« Nous ne savons pas encore comment nous ferons face au manque de fourrage cet hiver, expliquent Nicole et Luc Lambercy. Cela peut nous amener à nous séparer d’un certain nombre de bêtes. Mais c’est compliqué pour nous qui vivons de la production laitière ». Rattaché à l’Eglise évangélique de Gimel (FREE), ce couple d’agriculteurs, producteurs laitiers et employés d’un syndicat d’alpage, vit un été difficile.
Faute de pâturages verdoyants, Nicole et Luc Lambercy effectuent de nombreux déplacements pour acheminer du fourrage et de l’eau – avec l’aide du syndicat – sur leur alpage de la région du Mont-Tendre, au sud du Lac de Joux. Et l’impact de cette période de sécheresse risque de perdurer, « car le prix du fourrage va certainement exploser et celui des bêtes de boucherie dégringoler, si aucune mesure n’est prise par les autorités », souligne Nicole.
Toutefois, cette chrétienne de longue date, qui fait partie du conseil d’anciens de sa communauté, préfère cultiver l’espérance que la négativité : « Là où la foi nous porte, c’est de savoir que Dieu reste le Créateur de toute la création, qu’il connaît nos peines et nos besoins. Nous vivons une situation éreintante, mais Dieu renouvelle nos forces et nous donnera des solutions ». Développer encore plus la dépendance envers Dieu, ainsi que l’humilité, sont aussi des leçons qu’elle tire de cette période.
La branche agricole souffre
Coordinateur de l’association chrétienne Solidarité Paysans Romandie (https://www.solidaritepaysans.ch), Jean-Michel Rey est en contact avec nombre d’agriculteurs. Selon son analyse, la sécheresse met toute la branche en péril. L’entrepreneur social explique : « Dans notre région, le lait destiné à la production de fromage est payé plus cher que le lait industriel. Mais en plaine, où les troupeaux ont dû redescendre plus tôt, il n’existe pas les infrastructures nécessaires à la production du fromage. Les paysans devront donc vendre leur lait pour la consommation et auront un manque à gagner, alors que la production de fromage diminuera ».
A ce problème s’en ajoutent plusieurs autres. Ainsi, les paysans ont perdu le marché russe qui est un gros consommateur de fromage suisse. Quant à ceux qui se seront séparés d’une partie de leurs vaches, ils ne les remplaceront pas. Résultat : la production locale de lait diminuera, créant un risque de pénurie.
« Du côté du blé, les moissons ont été assez bonnes, souligne Jean-Michel Rey. Mais, dans certaines régions, les grains sont plus petits car ils ont manqué d’eau. La situation est semblable en ce qui concerne le colza, dont la teneur en huile est moins importante que d’habitude. Quant aux pommes de terre, elles pourraient être déclassées par les grossistes si elles ne correspondent pas à leurs attentes.
Actions solidaires
Toutefois, quelques agriculteurs, qui ont eu de bonnes récoltes en 2021, ont fait des réserves de fourrage leur permettant de passer l’hiver. D’autres s’en sortent bien grâce à la luzerne, qui est résistante à la sécheresse. Ils ont pu la récolter verte et en faire des ballots. Certains se sont entraidés pour descendre leurs bêtes en plaine. Quant à la Conférence des paysans, organisée chaque année par la fondation Schleife à Winterthur (https://www.bauernkonferenz.ch/fr/page-daccueil), elle a lancé une cagnotte pour aider ceux qui ont des défis spécifiques.
Une réflexion à propos de l’adaptation des cultures au changement climatique est en cours. Pour Jean-Michel Rey, il s’agit de chercher le conseil de Dieu à propos des nouvelles cultures à pratiquer et des bonnes périodes de semis. Concernant la météo, l’entrepreneur social remarque que dans le langage courant, la pluie est toujours qualifiée de mauvais temps, « alors que, pour un paysan, le mauvais temps, c’est le même temps qui dure trop longtemps ».
Intercéder, acheter local, dénoncer les injustices
A la question : « Comment les chrétiens peuvent-ils soutenir les paysans ? », Jean-Michel Rey suggère de ne pas prier pour une météo qui nous arrange, mais « d’intercéder pour un temps propice à la production de notre nourriture ». Car comme la population s’en rend compte cette année, les effets de la sécheresse vont bien au-delà du monde agricole et du prix des denrées. Ils impactent aussi la production d’énergie, l’approvisionnement en eau de certains villages, la santé des forêts, etc.
L’entrepreneur social nous encourage à consommer local, mais également à manifester notre mécontentement lorsque les grands distributeurs font trop de bénéfices sur le dos des paysans : « Ces derniers fournissent le lait en-dessous du prix de production et les grossistes, eux, se prennent des marges de 40 % ou déclassent des produits non calibrés. Et Jean-Michel Rey de dénoncer encore les tracasseries administratives sans fin que subissent les travailleurs de la terre : « Ils forment un peuple mandaté pour nous nourrir, mais ils ne peuvent plus remplir leur mission dans de bonnes conditions ».
Article à propos de l’association Solidarité Paysans Romandie : https://lafree.ch/info/une-association-au-secours-des-paysans-romands-qui-souffrent