Il est parfaitement légitime de crier à l’injustice quand on est injustement traité et de dénoncer le mensonge quand les faits sont dénaturés. Mais le livre « Vaincre le totalitarisme islamique » de François Fillon que Hani Ramadan attaque violemment dénature-t-il vraiment les faits à propos de l’islamisme et promeut-il un traitement injuste des musulmans (LT, 12.12.2016) ? Ces questions méritent examen.
Pour M. Ramadan, les musulmans ont tout lieu de s’inquiéter des concepts « d’identité française » et de « laïcité » dont François Fillon donnerait dans son livre une interprétation destinée à les exclure socialement.
Racines chrétiennes opposées à multiculturalisme ?
Selon lui, cette « identité française » ne se reconnaîtrait pas dans le « multiculturalisme » et, en se réclamant des racines chrétiennes de la France, elle exclurait tout ce qui a une origine différente. Au passage, on s’étonne que M. Ramadan trouve à redire à une pratique qui ne lui pose aucun problème dans son pays d’origine. La constitution égyptienne ne stipule-t-elle pas que « Les principes de la charia islamique sont la source principale de la législation » ? Or, on le sait, l’Egypte est un pays majoritairement musulman où les chrétiens sont régulièrement persécutés – comme de récents attentats l’ont encore rappelé – et traités, à l’encontre du droit égyptien, en citoyens de seconde zone. Ni ces faits ni aucune autre raison ne pourraient justifier que les musulmans soient en retour maltraités en Occident. François Fillon ne laisse d’ailleurs pas de doute à ce sujet. Face au combat que Daech mène contre « l’Occident infidèle » et les mécréants de tous genres, l’auteur pose simplement la question : « Peut-on efficacement lutter contre l’idéologie de Daech sans reconnaître et assumer l’héritage chrétien... de la France. » Puis il précise : « Personnellement, j’ai la foi et il est vrai qu’une relation historique nous lie aux chrétiens d’Orient... Mais soyons clairs : contre Daech, nous livrons un combat pour des valeurs qui rassemblent tous les êtres de bien, croyants ou non, monothéistes ou pas, chrétiens, juifs ou musulmans » (p. 65).
Ces lignes n’ont pourtant pas rassuré Hani Ramadan qui exprime tout haut sa crainte que, comme les chrétiens sont chassés d’Irak et de Syrie, « l’idée d’une réciprocité s’installe dans les esprits, en exigeant que l’islam disparaisse de l’espace public ». Et là, avec un aplomb qui ne craint pas de se contredire, il nous rappelle que dans une « saine République » chacun devrait être libre de pratiquer « ouvertement » sa foi. Mais cette docte déclaration ne l’empêche pas de soutenir, en d’autres circonstances, la position de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France, d’obédience Frères musulmans) qui refuse aux musulmans, contrairement aux lois de la République, le droit de changer de religion.
La laïcité, coupable de tous les maux des musulmans ?
Hani Ramadan a un deuxième sujet d’exécration : la « laïcité ». De combien de maux n’est-elle pas coupable ? L’interdiction du port du voile en milieu scolaire, c’est elle. La dérive du « voyou » qui a fait 86 morts et 434 blessés le 14 juillet dernier à Nice, c’est elle encore. Qui était Mohamed Lahouaiej-Bouhlel ? « Un Arabe, admet M. Ramadan, certes, mais assimilé à ce point qu’il vivait entre l’alcool et les prostituées. » Chacun le comprend donc, la source de tous les maux (des musulmans), c’est cette « maudite » laïcité qui résiste à la volonté des islamistes d’imposer, bout par bout, une culture destinée à se substituer à un système juridique qu’ils veulent détruire. Mais ni l’islam, ni la famille de cet homme, ni cet homme lui-même n’ont la moindre responsabilité dans cet attentat. Tout est la faute d’une société laïque qui a corrompu cet enfant de l’islam.
Face à ce déni de responsabilité, il est bon de citer le journaliste et écrivain franco-algérien Mohamed Sifaoui : « Défendre la laïcité est vital pour affirmer les principes de liberté, égalité, fraternité. » En séparant le politique du religieux, la laïcité place chaque individu et chaque famille face à leur responsabilité de pratiquer ou non une religion. On ne peut pas à la fois jouir de la liberté religieuse et reprocher à la société qui offre cette liberté de ne pas imposer aux individus une « charia » censée les préserver de la délinquance. La liberté est une école de responsabilité exigeante et c’est ce que M. Ramadan semble regretter.
Salafisme, Frères musulmans et Daech, même combat !
Mais ce qui a mis Hani Ramadan le plus en colère dans le livre de François Fillon, c’est qu’il est, selon lui, « une somme de considérations grossières, et surtout de raccourcis qui conduisent à d’épouvantables amalgames : le salafisme comme les Frères musulmans représenteraient, avec Daech ! cette idéologie totalitaire qui serait à l’origine du terrorisme : il passe ainsi, sans nuance aucune, des attentats du 13 novembre 2015 à la guerre que livre ‘l’Etat islamique’, à la doctrine salafiste et aux Frères musulmans. »
Le plus vexant, en tout cela, c’est que le propos ainsi résumé est globalement vrai. Ces divers groupes rêvent tous de voir le drapeau de l’islam flotter sur le monde entier. Seules leurs stratégies diffèrent. M. Ramadan pense encore pouvoir se cacher derrière le « mille feuilles » islamiste. Aux médias occidentaux, on déclare être parfaitement acquis aux valeurs démocratiques, tandis que sur d’autres théâtres d’opération, on recourt à toutes les formes de terrorismes – armés, intellectuels, culturels et religieux – pour tuer la démocratie. Pour protester de la bonne foi et des bonnes manières des Frères musulmans, il nous rappelle qu’en 2011, le président Morsi a été démocratiquement élu. Mais à ce sujet, l’écrivain algérien Boualem Sansal fait un commentaire éclairant : « L’épisode du président... Morsi qui voulait amender la Constitution pour renforcer ses pouvoirs déjà énormes – ce sont ceux que s’était octroyés Moubarak ... – est révélateur de l’état d’esprit des islamistes : ils veulent décider non pas dans le cadre de la Constitution et de la démocratie, ils veulent décréter selon le Coran et la charia, autrement dit selon leur bon plaisir. »
Oui, l’ennemi est bien le totalitarisme islamique
« Le totalitarisme islamique, voilà l’ennemi ! » Oui, tel est bien l’ennemi et il est parfaitement inepte de le nier. Un ennemi qui vise aussi bien les peuples de cultures musulmanes que nos sociétés. Tous sont dans la ligne de mire d’un programme que Maulana Maududi, un des maîtres à penser pakistanais de l’islamisme et des Frères musulmans, a résumé en ces termes : « L’islam souhaite détruire tous les Etats et gouvernements, partout sur la face de la Terre, qui sont opposés à l’idéologie et au programme de l’islam, sans regarder le pays ou la nation qui instaure ces lois. ». A bon entendeur, salut !
Christian Bibollet, animateur de l’Institut pour les questions relatives à l’islam et membre du Réseau évangélique suisse (RES)