La « mission intégrale » était au programme des rencontres Eglises en mission organisées par la FREE les 8 et 9 septembre dernier à Yverdon-les-Bains. A cette occasion, des orateurs, pasteurs et théologiens connus et appréciés ont pris la parole: C. B. Samuel (Inde), Hannes Wiher (Suisse), Mamadou Karambiri (Burkina Faso), René Padilla (Equateur), Ruth Padilla De Borst (Costa Rica)... Venant des quatre coins du monde, ils se sont remarquablement complétés dans leurs manières de nous parler de mission intégrale.
Soyons définitivement « intégral »
Ils se sont d'abord complétés pour nous faire comprendre que la mission, à notre porte comme au loin, ne peut être qu’« intégrale » si elle prend sa source dans une théologie fidèle à la Bible. A Jean-Baptiste qui, dans sa prison, aimerait savoir si Jésus est bien le Messie attendu, ce dernier répond : « Les aveugles voient, les paralysés marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » (Lc 7.22). Ainsi, comme le souligne C. B. Samuel, « il y a une composante sociale et politique dans le travail messianique de Jésus. » Et l'Eglise ancienne a bien compris ce principe, puisqu'elle s'est organisée de manière à ce qu'il n'y ait pas de pauvres en son sein (Ac 2.44-45).
Dans sa lettre, Jacques reproche aux premiers chrétiens de délaisser les pauvres et leur rappelle: « Dieu n'a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres dans ce monde pour qu'ils soient riches dans la foi et qu'ils héritent du royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment?» (Ja 2.5). « Jacques ne dit pas que les pauvres ont autant de valeur que les riches, souligne C. B. Samuel. Il va plus loin en affirmant que les pauvres ont une place spéciale dans le cœur de Dieu. »
Ainsi, il devrait être clair pour chacun que l'annonce de l'Evangile s'accompagne obligatoirement d'actions démontrant la miséricorde divine. Une proclamation qui se contenterait de paroles, aussi justes et bonnes soient-elles, ne répondrait pas aux exigences bibliques.
Etre sel et lumière dans un monde en difficulté
Dans sa prédication du dimanche, René Padilla a rappelé que chaque chrétien est disciple et missionnaire dans le lieu où Dieu l'a placé. Reprenant le récit de Matthieu 5.13-16, il les a appelés à être pleinement « sel de la terre » et « lumière du monde » dans une société en crise.
Le contexte dans lequel les chrétiens sont témoins du Christ est fait d'incertitudes sur le plan économique et écologique, et cela au niveau mondial. « Nous ne savons pas combien de temps nous pourrons maintenir notre manière de vivre », fait remarquer René Padilla. Notre monde est également souillé par de nombreux phénomènes de corruption, ainsi que par des lieux de misère qui touchent même les pays développés. « En passant il y a quelque temps à Oslo, raconte le spécialiste de la mission, j'ai vu une population dont beaucoup de besoins sont satisfaits: de la nourriture, un toit... Mais j'ai aussi vu la misère sociale parmi des réfugiés, des handicapés, des aînés... »
Dans un tel contexte, être sel et lumière consiste à pratiquer les oeuvres préparées d'avance par Dieu (Ep 2,10). « C'est pour ces oeuvres que nous avons été créés en Jésus-Christ, rappelle René Padilla. Elles sont un aspect central de la vie chrétienne. Elles servent à satisfaire les besoins des autres. » Et il conclut en proclamant que nous sommes appelés à vivre un discipulat missionnaire.
