40 ans après son assassinat : Martin Luther King ou le courage d’aimer contre vents et marées

jeudi 27 mars 2008
Martin Luther King, ce pasteur noir américain, fascine. 40 ans après son assassinat – c’était le 4 avril 1968 -, il apparaît toujours comme une voix à écouter avec attention pour orienter sa vie. Présenté souvent comme disciple de Gandhi ou comme l’apôtre de la concorde universelle, Martin Luther King est avant tout un disciple de Jésus. Il trouve dans son face à face avec Dieu le courage de mener sa lutte pour la justice et la paix. Une personnalité fondatrice à découvrir et à redécouvrir avec un texte et des images qui impressionnent!
Voilà 40 ans, le 4 avril 1968 à Memphis aux Etats-Unis, Martin Luther King Jr succombait sous des balles. Assassiné. Ce pasteur baptiste noir américain aura marqué le XXe siècle par son courage pour surmonter la peur et incarner l’Evangile de Jésus-Christ dans une réalité conflictuelle, profondément marquée par l’injustice. Avant d’être un disciple de Gandhi et de sa méthode non violente, Martin Luther King est un chrétien qui, au plus fort des nombreuses tourmentes, se raccroche à une expérience : celle d’un Seigneur qui « peut ouvrir un chemin là où il n’y a pas d’issue ».

« Fortifie-toi et prends courage… »
« Je rêve que, un jour, sur les rouges collines de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité… Je rêve que mes quatre enfants vivront un jour dans un pays où on ne les jugera pas à la couleur de leur peau mais à la nature de leur caractère. Je fais aujourd’hui un rêve ! »  (1). Par ce propos tiré du fameux discours « I Have a Dream » (« Je fais un rêve ») prononcé à Washington en 1963 (le discours à voir), Martin Luther King retrace le combat d’une vie. Donner enfin au fameux « rêve américain » sa signification pleine et entière. Permettre le paiement aux Noirs américains du « chèque en blanc » accordé par le président Abraham Lincoln en 1863. Tel Josué, successeur de Moïse, Martin Luther King souhaite conquérir un pays, faire advenir une nation où les mots liberté, justice et fraternité ne seraient nullement des paroles en l’air.
1963 marquait le centenaire de la proclamation d’émancipation de Lincoln. Martin Luther King voyait dans cette commémoration la possibilité de faire advenir la reconnaissance pleine et entière des droits civiques des citoyens noirs. Le 19 juin, un projet de loi en ce sens est même soumis au Congrès américain. Afin de porter un coup irrémédiable à la discrimination raciale, Martin Luther King et d’autres leaders du Mouvement des droits civiques organisent une marche sur Washington. Elle doit permettre de faire pression sur le Congrès afin qu’il adopte cette loi. Pour la première fois, les Noirs se lancent dans une offensive à large échelle. Cette marche a lieu le 28 août. Elle rassemble 250 000 personnes devant le mémorial Lincoln. Martin Luther King termine ce meeting avec son fameux discours « I Have a Dream ».
La manifestation connaît un succès sans précédent. King n’élabore pas une sorte de rêve éthéré d’idéaliste loin de la réalité. Non ! depuis plusieurs années, ce pasteur mène une lutte au corps à corps avec la ségrégation raciale. Par ce discours, il tente de rassembler les énergies de la minorité noire pour qu’elle entre avec courage en possession de la « Terre promise ». Cette terre où prévaudra l’égalité entre Noirs et Blancs.

Le courage d’affronter la réalité en face
La lutte pour l’émergence d’un « noir nouveau » avait commencé en 1955. Une année plus tôt à l’âge de 25 ans, Martin Luther King était entré au service de l’Eglise baptiste de Dexter à Montgomery en Alabama. Le 1er décembre 1955, une couturière noire dans la quarantaine, Rosa Parks (un portrait en images), est arrêtée, puis condamnée pour avoir refusé de céder sa place à un passager blanc dans un autobus bondé. A l’époque dans le sud des Etats-Unis, non seulement les bus connaissent la ségrégation entre Noirs et Blancs, mais les écoles, les églises, les restaurants, les toilettes, les fontaines… aussi ! A la suite de l’arrestation de Rosa Parks, las des humiliations qu’ils ont à endurer, les Noirs de Montgomery décident de s’abstenir de prendre les bus de la ville. Le 5 décembre, un boycott de longue haleine commence.
Dès le début de son ministère, King s’est beaucoup investi dans l’action sociale. Il a les compétences et la reconnaissance de ses pairs pour prendre la tête de ce boycott. Il devient rapidement le président de l’association qui revendique la déségrégation des bus de Montgomery.
Après plus d’une année de lutte, la Cour suprême des Etats-Unis met fin au conflit en décrétant l’anticonstitutionalité de la ségrégation dans les bus. La peur de mettre en cause le système établi, les craintes devant les conséquences d’une révolte non violente contre un ordre séculaire ne parviennent pas à déstabiliser Martin Luther King. Certains jours, il reçoit même jusqu’à quarante lettres d’injures et une vingtaine de coups de fil le menaçant de mort… la peur ne balaie pas tout sur son passage. Avec courage, il se met à la tâche.
La communauté noire fait bloc derrière le boycott. Les premiers jours, les Noirs font parfois plusieurs dizaines de kilomètres à pied pour se rendre à leur travail. Bientôt des compagnies de taxis noires offrent leurs services à un prix modique. L’attitude non violente permet à King et à ses amis de remporter une victoire qui annonce de profonds changements aux Etats-Unis.

