« Les préceptes du Coran ne doivent plus être enseignés comme des commandements ! » Originaire d’un pays arabe, Amin Abdelmajid (1) s’insurge contre le fait que les commandements d’Allah dans le Coran soient institutionnalisés en tant que lois officielles dans le monde musulman. Ces lois sont basées sur une lecture littérale des versets du Coran qui ne sont pas interprété et mis en perspective à partir de leur contexte du VIIe siècle, parce que les commandements d’Allah sont considérés comme éternels. L’enseignement coranique en Suisse se conforme à ces principes. Dans un contexte où une démarche de reconnaissance d’intérêt public des communautés musulmanes est en cours dans le canton de Vaud, Amin Abdelmajid met le doigt sur certains problèmes liés à l’enseignement des préceptes coraniques et de la jurisprudence islamique en Suisse.
Trois exemples concrets l’indignent particulièrement, lui qui se sent concerné au premier chef.
Les discriminations subies par son fils « adoptif »
Avec son épouse, Amin Abdelmajid a adopté en 1991 un enfant abandonné à la naissance dans son pays d’origine. Dans la loi coranique et dans les codes civils des pays musulmans, l’adoption est interdite. Seule la « prise en charge » (« kafala » en arabe) est autorisée et cette dernière n’octroie ni le droit à la filiation pour l’enfant, ni les droits qui en découlent comme celui d’hériter. Alors que les abandons de nouveau-nés dans les pays musulmans sont de plus en plus nombreux, les enfants issus de grossesses hors mariage sont stigmatisés à vie à leur insu, dans des cultures où l’identité est étroitement liée à l’ascendance masculine.
Aujourd’hui Ismaël (1), ce fils considéré comme « adopté » en Suisse, n’a pas le droit d’être inscrit dans le livret de famille d’Amin. De plus, il est exclu des droits dont les autres enfants du couple disposent à cause de la loi musulmane. Au bénéfice de la nationalité suisse, Ismaël est toujours considéré par la juridiction de son pays d’origine comme un « pupille de la nation » en français et comme un « fils de la prostitution » en arabe. Ce statut l’a empêché de recevoir la nationalité américaine, comme les autres enfants et petits-enfants du couple, parce que sa mère adoptive ne figurait pas sur son acte de naissance.
Amin Abdelmajid est particulièrement sensible à ce statut de l’enfance abandonnée, parce qu’il a vécu lui-même, dans sa fratrie, avec une fille abandonnée à cause de la pauvreté par ses parents biologiques qui étaient des nomades. « A cause des interdits coraniques, elle n’a pu considérer mon père comme son « papa ». Elle portait un autre patronyme et ne faisait pas partie de la fratrie. » Lorsqu’Amin Abdelmajid l’a revue pour la dernière fois, elle le tenait dans ses bras en disant : « Mon frère ! mon frère ! Comme je suis heureuse de te revoir ! » Amin n’a pas pu lui répondre : « Ma sœur ! » « Je ne pouvais pas la considérer comme ma sœur au même titre que mes autres sœurs, à cause des interdits du Coran. Elle est décédée peu de temps après, et je n’ai jamais prononcé à son endroit les mots ‘ma sœur !’ », ajoute-t-il, la voix chargée d’émotion. « Tout cela à cause de la loi d’Allah ! »
Une fille considérée comme une prostituée parce que mariée à un Occidental
D’autre part, Amin Abdelmajid est choqué du fait que les autorités des pays musulmans ne reconnaissent pas le mariage d’une musulmane avec un non-musulman. Alors qu’un homme a le droit d’épouser jusqu’à quatre femmes, parmi lesquelles des non-musulmanes, une femme n’a pas le droit d’épouser un non-musulman. Les préceptes du Coran et les lois civiles qui en découlent interdisent ce type de mariage. En conséquence, sa fille, Haïcha (1), qui a épousé un non-musulman, ne bénéficie pas de la reconnaissance de son mariage dans les pays musulmans. D’après les textes sacrés de l’islam, sa relation à son mari relève de la prostitution. « Il s’agit d’une discrimination majeure à l’égard des femmes », s’insurge Amin Abdelmajid.
« Aujourd’hui, si Haïcha se rendait dans notre pays d’origine, explique-t-il, elle n’aurait pas le droit de réserver une chambre d’hôtel avec son mari. La police des mœurs pourrait l’arrêter sous prétexte de ‘prostitution’ ! » Actuellement, cette maman de deux enfants n’a plus de passeport du pays d’origine de son père, parce que le renouvellement de ce document d’identité ne pourrait se faire que si elle reprenait son nom de jeune fille et se qualifiait de célibataire.
Les discriminations pour ceux qui changent de religion
Amin Abdelmajid est aussi outré par les conséquences qu’un changement de religion entraîne dans la vie quotidienne. Outre le fait d’être considéré comme un « apostat », celui qui change de religion est exclu de l’héritage de ses parents. Il importe aussi de taire ce changement de conviction profonde, parce que si celui qui a quitté l’islam, en parle et justifie son choix, cela constituerait, aux yeux de la loi de son pays d’origine, une offense à l’islam. Avec comme sanction : une amende salée, de la prison et parfois même la peine de mort ! Alors que nombre de communautés musulmanes recherchent la reconnaissance des Etats européens, Amin Abdelmajid se dit « choqué que le Conseil européen de la fatwa ait émis plusieurs avis juridiques dans lesquels il confirme que la sanction de l’apostat doit être la mort » !
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Que l’on prenne la situation d’un enfant adopté, d’une femme qui a épousé un non-musulman ou d’un musulman d’origine qui a changé de religion, Amin Abdelmajid est surpris par le fait que la législation helvétique accepte la législation des pays musulmans et ne dénonce pas ces « discriminations à caractère raciste »… « Alors que la Suisse se présente comme un des porte-étendards des droits de l’homme », relève-t-il, un brin désespéré. Ce résident de la région lausannoise place toutefois quelques espoirs dans le fait que l’islam européen soit capable de condamner les discriminations liées à l’application de la loi coranique et de ne plus enseigner les versets du Coran qui instaurent ces discriminations. « Peut-être que la reconnaissance d’intérêt public des communautés musulmanes, comme celle qui est conduite actuellement dans le canton de Vaud, pourrait y contribuer ! »
Serge Carrel avec l’appui d’une stagiaire