Le monde a été choqué par les attentats de Pâques au Sri Lanka, et cela a attiré davantage l’attention sur la persécution des chrétiens. Mais le cas n’est pas isolé : attaques contre des chrétiens coptes en Égypte, fermetures d’églises en Chine, foultitudes de chrétiens en camp de travail en Corée du Nord, violences et pressions au Nigeria, nombreuses églises attaquées en Inde, exode massif et forcé des chrétiens d’Iraq et de Syrie sous l’État Islamique, etc. Un récent rapport(2) demandé par le secrétaire d’État des Affaires étrangères britanniques relève des niveaux de persécution approchant le génocide, et fait des chrétiens le groupe religieux le plus persécuté du monde. On peut alors se demander pourquoi les chrétiens font à ce point l’objet de persécutions, d’autant plus qu’elles viennent de côtés très variés : régimes autoritaires, groupuscules islamiques, nationalistes hindous, etc.
Taxés d’« agents des puissances occidentales »
Il ne s’agit pas de minimiser les souffrances d’autres courants religieux ou philosophiques qui souffrent au nom de leurs convictions. Il est des cas où les chrétiens sont attaqués par des entités qui oppriment plus ou moins tout le monde. D’autre part, le nombre et la vaste répartition géographique des chrétiens jouent un rôle par simple effet d’échelle. Il y a aussi des facteurs historiques et politiques : pour une vaste proportion du monde, les puissances occidentales sont considérées comme chrétiennes, et les chrétiens peuvent être ciblés en représailles des actions occidentales, ou considérés comme des agents de ces puissances – bien que le christianisme soit aujourd’hui bien plus présent et vigoureux dans les pays en voie de développement.
Néanmoins, il y a quelques facteurs qui sont particulièrement présents chez les chrétiens (tout en se présentant aussi pour d’autres) et qui expliquent l’étendue de la persécution des chrétiens, et la variété des sources de persécution.
Mise en cause de l’homogénéité de la société
Dans beaucoup de cas, les chrétiens sont persécutés parce qu’ils mettent en cause l’homogénéité d’une société. Des puissances politiques, idéologiques ou religieuses essaient de bâtir un corps social uni sur la base d’une allégeance commune : au parti communiste, à une certaine interprétation de l’islam, ou à l’empereur romain au début de notre ère, par exemple. Or les chrétiens ont une allégeance différente et non négociable, envers la personne de Jésus-Christ et son message. En plus de cela, le christianisme est capable de progresser et de gagner des fidèles, même lorsqu’il est minoritaire et ne bénéficie pas de l’appui de l’État ou d’une majorité – soit dit en passant, je soutiens que quand le christianisme a progressé grâce à l’appui du pouvoir politique, il l’a fait en se trahissant et en compromettant son message, mais c’est un autre débat ! Si les chrétiens se contentaient de rester chez eux et de vivre leur foi discrètement, ils ne dérangeraient pas tant. Mais la foi chrétienne convainc des personnes, et crée donc d’anciens hindous qui ne respectent plus leur caste, d’anciens musulmans qui ne suivent pas la charia, etc. C’est pour cela que la persécution prend souvent la forme de lois contre la conversion (Inde) ou l’apostasie (États musulmans rigoristes), ou cible particulièrement les convertis. Le même phénomène gène aussi dans le cadre d’un pluralisme communautariste, où l’on veut bien voir vivre ensemble des communautés religieuses différentes, à condition que chacun reste chez soi, que chacun garde son appartenance de naissance.
Persistance dans leur foi
D’autre part, les chrétiens persécutés sont nombreux parce qu’ils persistent dans leur foi, même quand les circonstances la rendent particulièrement désavantageuse. C’est que la foi chrétienne a une dimension transcendante forte, qui fait que, pour les plus convaincus, aucune intensité d’opposition ne suffit à les faire renoncer. La connaissance et l’amour du Dieu créateur, poursuivis dans l’éternité, sont plus précieux que tout ce qu’ils pourraient perdre. En même temps, la foi chrétienne a aussi suffisamment de conséquences concrètes pour déranger les systèmes qui visent à organiser et unifier la société. Une conviction purement mystique, qui n’aurait aucune influence sur la vie serait facilement tolérée, tandis qu’une appartenance qui ne serait que tradition et intérêt pragmatique bien compris serait facilement renversée par le poids des circonstances. Être persécuté ne prouve bien sûr pas que l’on a raison, mais démontre que quelque chose de plus fort que les souffrances infligées a pris place dans la psychologie humaine.
Ces quelques réflexions posent quelques questions : pour tous, quelles sont les convictions que l’on serait prêt à maintenir à n’importe quel prix ? Comment bien cohabiter, avec une vraie liberté de croire et de changer de croyance ? Comment la faire respecter dans le monde ? Et pour les chrétiens occidentaux, avons-nous la même force de conviction, ou avons-nous simplement fait en sorte de ne plus déranger ?
Jean-René Moret, pasteur dans l’Église évangélique de Cologny