Nourri de la présence de Jésus
Martin Luther King aime raconter le témoignage suivant (à voir et à entendre). Fin janvier 1956, un soir, il vient de rentrer d’une séance de l’association qu’il préside. Il est minuit et il s’apprête à trouver le sommeil, quand tout à coup le téléphone sonne. « Ecoute sale nègre, on en a marre de toi et de ton merdier. Si dans trois jours tu n’as pas quitté cette ville, on te fait sauter la cervelle et ta maison avec ! » vocifére en substance une horrible voix. Dans une prédication de 1967, alors qu’il évoque ce qui lui est arrivé cette nuit-là, Martin Luther King relève que tout à coup son monde intérieur s’écroule. Il est « atterré », comme « égaré ». Tout courage dans cette situation de crise l’abandonne. Il a beau repasser dans sa tête certaines des convictions théologiques ou philosophiques apprises sur les bancs de l’université… nul soutien ne vient de cette réflexion sur le péché et le mal.
Il pense tout simplement aux siens. A sa petite fille, tout juste âgée d’un mois… à son épouse qui dort dans la chmabre d’à côté. Tous ces êtres chers « peuvent lui être enlevés d’un instant à l’autre ». Il est au bout du rouleau. Il ne sert à rien d’en appeler à sa mère ou à son père. Ils habitent à 175 kilomètres de là… Il est seul dans son combat. Découragé ! « Je me rendis compte alors, témoigne-t-il dans cette prédication, qu’il fallait que la religion devienne pour moi une réalité, et que je connaisse Dieu par moi-même. » Martin Luther King se met alors à prier à haute voix. « Seigneur, je dois avouer qu’aujourd’hui je suis faible, je suis en train de craquer, de perdre courage… Interviens, Seigneur et donne-moi la force nécessaire… » A cet instant il entend une voix intérieure qui lui dit : « Martin Luther, lève-toi. Lève-toi pour le droit. Lève-toi pour la justice. Lève-toi pour la vérité. Et je serai avec toi. Même jusqu’à la fin du monde ».
Et là Martin Luther King de relever que, si les forces du mal et du découragement s’étaient comme jetées sur lui l’espace d’un instant, il avait entendu la voix de Jésus lui demander de poursuivre le combat. « Il promit de ne jamais m’abandonner, s’exclame-t-il avec emphase, de ne jamais me laisser seul. Non, jamais seul. Jamais seul… Et maintenant je marche, en croyant en lui. Vous aussi, il faut le connaître, connaître son nom. Et savoir l’appeler par son nom… » La voix de Jésus qui résonne alors dans la vie de Martin Luther King, lui redonne courage. Sur l’instant c’est sûr ! Mais elle joue un rôle porteur tout au long de ses nombreux combats à venir, jusque dans ses dernières années souvent plus sombres. Les découragements, les menaces ont beau redoubler, « l’Esprit Saint fait revivre à nouveau son âme ».

Le courage de persévérer
Ce succès à Montgomery propulse de Martin Luther King sur le devant de la scène des personnalités dotées d’une aura de justice et de probité. Il devient ainsi une sorte de conscience de l’Amérique. La revendication la plus importante des Noirs avait trait aux droits civiques. Ce nouveau Noir doit obtenir le signe tangible de sa liberté: le droit de vote. Théoriquement, il était possible aux descendants des esclaves de participer à une élection. Toutefois les conditions préalables étaient telles que seul un « gradué de Harward » pouvait les remplir.
Il ne faudra pas moins de dix ans de luttes et de combats quotidiens pour que les noirs, par-delà la ségrégation des lieux publics, gagnent le droit de voter. A la fin du printemps 1964, le Sénat ratifie cette loi et le 2 juillet le successeur de J.F. Kennedy, Lyndon Johnson, signe l’Acte des droits civiques à la Maison-Blanche, sous le regard de plusieurs leaders noirs, au nombre desquels se trouve Martin Luther King. Enfin, comme le relève Lyndon Johnson à la télévision, ceux qui sont égaux devant Dieu sont désormais égaux dans l’isoloir, dans les écoles, dans les usines, dans les hôtels… Les fameuses pancartes « Whites Only » (« Réservé aux Blancs ») doivent maintenant disparaître partout dans le Sud profond.
Le 10 décembre 1964, le courage de Martin Luther King à persévérer dans son combat est salué par l’obtention du Prix Nobel de la paix. Ce couronnement ne doit pas masquer le fait que l’Acte des droits civiques, signé par Johnson en été 1964, ne lève pas tous les obstacles à l’expression du vote des Noirs. Une taxe spéciale continue d’être prélevée. Pour nombre de Noirs, elle représente une impossibilité pratique à la participation au vote. Après de nombreuses pressions et une importante manifestation à Selma dans l’Alabama, le président Lyndon Johnson signe enfin, le 6 août 1965, une loi qui proscrit toutes les restrictions au droit de vote des Noirs. De plus une instance fédérale est chargée de mettre en vigueur la loi et de superviser les élections fédérales dans les Etats ségrégationnistes du Sud. La communauté noire dans son entier peut désormais s’inscrire en masse sur les listes électorales et voter par centaines de milliers. Le paysage politique s’en trouve radicalement remodelé. La longue croisade non violente de King a enfin abouti. Le courage n’est pas uniquement la valeur à mettre en œuvre au début de la lutte de King au côté de Rosa Parks. Il en faut parfois davantage encore pour continuer et perpétuer le combat, malgré le nombre et l’ampleur des obstacles.

