Se détacher du monde pour s’attacher à Dieu, par Louis Schweitzer

mardi 07 décembre 2010

Dans notre société, difficile de pratiquer le détachement ! Tout nous pousse à nous attacher. Aux biens matériels, à notre standing de vie, à notre réputation... Le Christ nous invite à méditer la réalité du grain de blé... Le professeur Louis Schweitzer nous emmène sur ce chemin.

Quelques Grecs, des non-juifs sympathisants ou des juifs hellénisés, souhaitaient voir Jésus. A André et Philippe qui transmettent cette demande, Jésus répond : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis, si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui tient à sa vie la perd, et celui qui déteste sa vie dans ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive, et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un veut me servir, c’est le Père qui l’honorera » (Jn 12.23-26).

« Il faut que le grain meure »
Jésus commence par parler de lui, de la façon inattendue dont il va être glorifié. Des personnes demandent à le voir comme on vient voir une célébrité. Ces « Grecs », aujourd’hui, lui auraient sans doute demandé un autographe. Or la manière dont il va être glorifié, c’est la croix. Et Jésus va partir de là pour donner un enseignement spirituel universel qu’il appliquera directement aux disciples. Il faut que le grain de blé meure dans la terre pour qu’il puisse porter du fruit. Sa mort est la condition de l’existence et de la vie de ce qui va suivre. Et voici l’application de ce principe : « Celui qui tient à sa vie la perd, et celui qui déteste sa vie dans ce monde la gardera pour la vie éternelle. » Nous sommes toujours un peu gênés par ce verbe détester. Et effectivement, le verbe grec signifie bien : détester, haïr. Mais beaucoup de nouvelles versions, comme la TOB ou la Bible en français courant, préfèrent traduire : « Celui qui cesse de s’y attacher dans ce monde, la gardera pour la vie éternelle. » Les deux manières de traduire sont justes : l’une dit le texte tel qu’il est ; l’autre tient plus compte de la différence des cultures et le redit comme nous le dirions aujourd’hui. L’idée est bien la même. Si nous sommes trop attachés à notre vie pour la risquer, nous en serons paralysés. En voulant la conserver prudemment, nous allons la perdre. Mais si nous nous détachons de nous-mêmes, si nous acceptons, avec confiance, de la remettre entre les mains de Dieu, alors nous trouverons la vie éternelle. Ainsi nous perdons ce que nous voulons à tout prix protéger et nous gagnons ce que nous acceptons de perdre. Paradoxe particulièrement important en notre temps marqué par le besoin de sécurité et d’assurance.

Nous sommes dans le « divertissement » !
Il y a donc en nous deux sortes de vie, l’une que nous devons abandonner, l’autre que nous ne trouverons qu’à cette condition. C’est que selon Jésus, nous ne vivons pas vraiment. Nous dispersons notre vie dans des occupations, des affections, des soucis, qui nous détournent de l’essentiel. Nous sommes dans ce que Pascal appelait le « divertissement ». Beaucoup d’entre nous souhaitent découvrir une vraie spiritualité qui puisse venir s’ajouter à notre vie présente. C’est particulièrement vrai de la mode actuelle pour la spiritualité. Ce que Jésus nous enseigne, c’est qu’il est impossible « d’avoir le beurre et l’argent du beurre ». Il est impossible d’ajouter simplement une véritable communion avec Dieu à tout le reste. On peut se demander pourquoi. La réponse est très simple. Pour que Dieu soit en nous, il faut que la place soit libre. Une grande part de ce qui fait notre vie de tous les jours a pour but de remplir ce que nous ressentons confusément comme un vide ou un manque. Nous le remplissons par ce qui nous tombe sous la main, et toutes ces choses, plus ou moins nobles, font notre vie. On va certainement trouver bien des éléments de cet ensemble qui relèvent simplement du péché. Qu’il faille alors les abandonner ne nous étonnera pas. Mais bien d’autres choses peuvent être bonnes en elles-mêmes. Leur seul défaut, c’est d’être en nous à une mauvaise place, celle que Dieu seul devrait remplir. Réfléchir à cela, c’est une manière de chercher les gravats que nous avons à déblayer pour libérer la source qui est en nous et qui ne demande qu’à jaillir.

