D’où vous vient cet esprit de pionnier et de créateur d’inédits ?
J’ai beaucoup appris durant mes 26 années de scoutisme. Au niveau spirituel bien sûr, mais aussi par rapport au fait d’apprendre de façon ludique, de m’intéresser à l’environnement dans lequel je me trouve, de l’étudier et de le comprendre. Depuis, tout ce que je fais, je le fais « par jeu ». Cela ne veut pas dire que ce n’est pas sérieux, mais j’ai toujours cette notion de « course », d’avoir cette envie d’être sur la ligne d’arrivée.
A 21 ans, vous avez fait un long voyage aux Etats-Unis en solitaire. Qu’est-ce qui vous a marqué ?
L’accueil spontané, chaleureux et sans arrière-pensée des Américains. La notion de « porte ouverte pour tous », non seulement pour la famille et les amis, mais aussi pour le voyageur de passage. Et c’est comme cela que je tiens à accueillir toute personne qui vient au domaine.
Fraîchement marié, vous partez avec votre femme en Afrique. Pourquoi ?
Nous voulions donner une année de notre temps pour un projet missionnaire. Au gré d’une rencontre, nous avons su que c’était le Congo. Il y avait un projet de construction d’une école en soins infirmiers dans une petite station perdue aux confins de la forêt équatoriale. Nous avions à la fois le temps et les compétences.
La vie en Afrique devait être très différente d’ici ?
Complètement ! Par rapport à notre vie en Suisse, nous n’avions rien. Nous avons pu expérimenter ce que veut dire : dépendre du Seigneur en toute chose.
Une anecdote ?
Pour finaliser notre projet, il nous manquait 300 sacs de ciment. C’était la saison des pluies, les pistes étaient difficilement praticables. Nous priions Dieu pour une solution quand un camion est tombé en panne pile devant la mission. Irréparable de suite ! Le propriétaire nous vend la cargaison, autrement perdue : 300 sacs de ciment, pas un de plus, pas un de moins ! Nous finissons les travaux dans les délais, grâce à ce camion providentiel.
Parlons du présent maintenant. Vous offrez au public une palette impressionnante d’exclusivités.
C’est toujours mon côté « joueur » ! Lavaux est probablement une des plus belles régions du monde. Ce lieu d’inspiration m’a permis d’aborder mon métier d’une manière différente de l’approche plus classique de mes confrères et amis.
Par exemple ?
En 1998, j’ai aménagé deux petites capites. Ces refuges qui servaient aux anciens à s’abriter ou à ranger leurs outils sont maintenant ouverts toute l’année au public. Quelques tables et bancs, des pergolas pour s’abriter du soleil complètent ce lieu d’accueil aujourd’hui très fréquenté. Les visiteurs peuvent en profiter librement, laisser un petit mot dans le livre d'or pour les suivants, ou encore déguster une demi-bouteille tirée de la petite cave en self-service installée à proximité.
En 2003, vous lancez le Lavaux Express, le petit train des vignes, pour découvrir cette magnifique région.
Des amis m’avaient fait découvrir une initiative semblable dans le sud de la France. Lors de la présentation du projet dans nos communes, beaucoup étaient sceptiques. Mais dès les premières courses, nous avons rencontré un succès important. Aujourd’hui, plus de cinquante personnes contribuent à l’accueil de nos 25'000 passagers annuels et veillent à la bonne marche de nos trois trains très sollicités !
Vous proposez aussi des « vendanges à la carte »…
Cela permet à toute personne qui le souhaite, de vivre une journée de vendanges dans un cadre enchanteur, de découvrir le domaine et son pressoir centenaire. Grâce à l’été torride, plus d’une centaine des volontaires vivront cette année une récolte de raisins exceptionnelle en précocité et en qualité !
A propos de raisins, est-il vrai que vous élevez vos vins en musique ?
C’est vrai ! Mes amis vignerons élèvent certains de leurs vins en barrique. Je ne suis pas adepte de cette vinification qui apporte de la complexité au détriment de l’authenticité. Elever mes vins en musique en leur jouant pendant une heure du saxophone tout au long des fermentations, c’est pour moi une façon d’entretenir un lien intime et positif avec eux, tout en les stimulant par de bonnes vibrations. Et cela fait tellement de bien au vigneron !
Vous considérez-vous comme un visionnaire ?
Les trois générations de ma famille qui m’ont précédé sur ce domaine viticole ont toutes été des visionnaires. Ils ont su adapter avant tous les autres leur vignoble aux exigences d’une viticulture moderne. Ce sera à la génération prochaine de juger si mes efforts en matière d’œnotourisme communautaire auront contribué à orienter le domaine dans la bonne direction.
Un dernier exemple concret a été en 2016 la création pour le compte du caveau des vignerons de Villette d’un jeu grandeur nature : « Vign’Heroes ». Sur un parcours de 1.2 km dans les vignes, les participants découvrent les aléas du métier de vigneron. Ils sont confrontés aux dangers qui guettent la vigne à chaque saison. Le défi est pour eux de préserver au mieux leurs raisins jusqu’aux vendanges. Par ce jeu, nous pouvons faire comprendre au public les réalités actuelles et méconnues de la profession de viticulteur.
Une école pour futurs vignerons ?
Non, une école de vie tout court.
Propos recueillis par Monika von Sury