Le courage devant la mort
Dès 1965, Martin Luther King élargit son champ d’action. Il continue certes à militer pour la cause noire, mais il se profile sur d’autres terrains : celui de la pauvreté dans les ghettos du Nord notamment. Début 1966, il s’installe à Chicago. Il y plaide l’intégration pour tous et de meilleures conditions de vie pour les pauvres. Pendant cette période qui court de 1965 à 1968, appelée parfois « les années de crise », Martin Luther King dénonce la guerre du Vietnam. Les réactions négatives pleuvent alors. Tout juste un an avant sa mort, le 4 avril 1967, King prononce un grand discours dans l’église Riverside de New York. Il y développe les raisons de son hostilité à l’engagement militaire au Vietnam : économiquement la guerre ruine les espoirs des pauvres aux Etats-Unis et ce sont ces mêmes pauvres qui alimentent la guerre en chair à canon. Il s’éleve encore contre « le plus grand pourvoyeur de violence dans le monde aujourd’hui : son propre gouvernement ».
A partir du milieu de 1967, King se lance dans un nouveau projet d’envergure, la Marche des pauvres sur Washington. Il s’agit d’exercer une pression majeure sur le gouvernement fédéral pour qu’il modifie sa politique à l’endroit des plus démunis et débloque d’importants crédits. Fin mars, il se rend à Memphis. Là, il participe à une marche de protestation au côté des éboueurs noirs de la ville. Insuffisamment préparée, cette manifestation se termine dans la violence. Martin Luther King revient à Memphis le 3 avril. Il s’agit pour lui de corriger le tir et de maintenir la non-violence des manifestations dans lesquelles il s’implique. Le lendemain de son retour, il meurt assassiné. C’est le 4 avril 1968 au Motel Lorraine.
Les dernières années de Martin Luther King ne connaissent pas le même allant qu’au début des années 60. King fait souvent face à l’angoisse de la mort. Il sait le nombre de ses ennemis se multiplier. Dans plusieurs prédications, il en parle. Lors de mes funérailles, relève-t-il, ne dites pas que j’ai reçu le Nobel de la Paix… « Dites que j’étais le tambour-major de la justice ; dites que j’étais le tambour-major de la paix… » La veille du 4 avril, il souligne encore (un extrait de prédication à voir) : « Ce qui va m’arriver maintenant importe guère… Comme tout le monde, je voudrais vivre longtemps… Je veux simplement que la volonté de Dieu soit faite. Il m’a permis d’atteindre le sommet de la montagne. J’ai regardé autour de moi, et j’ai vu la Terre promise. Il se peut que je n’y pénètre pas avec vous. Mais je veux vous faire savoir, ce soir, que notre peuple atteindra la Terre promise… » A 39 ans, 6 ans après son Maître, Jésus de Nazareth, Martin Luther King meurt. Il avait affronté le doute, la dépression et la conscience d’une fin proche avec le courage des vaincus qui savent que, par-delà leur mort, une force de résurrection perpétue leur héritage.
Serge Carrel

Notes
1 MLK, « Je fais un rêve », Les grands textes du pasteur noir, Paris, Centurion, 1987, p. 56.
2 MLK,  « Toi insensé », Centre protestant d’études, traduction et présentation par Henry Mottu et Serge Molla, septembre 1988, no 4, p. 17.
3 Serge Molla, Les idées noires de Martin Luther King, Genève, Labor et Fides, 1992, p. 32.
4 MLK, « Je fais un rêve », p. 133.
5 MLK, « Je fais un rêve », p. 188.
6 MLK, « Je fais un rêve », p. 203.

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