Suivant les personnes, le contexte culturel, social, religieux ou l'époque, l'évocation du mot « couple » ne revêt pas la même signification. Le couple que l'on pourrait qualifier de « traditionnel » : hétérosexuel, marié, avec des enfants d'un seul lit, est devenu une alternative comme une autre, voire une exception. Autant de personnes, autant de couples !
La société a changé. Xavier Lacroix (1) évoque l'évolution des mentalités quant au mariage au travers des trois formules suivantes :
- Puisque nous sommes mariés, aimons-nous !
- Puisque nous nous aimons, marions-nous !
- Puisque nous nous aimons, pourquoi se marier ?
Durant des siècles, il a été plus important d'être mariés, que de vivre la parfaite idylle. La femme, particulièrement, n'avait aucun statut social si elle restait célibataire. Aujourd'hui, on est en droit de revendiquer à peu près les mêmes droits ou acquis sociaux que l'on soit passé devant l'officier d'état civil ou non. De plus, la pratique a démontré que le fait d'être marié ne prévenait pas des échecs. Plus que de se conformer à des codes, comme cela a pu être le cas au cours des siècles qui nous ont précédés, l'épanouissement individuel est devenu une valeur quasi sacrée.
De manière plus sournoise, un phénomène fragilise considérablement la pérennité du couple. Il s'agit de l'équilibre entre attentes et engagement.
Les attentes
Le couple n'est-il pas, plus que jamais, chargé de multiples attentes ? On demande de l'intimité et de la liberté, une forme de communion harmonieuse, l'entente sexuelle, du respect, une bonne communication, de la sécurité, l'épanouissement personnel, une disponibilité quasi permanente. Les attentes sont énormes : du rapproché et de la distance, du sécurisant et du tolérant, du « tout » mais « pas trop ». Autant de demandes contradictoires qui renferment déjà les prémices de la conflictualité.
Jamais on avait assisté à une telle idéalisation du couple ! Le conjoint devra combler mes manques, être le remède à mes maux personnels, servir de support à ma réalisation. De plus, la femme se doit d'être épanouie dans sa vie professionnelle, d'avoir des enfants qui réussissent, de combler son mari sur le plan sexuel. L'homme doit être actif, engagé dans la famille, doux et viril à la fois, et...
Une fois la première phase amoureuse passée, quand survient la première crise, n'est-elle pas le révélateur des premières déceptions ? D'un décalage à plusieurs niveaux ?
Nous avons un idéal de l'amour, et ceci est encore plus vrai lorsque nous appuyons nos vies sur la Parole de Dieu. Mais que faire quand surviennent le conflit, la frustration, l'incompréhension ?
Notre expérience avec les fiancés et les couples nous amène à constater que, bien souvent, ils perçoivent la différence de l'autre, mais tendent à ne pas la prendre au sérieux, font comme si elle n'existait pas. Le conjoint épris écarte naturellement toute menace de son idéalisation.
Pour pouvoir s'épanouir, un couple doit pouvoir se réinventer : passer de l'idéalisation à la réalité, du « nous » fusionnel au « je » + « lui/elle » engagés l'un envers l'autre, mais jamais possession de l'autre. Complémentaires mais différents. Ne faudrait-il pas accepter que l'autre m'échappe toujours un peu. Il n'est pas là pour combler mes manques mais, ses manques et les miens conjugués, ses atouts et les miens additionnés, nous pouvons travailler à établir une relation épanouissante, aussi bien pour le couple que pour son entourage.
C'est en construisant sur son imperfection, en recherchant de nouvelles pistes l'un envers l'autre, en réajustant ses attentes et en interrogeant ses frustrations qu'un couple vit. Cela requiert de l'énergie.
L'engagement
Nous venons de l'évoquer, le couple est souvent un lieu de conflictualité, régulièrement un lieu de renoncement, toujours un lieu de travail sur soi si l'on veut qu'il s'épanouisse. Dans ces conditions, pourquoi choisirait-on, encore aujourd'hui, la voie du mariage ? Qui nous prouve que nous ne regretterons pas notre choix dans deux, dix ou vingt ans ? Qui nous dit que la personne, avec laquelle on s'engage, ne nous fera pas souffrir, ne nous décevra pas, ou que notre amour pour elle durera.
Autant de questions qui ne se posaient pas par le passé de la même manière qu'aujourd'hui. Dans les Eglises évangéliques, traditionnellement, la plupart des couples se marient encore. La Bible nous enseigne l'engagement et la fidélité. Mais celui qui s'engage maritalement est-il gagnant ou perdant ?
Rien, en effet, ne peut nous dire ce que sera son conjoint plus tard. A un moment donné, pour plusieurs raisons dont certaines nous échappent parfois, nous l'avons choisi. Ce choix est porteur d'une autre dimension : le renoncement. En choisissant un partenaire, nous renonçons à tous les autres. Cette seconde dimension est probablement l'une des clés de la réussite du couple. Il en est alors de ce partenaire, comme de la rose du Petit Prince de Saint-Exupéry. Il y aura toujours des roses qui vaudront la sienne, mais il n'y a qu'elle qui a été élue.
De la même manière, se marier, c'est s'engager à durer. Aux yeux de la loi, les conjoints s'engagent à s'unir, à s'entraider, à cohabiter, à se prêter assistance, à être fidèles, à assumer ensemble l'éducation et la subsistance de leurs enfants... Autant de choses réalisables hors du cadre du mariage. Ce qui diffère fondamentalement, c'est la dimension sociale. Le couple marié accomplit un acte fondateur qui donne naissance à une nouvelle cellule sociale. L'engagement l'un envers l'autre sort du domaine privé et atteste publiquement de l'appartenance des conjoints l'un à l'autre.
Le langage lui-même nous révèle la différence entre un couple engagé maritalement et un autre. Comment désigner l'autre de manière simple : concubin(e), ami(e) ? Si le mariage n'est pas une garantie, il fait d'un engagement privé un acte social où les histoires de deux familles se rejoignent pour en constituer une nouvelle.
Ce couple dans lequel on s'est engagé publiquement... Ce conjoint pour lequel on a renoncé à tous les autres, présents et à venir... ne devrais-je pas le chérir comme la prunelle de mes yeux ?
Choisir, c'est se libérer de l'indécision. S'engager, c'est décider dans quelle voie on va canaliser son énergie. A TOUT vouloir, ne courrait-on pas le risque de ne RIEN atteindre ?
En ces jours autour de la Saint-Valentin, où l'amour est porté aux nues dans les médias et chez les commerçants, pourquoi ne pas se réapproprier le choix un jour consenti et faire revivre les rêves sur lesquels celui-ci s'est fondé ?
André et Myriam Letzel
Note
1 Xavier Lacroix, Le mariage... tout simplement, Paris, Editions de l'Atelier, 1999, p. 17.