Le sourire éclatant de cette femme de 56 ans ne cache pas moins sa détermination. Rencontrée en aparté mardi 22 août au siège du Conseil œcuménique des Eglises (COE) à Genève, Rebecca Dali indique que le prix qu’elle a reçu la veille à l’ONU la pousse à en faire plus encore en faveur notamment des femmes qui parviennent à s’échapper des griffes de leurs ravisseurs islamistes. Elle souhaite désormais créer encore des centres post-traumatiques pour ces personnes qui doivent se reconstruire après avoir été traitées comme des esclaves – esclaves sexuelles mais aussi domestiques – et qui peinent à retrouver non seulement une dignité mais aussi à s’insérer à nouveau dans la société. C’est quelque chose à laquelle elle tient, d’autant plus qu’elle a elle-même été violée à l’âge de 6 ans, qu’elle a déjà été arrêtée par Boko Haram et donc confrontée à leur violence ; et qu’un de ses fils a disparu.
Problème vaste
Son action ne comprend pas les lycéennes de Chibok, enlevées en 2014, dont une centaine a été libérée début mai. « Ces filles sont prises en charge directement par le gouvernement. Mais Chibok n’est qu’un exemple qui a mis en lumière un problème beaucoup plus vaste », indique-t-elle. Car Boko Haram aurait, selon ses propres recensements, enlevé quelque 3’000 femmes. L’association que Rebecca Dali a créée en 1989 (The Center for Caring, Empowerment and Peace Initiatives, CCEPI) prend soin aujourd’hui de plus de 200 d’entre elles qui ont réussi à s’échapper. Comme elle prend soin aussi de 15'000 veuves et orphelins.
La foi comme moteur
Ce qui la motive dans son travail ? A cette question, la directrice du CCEPI répond clairement que c’est sa foi chrétienne. Une foi transmise par sa mère qui s’est convertie dans une léproserie tenue par des missionnaires. Car la cinquantenaire précise avoir toujours évolué dans un contexte mixte, puisque le 75% de sa famille et de ses proches sont musulmans. « Dieu m’a aidée à devenir qui je suis. Il me soutient », dit-elle, non sans ajouter recevoir aussi de la force de la part de son Eglise, l’Eglise évangélique Brethren, où son mari a été pasteur. « Jésus dit que nous devons aimer, même nos ennemis. Faire du bien à tous, c’est ce que j’essaie de faire », dit-elle simplement.
Dissensions religieuses
Les méfaits de Boko Haram qui ont pris de l’ampleur dès 2009 se sont greffés sur une opposition qui existe entre musulmans et chrétiens depuis l’indépendance en 1960. « Les colons, majoritairement chrétiens, avaient favorisé les adeptes de leur religion, explique Rebecca Dali. Cela a déjà créé une dissension dans la population. » A ceci s’ajoutent aujourd’hui des facteurs économiques, comme les ressources pétrolières du sud du pays, à majorité chrétienne. Les politiciens enfin contribuent aussi à la querelle, de même que des responsables religieux, met-elle à l’index. L’Eglise a pourtant un rôle à jouer. Elle doit soutenir aujourd’hui les populations dans le besoin, qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes, et plaider en leur faveur auprès du gouvernement comme sur la scène internationale.
C’est ce verbe clair et le courage de cette femme qui ont été ovationnés lundi à Genève.
Les violences perpétrées par Boko Haram ont jeté sur les routes quelque 2,6 millions de personnes et provoqué déjà plus de 20'000 morts.
Gabrielle Desarzens
Une chronique RTS Religion à écouter sur le site de RTS La Première.
La cérémonie de remise de prix est disponible sur le site UN Web TV (à partir de 1h30).