Pour Amnesty International, le pasteur protestant évangélique Norbert Valley est un exemple de la criminalisation de la solidarité que développe actuellement nombre de pays européens. Dans un rapport intitulé : « Compassion sanctionnée : la solidarité devant la justice au sein de la forteresse Europe », l’ONG de défense des droits humains a invité le pasteur de la FREE à sa conférence de presse du mardi 3 mars à Berne. Il y a évoqué sa condamnation par la justice neuchâteloise à 1000 francs d’amende avec sursis et à 250 francs de frais de justice. « Je suis très reconnaissant qu’il y ait des gens qui se battent contre la criminalisation de la solidarité, a ajouté Norbert Valley, et d’être soutenu par une telle organisation. Pour moi, cela m’encourage beaucoup ! »
Seuls les passeurs devraient être visés par la loi
Par ailleurs, le rapport d’Amnesty « Compassion sanctionnée » mentionne le pasteur de la FREE dans une partie consacrée à la Suisse. A côté de chapitres dévolus notamment à la France, à la Croatie et au Royaume-Uni, le chapitre consacré à la Suisse relève les carences de notre législation. Notamment l’article 116 de la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) qui ne mentionne pas que ce qui constitue un délit, c’est de tirer un bénéfice matériel ou financier dans la facilitation de l’entrée ou du séjour illégal d’un migrant. « Ce qui n’est pas en accord avec le Protocole de l’ONU sur les passeurs », ajoute le rapport. Celui-ci déplore ensuite que la loi suisse « ne ménage pas de dérogations humanitaires qui excluraient les actes de solidarité de toute poursuite judiciaire. »
Une loi qui manque sa cible !
En 2018, 972 personnes ont été condamnées pour la violation de l’article 116 de la LEI. Seuls 32 cas concernaient des passeurs ou des personnes tirant profit de cette activité. En dehors de 58 autres jugements liés à des activités rémunérées illégales, il existe un certain flou sur les raisons de la condamnation de ces quelque 900 autres personnes, faute de justifications précises du côté de la confédération et des cantons. En 2018, ces 900 condamnations semblent avoir été prononcées contre des personnes agissant par solidarité, par compassion, par devoir familial ou par désir de mariage. Dans ce dernier cas, des conjoints avec des papiers en règle en Suisse font de l’« autodénonciation » lorsqu’ils se présentent devant l’état civil pour se marier. Vu l’absence de statut juridique de leur conjoint, ces personnes se voient automatiquement sanctionnées par une amende. « Deux tiers des personnes condamnées sont d’origine étrangère avec des papiers en règle, a précisé Manon Schick, la directrice d’Amnesty International Suisse. Contrairement à Norbert Valley, ces personnes ont peur de s’opposer aux amendes à cause de leur statut juridique de non-Suisses en Suisse. »
La Suisse, mouton noir de l’Europe !
Avec sa législation rigide qui ne prévoit pas d’exception pour les personnes qui agissent pour un motif honorable, la Confédération suisse est de plus en plus un cas particulier en Europe. La France, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Suède, le Portugal, la République tchèque, la Pologne, la Roumanie, Malte et Chypre prévoient une exemption de peine s’il y a motif humanitaire dans l’aide apportée au séjour illégal.
Amnesty International espère que le débat parlementaire sur l’initiative de Lisa Mazzone qui devrait avoir lieu le 4 ou le 9 mars prochains permettra de remédier à cette carence de la loi. « Nous exhortons le Parlement à changer la législation, a lancé Reto Rufer, expert sur les questions d’asile à Amnesty International Suisse, pour que seules les personnes qui tirent un profit matériel injuste de l’aide aux personnes sans statut légal soient condamnées. »
Serge Carrel
Lire le rapport d’Amnesty International en anglais : « Compassion sanctionnée : la solidarité devant la justice au sein de la forteresse Europe ».