Vous avez déclaré haut et fort fin novembre dans le cadre de l’émission Forum de la RSR que vous étiez un « protestant évangélique ». Quelles réactions une telle déclaration a-t-elle suscitées ?
Je n’ai reçu aucun retour négatif. Des gens proches dans la foi ont réagi très positivement. Par rapport à Nestlé, je précise que cela concerne ma vie privée, que c’est un engagement personnel et cela passe bien. A chacun de se lever dans son environnement professionnel et de faire sa part. Si certains bénéficient d’un peu de visibilité, il est important de témoigner de ses convictions de manière décomplexée. A mon sens, que des évangéliques se profilent notamment dans les médias, c’est bien !
Le fait d’avoir affiché mes convictions chrétiennes m’a aussi valu des contacts particuliers lors de visites d’entreprises Nestlé un peu partout en Suisse. Après une allocution, certains collaborateurs viennent me voir pour me faire part de leur engagement. Je suis surpris par le nombre de nos collaborateurs qui me disent prier pour moi. C’est très encourageant !
Et parmi les top managers, parle-t-on facilement des questions qui touchent Dieu ?
Plus on est décomplexé pour parler des questions de foi, plus c’est facile. Certains mettent en avant qu’ils participent à une Gay Pride, pourquoi ne mettrais-je pas en avant que je vais au Jour du Christ ? Par rapport à mes convictions chrétiennes, je n’ai jamais eu de remarques négatives ni au sein de notre société, ni dans le monde des affaires.
Qu’apportent vos valeurs évangéliques à votre engagement de top manager ?
Nous vivons dans un monde déchu et le but de toute société est de grandir. Qui dit croissance, dit parfois impact négatif sur d’autres sociétés. Donc nous sommes dans un régime de concurrence... Malgré cela, il y a de la place pour des valeurs comme l’écoute, le respect du prochain, le travail bien fait, la solidarité... Dans mon quotidien, j’essaie d’être un exemple pour autrui, tout en sachant que je ne suis pas parfait. Il est aussi plus facile pour moi d’être à la tête d’une entreprise qui n’a pas à se séparer de son personnel...
Qui est le Christ pour vous ?
C’est la personne qui a changé ma vie. Ma progression dans la foi est jalonnée d’expériences avec Dieu. La plus marquante est intervenue voilà 3 ans lorsque je suis passé par un temps de forte repentance. J’ai décidé alors de reconsacrer ma vie à Dieu et de vivre un engagement actif à la suite du Christ.
Par quelle expérience êtes-vous passé ?
Je n’ai assassiné personne... mais j’ai néanmoins pris conscience de mon péché. J’ai ensuite goûté au pardon et à la grâce de Dieu comme jamais auparavant. Cette expérience m’a libéré pour partager ma foi et mes valeurs.
Le monde financier a été marqué en 2008 par une crise majeure... On a pris conscience de la cupidité qui régnait dans ce monde-là. Comment voyez-vous cette crise ?
Je suis très critique par rapport au monde de la finance et de l’argent facile. Personnellement, je suis un industriel qui produit des denrées alimentaires. Je ne pourrais m’imaginer travailler en dehors de l’industrie.
A mon sens, une partie du monde de la finance s’est détournée de ses objectifs initiaux. L’argent ne créait plus de la valeur, mais de l’argent. Un tel glissement est très dangereux.
Lors d’une émission sur les ondes de la RSR, vous avez parlé très franchement de vos bonus qui, pour 2009, avoisinaient les 160'000 fr. Comment éthiquement peut-on justifier des bonus qui correspondent à trois fois le salaire annuel d’un de vos ouvriers ?
En comparaison avec les personnes employées dans le monde de la finance, c’est peu ! Il faut juste rappeler que j’ai été à la tête d’une entreprise de 3'000 employés et que notre chiffre d’affaires se monte à 1,5 milliard de francs.
Je suis conscient du privilège qui est le mien. Dans le même temps, plus vous gagnez d’argent, plus vous payez d’impôts. Plus vous avez aussi la possibilité de donner...
Votre nomination au conseil de fondation de l’EPER, l’Entraide protestante suisse, en 2008 a suscité une polémique. Comment voyez-vous cela aujourd’hui ?
Je pose aujourd’hui un regard positif sur cette polémique. En fait, il n’y a pas eu d’attaque personnelle, mais une mise en cause du fait que le directeur de Nestlé Suisse entre dans ce conseil. En interne, les gens de Nestlé Suisse se sont demandé pourquoi on nous détestait tant. Des responsables de Nestlé au-dessus de moi m’ont même demandé pourquoi je perdais mon temps avec des « fanatiques ». Vu que je suis un « junkie » du dialogue, je crois que j’ai pu atténuer quelques mécompréhensions entre les uns et les autres durant le peu de temps que j’ai passé dans le conseil de cette ONG. Cette polémique sur ma nomination m’a également permis de me profiler comme chrétien et de susciter un débat sur les valeurs qui animent un travail social.
Si vous reveniez en Suisse d’ici quelques années, accepteriez-vous à nouveau une place dans le conseil de fondation de l’EPER ?
Oui, sans problème.
Propos recueillis par Serge Carrel