« Les évangéliques ne se soucient pas trop d'être compris des médias, constate la journaliste française Linda Caille. Ils nous parlent de leur amour de Dieu et des gens, mais peinent à répondre concrètement à nos questions. » Spécialisée dans les faits religieux, Linda Caille a sillonné pendant cinq ans la France, à la rencontre des évangéliques. Elle a publié le résultat de ses investigations dans un livre : Soldats de Jésus. Suite à son intervention et à celle d’autres intervenants, voici quelques conseils destinés à cultiver des relations fructueuses avec les médias :
1. Distinguer entre communication et information
La communication et l'information sont deux choses différentes. Lorsqu'une Eglise se présente, décrit ses activités, invite à des rencontres et annonce l'Evangile, elle communique. Sa communication est constituée d'informations choisies en vue d'atteindre ses buts. C'est une forme de publicité.
Mais ce type de communication n'a rien à voir avec de l'information pour laquelle des journalistes indépendants sont nécessaires. Ceux-ci enquêtent à partir de faits, de témoignages et de l'expertise de spécialistes. Ils décrivent leur sujet de manière aussi fidèle que possible... car l'objectivité parfaite n'existe pas.
« Il est difficile de départager entre vérité et opinions, explique le sociologue de l’Université de Lausanne, Philippe Gonzalez. Car, dans notre société, plusieurs vérités contradictoire cohabitent. » Cela explique qu'un décalage puisse exister entre ce que disent les sciences sociales et les journalistes... et ce que les évangéliques aimeraient communiquer. Une Eglise ne doit pas attendre d'un journaliste qu'il relaye sa publicité, mais qu'il informe.
2. Parler un langage compréhensible
Ce qui est dit dans nos cultes, ce qui est vécu dans nos Eglises est parfois très éloigné des codes de langage et de communication de notre société. Nous avons notre « patois de Canaan » peu compréhensible à l'extérieur. Un travail de traduction est donc nécessaire... y compris envers les médias. Lorsque vous parlez à un journaliste, veillez aux points suivants :
- Utilisez un vocabulaire accessible aux personnes qui ne fréquentent pas nos Eglises.
- Dites les choses avec humilité et humour. Ces qualités permettent de dédramatiser bien des situations, voire de créer de la compréhension.
- Utilisez un langage apaisé. « Dans l'espace public, tout langage belliqueux pose problème », précise Philippe Gonzalez. Evitez donc de parler de « combats » ou de « conquêtes », lorsque vous parlez de vous, de votre Eglise, voire du message évangélique. La communication en serait altérée.
- Tenez compte du fait que les journalistes orientent leurs enquêtes. Par exemple, Linda Caille a spécialement étudié le parcours des gens qu'elle a interrogés : « Je désirais comprendre ce que la foi change dans leur quotidien. Cela parle aux lecteurs. »
3. Connaître la « grammaire » des journalistes
Les journalistes baignent dans une culture qui les modèle. Ils enquêtent à partir des références et des valeurs véhiculées par cette culture. Philippe Gonzalez avertit : « Le phénomène religieux le plus important en Suisse n'est pas l'évangélisme, mais la perte de religion. Ainsi, les références à la religion disparaissent. Les journalistes abordent le religieux avec les interrogations et les a priori d'une société qui ne sait plus grand-chose de la religion ». Quelques conseils :
- Adaptez votre argumentation aux références religieuses du journaliste qui vous interviewe. Ce qu'il en connaît se limite peut-être à des clichés : « Le Dalaï Lama est pacifiste », « Le prêtre catholique est pédophile », « Le réformé n'existe pas », « L'évangélique est exubérant ».
- Les journalistes qui vous interviewe ont généralement des questions favorites, liées par exemple à l'utilisation de l'argent et à l'exercice du pouvoir. Préparez-vous à cela.
- Tenez aussi compte du fait que, dans notre société, la spiritualité est valorisée, alors que la religion institutionnalisée fait peur. Pire : la religion est souvent perçue comme une source de problèmes. Préparez-vous à répondre à cette objection de manière constructive.
4. Adopter une juste distance avec les journalistes
« J'ai interviewé des pasteurs malhabiles, se souvient Linda Caille. Ils commençaient par me demander si j'étais chrétienne au lieu de répondre de manière concrète à mes questions. D'autres cherchaient la connivence. Et, dans certaines Eglises, on sentait le numéro de charme. »
Les journalistes ne sont ni bienveillants, ni malveillants. Ils cherchent à comprendre. Dans ce but, ils gardent un certain recul, une distance critique. Ils perçoivent la connivence et les numéros de charme comme une menace pour la qualité de leur travail. Soyez vrais, sans chercher à mettre le journaliste « dans votre poche ».
5. Accepter de ne pas tout maîtriser
En matière d'information, les évangéliques doivent accepter de ne pas tout maîtriser et de prendre des risques. Les journalistes opèrent nécessairement une sélection et une hiérarchisation des informations. Ils adoptent un point de vue qui n'est pas forcément celui que vous auriez choisi. Parfois, le traitement de leur sujet peut déraper. « Mais nous avons besoin de ce regard extérieur, commente Charles-André Geiser, pasteur et journaliste. Si tout le monde ne disait que du bien de nous, là ce serait mauvais signe ! »
Il est important de répondre de manière vraie, honnête et concrète aux questions des journalistes. Cependant, il existe des informations qui sont du domaine de l'intime et qui n'ont pas à être dévoilées. Une expression circule à ce sujet : « Vous n'avez pas besoin de montrer votre chambre à coucher aux journalistes venus vous interroger. » En d'autres termes, triez entre ce qui peut être dit, photographié, filmé... et ce qui doit rester confidentiel. En effet, il existe des paroles et des attitudes difficiles à comprendre et à interpréter pour des personnes extérieures.
6. Ne pas craindre le contact avec les journalistes
Charles-André Geiser a une longue pratique de collaboration avec les médias. Pour lui, les évangéliques sous-estiment leur capacité à se faire entendre des journalistes : « J'ai rencontré des évangéliques qui pensaient ne pas pouvoir publier leurs informations dans des médias séculiers. Il y a des portes fermées qui s'ouvrent quand nous nous en approchons. » Cela ne coûte rien de demander. De plus, les équipes rédactionnelles doivent travailler rapidement et manquent de références religieuses : elles sont souvent intéressées par des textes bien écrits, prêts à être utilisés.
Claude-Alain Baehler