Claude Vilain : « Nous vivons mal la cène ! »

lundi 14 décembre 2009

La cène en milieu évangélique est un élément essentiel du culte. Dans un Dossier Vivre qui vient de paraître, « Vivre la cène aujourd’hui », Claude Vilain, un enseignant belge fraîchement retraité, propose une réflexion pour que le repas du Seigneur soit pris avec davantage d’intériorité et de profondeur. Entretien.

Claude Vilain, vous venez de publier « Vivre la cène aujourd’hui », un petit livre où vous faites un constat : « On vit mal la cène dans les Eglises évangéliques ». Qu’entendez-vous par là ?
Dans de nombreuses Eglises ou assemblées, on ne sait pas trop que faire de la cène. Souvent elle s’intercale entre la louange et la prédication. On dit quelques mots, on fait une lecture biblique et souvent ces cènes sont vécues sans intériorité, sans temps de silence, sans tout ce qui fait que l’on entre dans une démarche qui nous implique individuellement ou communautairement.

Comment faire de ces repas des moments forts pour la vie spirituelle des participants ?
Il me semble essentiel que ceux qui président ce moment s'y préparent et ne se laissent pas gagner par la facilité de la répétition de quelques paroles. Tout en sachant qu'il peut y avoir des cènes bien préparées où il ne se passe rien et d'autres préparées dans la superficialité où il se passe quelque chose de fort. Les personnes qui président la cène sont toujours liées à l’action de Dieu qui peut utiliser ce moment d'une manière ou d'une autre.
Ce qui est important, c’est que celui qui préside réfléchisse à la manière de communiquer quelque chose de pertinent à la communauté. Il y a aussi un enseignement à dispenser – ce que fait ce livre ! – pour amener chaque chrétien à prendre conscience que ce n’est pas un événement banal. C’est un repas où le Seigneur nous accueille personnellement, où le Seigneur nous reçoit à sa table au travers du pain et du vin partagés.

Vous dites dans votre livre : « A ne pas prendre la cène au sérieux, on se prive de bénédictions »... De quelles bénédictions se prive-t-on ?
Si la cène me permet de faire un examen de ma relation avec Dieu, c’est déjà une première bénédiction !

Les cènes se déroulent très vite ! A-t-on vraiment le temps de se dire : où est-ce que j’en suis dans ma relation à Dieu ?
Si nous étions pleinement conscients de ce que ce repas signifie et peut nous apporter, nous pourrions l'inscrire dans le registre du désir. Lorsqu'on aborde un repas en ayant faim, on l'apprécie autrement que si l'on est déjà rassasié ! Si nous pouvions aborder la cène en disant : « Mon âme a faim et soif de toi », peut-être que nous pourrions alors vivre un réel temps de communion. Avant de prendre la cène je demande toujours au Seigneur de me montrer ce qu'il veut m'y faire découvrir.

Imaginez-vous que le Christ est là en face de vous et que lui-même vous accueille à sa table et vous offre le repas ?
Ça peut être un des éléments !

Dans ces circonstances incite-t-on suffisamment les membres de nos Eglises à visualiser et à imaginer ce qui est en train de se passer ?
Une telle démarche est proche de ce que met en avant un Ignace de Loyola... ce n’est pas faux ! C’est tout le travail de l’imaginaire pour rendre présent le texte de l’Evangile et le vivre comme si nous étions participants à cette rencontre ou à cet événement. Cela peut nous aider, même si cet effort d’imagination n’est peut-être pas possible pour tous. A mon sens, le président peut poser une question simple à laquelle les personnes présentes vont réfléchir.

Et quelle serait cette question ?
Au travers du repas du Seigneur, on peut mettre de nombreux thèmes en avant : les différentes significations de la croix, le Christ qui nous offre une communion renouvelée au travers du pain et du vin, la cène comme message d’espérance dans l’attente du Royaume... En lien avec ce dernier thème, la question que l’on adresse à la communauté pourrait être : en quoi cette cène vous donne-t-elle un avant-goût du festin des noces de l’Agneau et donc est-elle source d’espérance ?

Dans votre livre, vous dites : « La cène est un chemin de guérison ». En quoi ?
Lorsque nous nous approchons de la cène, nous pourrions simplement nous poser la question de savoir ce que nous sommes invités à déposer au pied de la croix. Peut-être peu de chose parce que notre semaine s'est passée sans tensions excessives, sans dérapages manifestes. Notre plus grand péché ne serait-il pas de mépriser si souvent ce chemin de communion et d'intimité que le Seigneur nous propose ?
Si nous pouvons goûter personnellement le pardon de Dieu, nous sommes aussi invités à l'expérimenter de manière communautaire. Je reste étonné face à des communautés où il y a manifestement des conflits entre des groupes de personnes et où on participe au repas du Seigneur comme si de rien n’était. Ce n’est pas normal ! On doit faire nôtre la parole du Christ : « Si donc, au moment de présenter ton offrande devant l’autel, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis tu reviendras présenter ton offrande » (Mt 5. 23-24).

