De nombreux Américains semblent prêts à laisser passer au président Donald Trump son manque de connaissances religieuses, de tact et sa conduite en général, mais, personnellement, je pense que c’est une erreur.
Donald Trump est quelqu’un de pieux, et ses convictions religieuses l’habitent de manière dangereusement profonde. Néanmoins, sa piété ne reflète aucunement la foi chrétienne. Elle émane plutôt de sa compréhension de ce qui fait de l’Amérique un pays unique.
La dévotion patriotique : une idolâtrie
Donald Trump a qualifié la journée de son investiture, le 20 janvier dernier, de « Journée nationale de dévotion patriotique ». Dévotion patriotique ? Les chrétiens adorent Dieu. Ils ne peuvent adorer une nation, quelle qu’elle soit. Donald Trump a légitimé son appel pour une journée de dévotion patriotique en attirant l’attention sur son autre déclaration – aussi tirée de sa foi : il n’y a pas de plus grand peuple que celui formé par les citoyens américains. La foi, aux yeux du Président Trump, demande de croire en ces choses pour lesquelles nous n’avons qu’insuffisamment d’évidences.
Selon Donald Trump, rien ne peut limiter le peuple américain, aussi longtemps que ce dernier croit en lui-même et en sa nation. Cependant, les chrétiens ne croient ni en eux-mêmes, ni dans leur pays. Nous croyons en Dieu. Et nous faisons bien plus que de croire en Dieu. Nous adorons Dieu. En dehors de lui, rien d’autre ne devrait être adoré.
Les chrétiens ont un mot pour décrire l’adoration de toute chose qui n’est pas Dieu : idolâtrie. L’idolâtrie, bien sûr, peut prendre une forme d’adoration pour le moins impressionnante. L’unique problème qui se profile est le fait que les idolâtres ont tendance à tuer les gens qui remettent en question leur « dieu ».
Le message d’investiture de Donald Trump est un magnifique exemple d’idolâtrie. Sa déclaration – « A la base de notre système politique sera l’allégeance totale aux Etats-Unis d’Amérique. C’est au travers de notre loyauté envers notre pays que nous retrouverons la loyauté les uns envers les autres » – est clairement une déclaration théologique qui offre une sorte de salut.
Ne faire allégeance qu’à Dieu !
Les chrétiens croient que Dieu seul exige une « allégeance absolue ». Autrement, nous risquons, comme Donald Trump le montre si bien, de faire de certaines activités humaines des idoles.
Le caractère « évangélisateur » de la foi de Donald Trump ne devrait pas être ignoré. Il suggère que nous retrouverons notre loyauté les uns envers les autres au travers de notre allégeance totale aux Etats-Unis. En citant la Bible, il suggère même que nous pourrons dès lors vivre ensemble l’unité.
Mais l’histoire nous montre que tout peuple qui décide d’avoir pour objectif une telle « unité » fait l’expérience d’un temps de répression politique. Il est ainsi difficile d’imaginer que ceux qui ont fait face à l’esclavage et au génocide puissent être solidaires de ceux qui militent pour que le passé soit chose révolue.
Prenons en compte l’usage que le Président Trump fait de la formule « le peuple » dans son message d’investiture. « Le peuple » a payé le prix. « Le peuple » possède, dirige et contrôle maintenant le gouvernement. « Le peuple » n’a pas encore bénéficié de la richesse du pays, mais maintenant il va en bénéficier. « Le peuple » va goûter à la restauration de ses places de travail.
Il s’en suit un certain questionnement : qui est ce peuple ? La réponse semble claire : il s’agit du peuple de Donald Trump, qui, en ce moment même, attend l’appel pour passer à l’action, c’est-à-dire : rendre à nouveau à l’Amérique sa grandeur. Donald Trump ne se considère pas uniquement comme le président des Etats-Unis, mais comme le sauveur.
Donald Trump s’affiche comme presbytérien (réformé en Europe, ndlr). Cependant, il a affirmé qu’il n’avait pas besoin de prier pour confesser ses péchés, car il n’a rien fait qui demande l’obtention du pardon. Une telle déclaration révèle qu’il est en profond désaccord avec une conviction fondamentale de la foi chrétienne. Il s’identifie avec Norman Vincent Peale, l’auteur du livre La puissance de la pensée positive, qui ne représente aucunement une certaine orthodoxie chrétienne. Le christianisme, dans les mains de Peale, ressemble plus à un système de croyances que quelqu’un choisirait comme bon lui semble, pour convenir à ses propres désirs. Donald Trump a adopté une stratégie similaire, et il s’est attelé à l’appliquer à son propre pays.
L’Amérique pour Eglise
Les chrétiens doivent considérer la foi profonde et erronée du président pour ce qu’elle est vraiment : de l’idolâtrie. Aux Etats-Unis, le christianisme est sur le déclin, si ce n’est à l’agonie, ce qui rend difficile la tâche de remettre Donald Trump à sa place. L’actuel président des Etats-Unis a tiré parti de ces chrétiens américains qui ont longtemps vécu comme si Dieu et leur pays étaient intimement liés. Je ne doute pas que Donald Trump se considère comme chrétien, mais il nous faut reconnaître que c’est l’Amérique qui est son Eglise.
Les chrétiens ont une Eglise, constituée de personnes venant des quatre coins du globe. Ce lien d’interconnexion globale peut bien constituer un peuple qui, sous la même bannière, a les moyens de dire « non » à Trump. La moindre des choses à faire serait, tout d’abord, que les chrétiens des Etats-Unis rejettent leur longue histoire d’amour avec la vanité américaine !
Stanley Hauerwas
Cet article est la traduction d’une prise de position parue sur le site du Washington Post en date du 27 janvier. Les intertitres et le chapeau ont été rédigés par lafree.ch.