RTS deux a diffusé dimanche dernier « Billy Graham, le pasteur de l’Amérique », un documentaire qui retrace le parcours exceptionnel de cet évangélique américain qui, par le rayonnement de son ministère, est devenu proche de nombre de présidents des Etats-Unis, dans la seconde moitié du XXe siècle. A l’heure des élections présidentielles américaines, ce documentaire permet d’appréhender de manière plus fine cette proximité de la religion et du politique au pays de l’Oncle Sam, et les questions que pose une telle proximité à la foi évangélique.
Billy Graham, champion de la rechristianisation de l’Occident
Au travers de ce film d’Audrey Lasbleiz, on découvre un Billy Graham qui, au début des années 1950, en pleine Guerre froide, apparaît comme le « champion de la rechristianisation de l’Occident » face à l’émergence de l’idéologie totalitaire marxiste. « Aux Etats-Unis, s’il y a une chose dont tout le monde est persuadé, relève le sociologue français Sébastien Fath (1), c’est que, face aux Soviétiques, on ne s’en sortira pas uniquement avec des armes nucléaires. Il faut aussi un élément spirituel. A partir de là, les principaux intérêts conservateurs aux Etats-Unis vont miser sur Billy Graham. »
Le message de l’évangéliste, tout en appelant à la conversion à Jésus-Christ, se révèle profondément anti-communiste. Les liens plus étroits de Billy Graham avec les présidents américains commencent avec Dwight D. Eisenhower qu’il encourage à s’engager dans l’aventure présidentielle, qui durera de 1953 à 1961.
Prédicateur d’un Evangile « déségrégué »
A la fin des années 1950, Billy Graham, avec ses grandes campagnes d’évangélisation, rappelle que l’Evangile de Jésus-Christ est pour tous, Noirs et Blancs. La ségrégation n’a pas sa place dans les événements qu’il organise, y compris dans le Sud ségrégué des Etats-Unis. Malgré les menaces reçues de certains soutiens évangéliques importants de la « Bible Belt », il ne fait pas de concessions aux partisans de la ségrégation et témoigne d’une certaine amitié à Martin Luther King.
Les liens avec les présidents se poursuivent. De manière rapprochée avec Richard Nixon, que le prédicateur soutiendra ostensiblement dans sa guerre contre le communisme au Vietnam. La religion évangélique vient consolider la légitimité présidentielle dans une guerre qui fait 1,5 million de morts ! En 1972, au moment du Watergate, Billy Graham qui avait cru que Richard Nixon, d’origine quaker, partageait ses valeurs d’honnêteté et de probité doit déchanter. Il a été instrumentalisé par le pouvoir en place et Richard Nixon se révèle menteur et malhonnête.
Il rompt avec les interdits de la Guerre froide
A partir de ce moment-là, Billy Graham se recentre sur ses activités d’évangélisation et prend même son indépendance par rapport à la politique gouvernementale américaine. Au début des années 1980, en pleine « Guerre des étoiles » initiée par Ronald Reagan, il tourne le dos à son anticommunisme et se rend à Moscou pour une conférence sur la paix. Billy Graham a même l’occasion de prêcher son message dans une Eglise orthodoxe russe. Ce dégel en pleine Guerre froide déplaira aux conservateurs américains, adeptes de la confrontation avec le Bloc de l’Est.
Avec l’âge, Billy Graham se mue en représentant d’une certaine religion civile américaine (2) qui va accompagner les Américains et les différents présidents de ce pays dans les différentes épreuves qu’ils vont traverser : la Guerre en Irak en 1991 et le 11 septembre 2001.
Pasteur… et conscience de l’Amérique ?
Le documentaire « Billy Graham, le pasteur de l’Amérique » montre bien la proximité qui s’est installée entre une certaine foi évangélique et le pouvoir politique américain, jusqu’à la mort du prédicateur en 2018, alors que celui-ci avait presque 100 ans. Il montre aussi les limites de cette proximité et les légitimations affligeantes qu’un ministère évangélique peut apporter aux actions des puissants.
Ce parcours d’une des personnalités majeures du protestantisme évangélique du XXe siècle nous alerte sur les risques pris pour annoncer l’Evangile par un ministère qui se voulait au service de tous, mais qui n’a pas toujours su jouer son rôle d’autorité morale et critique pour tous. Billy Graham a peut-être été « le pasteur de l’Amérique », mais pas toujours sa conscience éclairée !
Serge Carrel
Le documentaire d’Audrey Lasbleiz (sur une idée de Christophe Zimmerlin) : « Billy Graham, le pasteur de l’Amérique » sera diffusé en deux épisodes dans l’émission « Présence protestante » de France 2, ces deux prochains dimanches à 10h (8 et 17 novembre). Ce documentaire est aussi disponible sur le site PlayRTS.
Notes