Que se passe-t-il si la cène est prise en gommant les conflits ?
On perd une dimension importante : celle de l’unité au sein de la communauté. Quand l’apôtre Paul fait ses remarques dans sa première épître aux Corinthiens au chapitre 11, il le fait parce que la communauté corinthienne devrait vivre l’unité et vit la division. Et la cène devient facteur de division... Comme il le dit : certains sont ivres et d’autres ont faim ! Si cette unité n’existe pas dans notre Eglise, interrogeons-nous sur les raisons de cette désunion !

N’a-t-on pas peur souvent de semer le désordre dans le cadre d’un culte et de souligner qu’au sein de notre communauté il y a passablement de tensions ?
Tout dépend de chaque communauté ! Si vous vous trouvez dans une communauté très conflictuelle, ce n’est peut-être pas la cène qui permettra de laver votre linge sale. Là, il faut être prudent !
Dans le repas de la cène, il y a un appel à être conséquent dans la manière dont nous vivons notre relation verticale avec le Seigneur et notre relation horizontale avec les frères et soeurs. On ne peut pas dire que l’on aime Dieu si on n’aime pas son frère. Si dans la communauté il y a des tensions entre plusieurs personnes, à mon sens c’est anormal que l’on fasse comme si de rien n’était ! Pour avoir vécu des moments de réconciliation autour de la cène, je dois reconnaître que ces cènes-là font partie de celles qui ont été marquantes dans ma vie. Dans des circonstances difficiles, quelqu’un a eu le courage d’aller vers un frère ou une soeur pour lui demander publiquement pardon. Après cela, il est évident que le partage du pain et du vin constitue un moment qui unit la communauté d’une manière surnaturelle.

De temps en temps ne vaudrait-il pas la peine de vivre un culte uniquement autour de la cène ?
Cent pour-cent d’accord... Il faut avoir la volonté de vivre cela et de le mettre en route ! Si on prend le temps de réaliser ce que l’on est en train de vivre, ce pourrait être un culte qui nous transforme et nous guérisse ! Bien souvent le danger de la cène, c’est qu’on la prend dans la verticalité : « Je suis devant le Seigneur. Je vais prendre le pain et le vin. Je vais faire une mise au point, afin de redécouvrir un aspect de ma relation à Dieu. » Et j’oublie qu’à côté de moi il y a un frère ou une soeur qui va partager le même repas. L’horizontalité est aussi extrêmement importante. On devrait pouvoir se quitter lorsqu’on a pris la cène avec un regard différent sur le frère ou la soeur qui est à côté de nous.

On ressent dans votre livre une ouverture et une influence des autres traditions chrétiennes : réformée, catholique ou orthodoxe. En quoi votre passage par d’autres traditions a-t-il renouvelé votre perception de la cène ?
J’ai trouvé dans la spiritualité catholique et orthodoxe des points extrêmement stimulants pour une recherche profonde de Dieu à travers le silence, à travers l’intériorité, à travers la conscience de vivre lors de la cène-eucharistie un moment spirituellement fort. Bien souvent j’ai découvert des réflexions que je n’ai pas trouvées dans des ouvrages évangéliques ou protestants, qui abordaient le sujet de la prière, de l’intériorité ou du repas du Seigneur...
Je ne suis pas « catholicisant » ! Je ne pourrais pas devenir ce que je ne suis pas ! mais il faut reconnaître qu’il y a d’autres expressions de la foi chrétienne qui peuvent nous stimuler, nous interpeller et nous permettre de progresser !

Propos recueillis par Serge Carrel

Claude Vilain, Vivre la cène aujourd’hui, Genève, Je sème, Dossier Vivre, 2009, 128 p.

  • Encadré 1:

    Bio express
    Claude Vilain est enseignant en retraite. Il a des responsabilités dans une Assemblée du sud de Bruxelles. Il a étudié à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine. Secrétaire de la Fraternité spirituelle des veilleurs pour le Benelux, il est marié, père de deux filles et grand-père de 4 petits-enfants.

  • Encadré 2:

    Ecouter Claude Vilain
    Une prédication de Claude Vilain. A l’occasion de la sortie de son livre, Claude Vilain a eu l’occasion de prêcher le 6 décembre à l’Eglise évangélique des Uttins à Yverdon-les-Bains.
    Une interview de Claude Vilain. En lien avec cette prédication, Claude Vilain a été interviewé par Christian Mairhofer, pasteur de l’Eglise évangélique des Uttins à Yverdon-les-Bains.

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