Se libérer des attachements
Bien des spirituels parlent du détachement. Se détacher, c’est rompre un attachement. Nous savons bien que pour suivre un chemin, il ne faut pas avoir les pieds attachés. Nous ne saurions nous mettre en route si nous sommes attachés. Dans un film, lorsqu’un héros est fait prisonnier, il doit souvent se détacher ou être détaché pour pouvoir s’évader. Il en va de même dans la vie spirituelle : le détachement est une libération.
Dans ce domaine, il y va de notre responsabilité, même si tout est grâce. C’est bien ce que souligne l’épître de Jacques : « Ne savez-vous pas que l’amour du monde est hostilité à l’égard de Dieu ? Celui qui est décidé à être ami du monde se rend donc ennemi de Dieu (...) Dieu résiste aux orgueilleux, mais il accorde sa grâce aux humbles. Soumettez-vous donc à Dieu ; opposez-vous au diable et il vous fuira. Approchez-vous de Dieu et il s’approchera de vous. Purifiez vos mains, pécheurs, et nettoyez vos cœurs, âmes partagées ! » (Jc 4.4-8).

Comment nous libérer ?
Encore une fois, il peut y avoir des attachements qui sont des péchés manifestes, des choses dont nous savons très bien qu’elles sont contraires à la volonté de Dieu. Il suffira sans doute de faire silence un moment pour discerner les plus manifestes. Nous les connaissons, même si nous nous appliquons bien souvent à les oublier. Nous en libérer ne sera sans doute pas facile, peut-être aurons-nous besoin de l’aide fraternelle de quelqu’un, mais c’est certainement par là qu’il nous faudra commencer. Il y a des renoncements qui sont douloureux, mais vouloir faire croire le contraire ne servirait à rien. Nous sommes ici sur un chemin de repentance qui commence avec la démarche initiale de la foi, mais qui dure toute la vie. Car Dieu nous rend de plus en plus sensibles et attentifs à des changements qui s’imposent lorsque nous devenons capables de les accueillir.
Mais il est d’autres choses auxquelles nous sommes attachés qui ne sont pas mauvaises en elles-mêmes. Rappelez-vous encore une fois l’Evangile. Le jeune homme riche est attaché à sa richesse (Lc 18.18-27). La richesse en soi est-elle nécessairement mauvaise ? Sans doute pas vraiment ; tout dépend de la manière dont nous la vivons. Lorsque Zachée, riche et peu honnête, se convertit, il manifeste sa liberté en donnant une bonne partie de ses biens (Lc 19.1-10). Il ne nous est pas dit le montant de ce qui lui reste après la distribution de ses biens à ceux qu’il a escroqués. Mais, manifestement, Jésus ne s’en soucie guère. L’important, c’est la liberté que Zachée a manifestée.
Il y a donc là comme un appel à notre responsabilité. Le oui que nous adressons à Dieu peut nous coûter, et c’est pourquoi Jésus nous invite à calculer la dépense pour ne pas nous engager sur une route que nous ne serions pas vraiment désireux de suivre (Lc 14.28-33).

Les risques à accepter
Tout est dans l’importance que nous accordons à l’Evangile et à la personne de Jésus. Accepterons-nous les risques auxquels notre engagement peut nous exposer ? Ne devons-nous pas reconnaître que l’obstacle le plus important est la peur ? Peur de la perte possible, peur du jugement des autres... Acceptons-nous de nous détacher de notre besoin naturel de sécurité ? On pourrait citer bien des passages des évangiles qui nous parlent de la confiance que nous sommes appelés à placer en Dieu. Si Jésus a pu manifester une telle liberté durant tout son ministère, s’il n’a pas été empêché d’agir par les menaces qu’il recevait, c’est qu’il n’avait pas peur : il avait placé toute sa confiance dans le Père. Ne croyez-vous pas qu’il serait utile d’examiner les peurs qui peuvent nous retenir ? Les reconnaître et les placer devant Dieu pourrait être le meilleur moyen de commencer à nous en libérer.
Un exercice qui peut également nous aider, dans cette démarche de détachement et de libération, c’est encore le silence. Faire taire en nous les voix diverses qui nous retiennent, qui nous appellent à des soucis innombrables, c’est laisser la place à Dieu pour être pleinement en nous. C’est prendre peu à peu l’habitude de le placer au centre de notre vie, et ce temps de prière finira par « déteindre » sur le reste de notre existence. Les autres attachements perdront peu à peu de leur force d’attraction pour laisser l’attachement à Dieu prendre la place centrale.

Louis Schweitzer
Professeur d’éthique et de spiritualité à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine (F).

Découvrir le dernier Dossier Vivre "Les crises de la foi" de Louis Schweitzer et Linda Oyer.

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