Le Sud nous rappelle à l'ordre
Le Burkinabé Mamadou Karambiri, se faisant le porte-parole de nombreux chrétiens du Sud, a décrit sans complaisance la manière de vivre et de témoigner des chrétiens occidentaux: « Dieu a-t-il pris sa retraite en Europe et en Suisse? Ici, vous pouvez faire beaucoup de choses sans Dieu. Vous êtes organisés. Vous n'avez plus besoin de Dieu. Vous êtes comme la mer Morte qui reçoit beaucoup sans donner. » Provocateur, il a expliqué que les organisations humanitaires non chrétiennes s'engagent plus et déploient plus de moyens que les Eglises. En particulier, il considère que les chrétiens de Suisse sont d'une faiblesse affligeante: « La Suisse a participé à l'évangélisation du monde. Mais aujourd'hui, où en est votre pays ? L’Eglise de Jésus-Christ, agence du Royaume de Dieu, ne transforme plus, alors qu'elle en a reçu les moyens. »
Pour le pasteur africain, le problème majeur des Eglises de Suisse est qu'elles sont devenues des clubs spirituels au service de leurs membres. Il explique cette dérive: « On y prie, on y chante, on y rit ! Ceux qui étaient habitués aux boîtes de nuit sont maintenant habitués aux boîtes de jour (les Eglises) ! »
C. B. Samuel constate lui aussi ce repli des Eglises d'Occident sur elles-mêmes: « Celles-ci doivent redécouvrir qu'elles n'existent pas pour elles-mêmes, mais pour leur entourage. Elles sont pleines d'activités, mais elles devraient choisir leurs activités en fonction de ceux qui n'en sont pas membres. » Et le président du Réseau évangélique suisse, le pasteur Norbert Valley, de renchérir: « L'Eglise est une ONG qui fait aussi des cultes. » Car la société dans laquelle nous sommes a des questions et des besoins. Et nos communautés sont là pour y répondre.
Mamadou Karambiri insiste sur le fait que l'état spirituel d'une communauté est lié à celui des chrétiens qui la forment et qui doivent avoir pour objectif de passer d'un état charnel à un état spirituel. « Les chrétiens jeunes dans la foi, encore charnels, recherchent l'attouchement et la bénédiction de Dieu, explique-t-il. Mais ensuite, ils apprennent à marcher selon la volonté de Dieu et enfin ils intègrent l'action selon le coeur de Dieu. »
La mission intégrale commence à notre porte
Venus d'Afrique, d'Inde et d'Amérique latine, les orateurs ont également parlé d'une seule voix pour nous rappeler que la mission ne commence pas chez eux, mais chez nous. A partir d'une interprétation de la Bible non dépourvue de poésie, Mamadou Karambiri a fait une liste des personnes à évangéliser chez nous.
D'abord, « la brebis perdue de l'Evangile se trouve maintenant en Suisse, a-t-il annoncé. Elle bêle, elle crie. C'est le cri du muezzin, un cri de désespoir. » Et ce pasteur, converti de l'islam, de proclamer que les musulmans ont des stratégies de développement de leur religion en Europe... et que nous ferions bien de faire de l'évangélisation des musulmans une priorité.
Deuxièmement, pour Mamadou Karambiri, la drachme perdue représente ceux qui, dans notre société, ont de la valeur... qui n'est pas mise en valeur : les athées et les indifférents. « Ceux-ci sont nombreux et ils influencent toute la société, vos enfants, vos lois, tout ! Le champ missionnaire est à vos portes, dans vos rues ! »
Troisièmement, on trouve les « Zachées » modernes. « Ce sont les gens riches et puissants, explique le pasteur burkinabé. Ils sont souvent jugés et rejetés. Et personne ne leur dit l'Evangile. Ces Zachées se suicident, désespérés, parce qu'ils sont vides. Où sont les chrétiens pour les informer. » Les chrétiens doivent modifier leur regard par rapport à ces personnes, les évangéliser plutôt que de les juger.
Quatrièmement, nous sommes entourés de blessés de la vie, tel le blessé de la route de Jéricho. « Vous êtes entourés de femmes seules, de mères seules, d'enfants délaissés, rappelle Mamadou Karambiri. Regardez donc autour de vous ! » Le texte de Matthieu 25.35 nous dit que ces gens affamés, nus, prisonniers représentent Jésus lui-même.
Durant ces deux jours, nous avons été exhortés à nous engager plus... ou plutôt à nous engager mieux, en choisissant ce qui est important et en évitant de nous laisser accaparer par ce qui est secondaire. Il a aussi été dit que cet engagement ne pourra pas être porté par quelques spécialistes et pasteurs de nos Eglises, mais que chacun, sans exception, doit se sentir concerné.
Claude-Alain Baehler
Des reflets filmés d’Eglises en mission 2012 (Réalisation : Henri Bacher).
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