« Mes enfants sont très fâchés parce que nous avons un bien en commun et nous ne pouvons rien en faire ! » Geneviève sert des gâteaux faits maison à l’entrée de la Grande Salle de Corcelles-Payerne. Quelque deux cents personnes participent en ce samedi 29 février à la rencontre régionale des paysans et métiers de la terre, sous le parrainage de la Schleife, une fondation chrétienne de Winterthour. Le thème de la journée : « Un pour tous, tous pour un, tous en un ».
Un changement dans la taxation des successions
« En 2014, poursuit Geneviève, nous souhaitions transformer notre ferme avec ses nombreux volumes vides pour en faire des appartements. A cause des changements en matière de fiscalité agricole, nous avons renoncé à toute transformation, en sachant que mes enfants allaient ‘casquer’, alors qu’ils n’ont pas les moyens et que je les mettrais dans la ‘dèch’ ! »
Geneviève habite la Broye vaudoise. Veuve voilà 23 ans, elle reprend seule la gestion d’un domaine d’une vingtaine d’hectares avec l’aide d’un voisin. Il y a 10 ans, elle arrête d’exploiter son domaine, fatiguée, sans que son fils reprenne l’activité. Elle a alors 60 ans et découvre que le Tribunal fédéral a publié un arrêt qui impose à 50 pour cent le passage des biens agricoles de la fortune commerciale à la fortune privée, lors d’une cessation d’activité ou d’une donation.
« C’est une injustice, ajoute Geneviève. Je suis aujourd’hui à la retraite et je vis très simplement, uniquement avec ma rente AVS. J’arrive bientôt au bout de mes réserves et je ne pourrai pas bénéficier des revenus de notre propriété. » Le montant d’impôts qui tomberait sur cette famille en cas de modification de l’affectation des locaux de la ferme familiale précariserait la situation de cette femme engagée dans la foi et de chacun de ses quatre enfants.
Présenter le cas devant Dieu, le juste Juge
Sensibilisé à cette « spoliation » par son travail de contact et d’aumônerie dans le monde agricole, Jean-Michel Rey, coordinateur de l’association chrétienne « Solidarité paysans Romandie » et membre du comité d’organisation, a présenté une démarche originale aux participants à la journée de Corcelles-Payerne. Devant le nombre de ces paysans vaudois notamment, « qui se font piquer leur ferme par l’Etat », il organisera une journée de repentance et de prière le 9 mai prochain à Gland pour apporter cette affaire « devant le trône de justice de Dieu ».
« Nous avons décidé de mener à bien cette démarche, explique Jean-Michel Rey, alors que nous nous trouvions dans la Drôme cet hiver pour quelques jours de retraite avec des couples de paysans de notre région. » Ensemble, ils ont eu l’idée d’accomplir un acte symbolique. Dans son intervention du 29 février, Jean-Michel Rey a présenté aux quelque deux cents représentants de familles paysannes présentes un petit genévrier tout sec, « symbolisant un peuple qui est en train de mourir ». En guise de signe d’espérance, il a invité tous les participants à nouer un brin de laine verte. « Nous sommes convaincus que, face à l’enlisement de cette situation, nuisible à nombre de familles paysannes, cette démarche fera la différence », ajoute le coordinateur de Solidarité paysans Romandie.
Une démarche qui veut appuyer GRIEF
Pour montrer l’ampleur du problème et renforcer la prise de conscience des participants, les organisateurs de cette conférence régionale ont fait intervenir un représentant de l’association GRIEF (Groupement de revendication pour une imposition équitable des immeubles familiaux agricoles). L’agriculteur Michel Pécoud, son coprésident, a expliqué qu’en 2011, au moment de la sortie de l’arrêt fédéral concernant l’imposition des successions agricoles, les politiciens n’avaient pas compris ce qui se passait. « Nous avons assisté à la confiscation de biens familiaux », a-t-il lancé. Il a ensuite invité les paysans à s’indigner devant le traitement qui leur était imposé et à lutter ensemble pour faire reconnaître cette erreur. « La lutte pourra être longue, a-t-il conclu, mais nous y arriverons ! »
Pour Jean-Michel Rey, l’association GRIEF a les compétences juridiques, et les paysans chrétiens l’accès au grand Juge. « Début mai, nous irons trouver le Seigneur avec cette affaire de taxation injuste, puis, suivant le résultat, nous pourrions faire la même chose avec d'autres injustices et elles sont nombreuses ! »
Serge Carrel
Voir l'émission « Paysans sous pression » du magazine « Mise au point » de RTS Un», le 5.11.2017.