« Voilà un chef-d’œuvre de beauté. Placer Jésus au centre de votre vie et de votre cœur fera de vous un juste » (p. 209). Dans son dernier livre traduit en français « Pour une vie juste et généreuse. Grâce de Dieu et pratique de la justice » (1) (en anglais : « Generous Justice », Justice généreuse), le pasteur new-yorkais Timothy Keller propose un parcours autour du thème de la justice dans la Bible. Non au sens de la justice imputée au croyant ou de la justification, mais de ce qui fait qu’un être humain est juste dans ses relations avec autrui et qu’une société l’est aussi. Ce parcours opère une lecture en relief du texte biblique avec la conviction que l’invitation à pratiquer la « justice généreuse » de Dieu est un thème qui traverse l’entier de l’Ecriture.
Ce pasteur-théologien presbytérien (réformé), actif dans la « Gospel Coalition » américaine (l’équivalent du mouvement Evangile 21 en francophonie), émaille son propos d’illustrations tirées de son expérience pastorale ou de ses lectures. Celles-ci montrent des individus ou des Eglises qui, sur le continent nord-américain, ont incarné de manière particulière des luttes pour davantage de justice sociale, que ce soit dans le domaine de la pauvreté ou du racisme.
Un parcours biblique et pratique
Les cinq premiers chapitres sont avant tout bibliques. Ils dépeignent le souci de Dieu pour les pauvres et le portrait du juste, notamment à partir du livre de Job (Job 29 et 31). Timothy Keller se penche ensuite sur la manière dont la justice se décline au niveau social en Israël. Il passe après au Nouveau Testament et aborde ce que Jésus a dit de la justice et son invitation à ne pas restreindre notre définition du « prochain ». Dans le cinquième chapitre, Timothy Keller développe les motivations du chrétien à pratiquer la justice (l’émerveillement devant la bonté de la création et l’expérience de la grâce). Dans les trois derniers chapitres, l’ancien pasteur de l’Eglise presbytérienne Redeemer se penche sur la manière de pratiquer la justice au niveau individuel et ecclésial, puis dans l’espace public en nouant des alliances avec des partenaires d’autres convictions socio-politiques ou religieuses.
Le dernier chapitre, le huitième, un peu sous forme de conclusion, place l’ensemble du développement accompli sous la notion vétérotestamentaire de « shalom » (paix) et invite à examiner les motivations fondamentales qui poussent le croyant à pratiquer une « justice généreuse », soit la découverte ou la redécouverte de la beauté de la grâce révélée en Jésus-Christ.
A l’écoute de la générosité radicale de Dieu
Ce qui frappe dans ce livre, c’est le plaidoyer de Timothy Keller pour une « justice généreuse », profondément enracinée dans la générosité de Dieu lui-même, comme marque de la vie juste. Avec cet avocat d’une vision classique du salut par la foi seule, on pourrait s’attendre à un propos convenu en matière d’éthique individuelle et sociale. Proche d’une droite politique qui invite à la responsabilité individuelle et à la solidarité « dame patronnesse » à l’endroit des démunis et des personnes précarisées. Pas du tout ! Dans le contexte étasunien, Timothy Keller renvoie dos à dos démocrates et républicains, et souligne que la Bible est au-delà des idéologies politiques. « La pratique de la justice inclut non seulement la réparation des torts, souligne-t-il, mais également la générosité et la préoccupation sociale envers les pauvres et les faibles » (p. 35). Et cette « générosité radicale » se décline tout particulièrement à l’endroit des démunis d’aujourd’hui ; dans l’Israël de la Bible les veuves et les orphelins, tout comme les étrangers et les migrants.
Cette générosité radicale de Dieu se donne à voir dans les lois mosaïques civiles d’Israël, pour parvenir à réaliser concrètement l’affirmation reprise du Deutéronome : « Il ne doit pas y avoir de pauvres parmi vous » (15.4). Timothy Keller constate : « Le souci que Dieu a du pauvre est tellement fort qu’il a doté Israël d’un grand nombre de lois qui, si elles avaient été appliquées, auraient pratiquement éliminé toute classe défavorisée permanente » (p. 44). Au nombre de ces lois : la remise des dettes tous les 7 ans, les lois relatives au glanage dans les champs, les lois relatives à la dîme… et, pour couronner le tout, l’enseignement autour de l’année du jubilé qui, tous les 49 ans, souhaitait que les compteurs économiques soient remis à zéro. Dans une société agraire, les terres devaient donc retourner à leurs propriétaires d’origine.
Aussi dans la vie de Jésus
La générosité radicale de Dieu que Timothy Keller met en avant dans l’Ancien Testament, il la retrouve dans la personne de Jésus. Par son souci des pauvres, par son refus du sexisme, par sa compassion à l’endroit des lépreux… « Pour Jésus, répondre aux besoins matériels et économiques des gens n’est pas facultatif. Il refusait les restrictions que le docteur de la loi imposait au commandement d’aimer. Il répondit en montrant que l’amour oblige à faire des sacrifices en faveur des vulnérables, comme celui du Samaritain qui a risqué sa vie en s’arrêtant sur la route » (p. 87).
A travers différentes analyses de comportements de ses contemporains, Jésus, à la suite des prophètes de l’Ancien Testament, « fait de la pratique de la justice un moyen de connaître le cœur humain, le signe de la vraie foi » (p. 68). L’Eglise primitive, dans les Actes des Apôtres, atteste de cette vie juste en devenant cette société où il n’y a pas de pauvres, dans la continuité de Deutéronome 15.4 (voir Ac 2.44-45). Avec force, Timothy Keller souligne qu’il n’y a pas de véritable amour sans risques et sacrifices… Sans réduction de notre propre niveau de vie !
Au travers de cette réflexion biblique et pratique autour de la « justice généreuse », Timothy Keller secoue le chrétien évangélique pour qu’il n’en reste pas à la « jouissance » de son salut, acquis par la foi seule. Il l’invite à pratiquer une justice généreuse qui, socialement, passe par l’assistance du pauvre, le développement individuel ou collectif et les réformes sociales.
Jésus est le grand Samaritain qui « s’est approché de nous et nous a sauvés, pas simplement en risquant sa vie comme dans le cas du Samaritain, mais au prix de sa vie » (p. 96).
Serge Carrel
Note
1 Timothy Keller, Pour une justice généreuse. Grâce de Dieu et pratique de la justice, trad. Antoine Doriath, Charols, Farel, 2019, 216 p.