur vie familiale et de les partager sur les médias sociaux de votre Eglise pour rester en relation les uns avec les autres. Invitez les artistes de votre communauté à créer des œuvres qui répondent aux questions que les gens se posent actuellement, puis à les partager avec la communauté. Ce sera un moyen de donner du sens et de réconforter, quand tant de ce que nous voyons dans les informations renvoie à la peur, à la rareté et à l'égoïsme. Il peut s'agir de chansons, de poèmes, de peintures, de vidéos ou d'histoires. Et si c'est possible, payez-les pour leur travail !

7. Souvenez-vous des plus petits !

Si vous diffusez votre culte en direct, il y a de fortes chances que de nombreuses familles soient assises à la maison derrière leur écran. Ces adultes sont entourés de bruits d’enfants qui les interrompent, qui ont la bougeotte et dont la capacité à être attentifs est courte et fracturée. Pensez donc à des moyens de prêcher à ces personnes réelles dans leur situation réelle !

Vous pourriez enregistrer votre prédication et l'envoyer plus tôt pour que les gens puissent l'entendre au cours de leur semaine. Ensuite, pendant votre temps de culte habituel, le dimanche, faites quelque chose de différent, par exemple donner une prédication adaptée aux enfants, pleine d'accessoires, d'histoires et d'exemples concrets. Envisagez de faire appel aux personnes créatives de votre Eglise pour produire du matériel tout au long de la semaine à l'intention des parents qui, avec l’arrêt de l'école, pourraient se trouver dans une situation désespérée et avoir besoin d'aide pour gérer la « folie domestique ». Invitez les enfants à prendre des photos d’objets de leur foyer qui rappellent l'amour de Dieu, puis invitez-les à demander à leurs parents de partager ces photos sur les médias sociaux de l'Eglise.

Pour notre Eglise à Austin, j'ai enregistré une vidéo dans laquelle je me suis fait passer pour M. Rogers (une personnalité de la TV américaine, animateur d’émissions pour enfants). J'ai raconté l'histoire de la rencontre de Jésus avec la femme du puits de l’évangile de Jean au chapitre 4 et j'ai utilisé des marionnettes pour la mettre en scène. Sans répétition et avec seulement deux prises – la première était hilarante et pleine de larmes –, c'était une façon amusante d'apporter à la fois de la joie et une leçon sur la façon dont Jésus peut satisfaire les soifs de nos cœurs.

8. Rappelez-vous de « l’un de ces plus petits » !

J'ai découvert récemment que mes réserves face aux nouvelles technologies reflétaient une ignorance embarrassante de la façon dont ces technologies peuvent être au service des sourds, des personnes âgées, des personnes confinées à la maison, des malades et de leurs proches aidants, des croyants persécutés, des personnes sans moyens de transport, des personnes gravement handicapées et de celles qui ont des styles d'apprentissage différents.

Ne vous demandez donc pas comment cette période d'expérimentation va rendre les gens plus dépendants de technologies désincarnées, mais plutôt comment elle peut attirer votre attention sur les gens de votre communauté qui seront bénis à long terme par les ajustements que vous ferez pour servir tout le monde dans le cadre du culte.

Aussi remonté et méfiant que je puisse être par rapport à l'utilisation excessive de la technologie, moi qui suis un partisan d’un culte profondément incarné, je me suis surpris à être excité par la manière dont la technologie peut approfondir notre louange à Dieu et nous unir en tant que corps du Christ en ces temps particuliers.

Jésus nous offre une chance de nous connecter plus intentionnellement aux membres de l'Eglise mondiale, et de nous occuper aussi de leurs joies et de leurs peines. Il nous offre la possibilité de comprendre ce que signifie être une Eglise en exil. Nos faiblesses et nos fragilités deviennent des occasions de refléter la grâce de Dieu. Et Jésus nous offre une occasion de ressentir de l'empathie pour les communautés minoritaires dont l'impuissance les contraint à reconnaître plus facilement la puissance de Dieu.

Comme le sabbat, il est important de se rappeler que la technologie est faite pour les humains, et non les humains pour la technologie. Il n'y a pas d'approche unique. Il est normal de se tromper et d'essayer à nouveau. Nous apprenons les uns des autres et nous dépendons les uns des autres d'une manière que notre vie souvent confortable peut nous empêcher de découvrir.

W. David O. Taylor

 

Cet article est paru sur le site de « Christianity Today », un magazine évangélique américain. Il était intitulé: « How to Lead Online Worship Without Losing Your Soul - or Body ».

  • Encadré 1:

    W. David O. Taylor en bref

    L’auteur de cet article enseigne la théologie au « Fuller Theological Seminary ». Il est l'auteur de « Open and Unafraid : The Psalms as a Guide to Life » (Thomas Nelson) ainsi que d'un ensemble de cartes de prières illustrées de Psaumes.

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