« Je suis rentrée du Congo très enthousiaste et très excitée ». Fanny Ukety est originaire de l’est de la République démocratique du Congo. Elle vit à Meyrin depuis 3 ans. Tony, son mari, est ophtalmologue. Il coordonne auprès de l’OMS le travail des ONG qui luttent contre la cécité des rivières. Cette mère de 4 garçons, entre 23 et 16 ans, rayonne. Elle vient de rentrer de Bunia où l’expérience de micro-crédit qu’elle a commencé à préparer en 2004 prend de l’ampleur et permet à des familles extrêmement pauvres d’améliorer leur quotidien.
300 femmes participent à cette expérience
« Aujourd’hui, 300 femmes participent à ce programme de micro-crédit du CEMADEF (le Centre multidisciplinaire d’appui pour le développement de la femme), l’ONG que nous avons fondée, et 7'000 dollars ont été investis », explique-t-elle avec des scintillements de joie dans les yeux. Chacune de ces femmes a reçu un crédit de 20, 50 ou 100 dollars pour développer une activité professionnelle : la culture de légumes dans un champ, la confection de vêtements, la vente de différents produits... Presque une année après l’octroi des premiers prêts, 98 pour-cent des fonds sont revenus et l’action touche près de 8 fois plus de femmes.
« Nous avons commencé très modestement avec de l’argent privé », explique Fanny Ukety. Des amis suisses des Ukety effectuent une collecte à l’occasion d’un anniversaire. L’argent récolté permet d’octroyer un premier crédit à 40 femmes, pour 6 mois, renouvelable pendant 3 ans. « Les femmes les plus pauvres de la ville de Bunia sont concernées, ajoute Fanny. Celles qui ne viendront jamais se présenter au bureau d’une ONG, parce que trop mal habillées ». Beaucoup de ces femmes – mais pas toutes ! - sont membres d’une Eglise évangélique. « Elles ne souhaitaient pas bénéficier de l’argent d’inconnus, par crainte de perdre leur liberté », se rappelle Fanny Ukety. Cette Congolaise, qui bénéficie à la fois d’une formation en gestion et d’un bachelor en théologie, connaît la mentalité de ces femmes chrétiennes. Elle apaise leurs craintes, les assure que le non-remboursement d’un crédit ne les conduira pas en prison, et, surtout, pose un cadre chrétien à cette expérience de micro-crédit.
Tous les 6 mois, 2 semaines de formation pour lancer un nouveau projet
Voilà 5 fois que Fanny Ukety est retournée à Bunia, à ses propres frais. Chaque fois au début d’un semestre, pour rassembler ces femmes et leur dispenser sur deux semaines un enseignement. D’abord biblique et théologique sur la manière de gérer une affaire, puis plus pratique pour les initier à des rudiments de comptabilité et de gestion. « Chaque femme au bénéfice d’un micro-crédit, explique Fanny, fait partie d’un groupe de 5 qui se voient une fois par mois pour discuter de la marche de leurs affaires, partager leurs problèmes et y trouver ensemble des solutions ». De temps à autre, ces groupes de femmes se retrouvent aussi pour bénéficier, par exemple, de l’enseignement d’un agronome sur les manières d’améliorer la culture des champs ou les soins à donner à certains légumes. En fait, ces 5 femmes sont à la fois responsables des 20 dollars de crédit qu’elles ont reçus personnellement et des 100 dollars que le groupe a reçus. « Le fait que ces 5 femmes soient responsables des 100 dollars reçus par le groupe, complète Fanny Ukety, les pousse à la solidarité. Et ce d’autant plus que si quelqu’un ne parvient pas à rembourser, le groupe ne reçoit plus de nouveaux crédits ».
Une ONG pour celles qui n’ont vraiment rien
En janvier, lors du rassemblement semestriel du CEMADEF, des femmes ont interprété un sketch en présence de Fanny Ukéty. Une mendiante se lamentait du fait qu’elle ne disposait d’aucune ressource et de ce que personne ne pouvait l’aider. Des femmes sont alors intervenues et lui ont fait savoir qu’au CEMADEF on recevait les gens comme ils étaient et que c’était justement des femmes comme elle que cette ONG voulait aider.
Des femmes ont aussi témoigné du fait que, grâce à ces micro-crédits, elles avaient retrouvé une meilleure santé et permis à leurs enfants de manger 3 fois par jour et de reprendre le chemin de l’école, payante dans cette région d’Afrique.
Le témoignage d’une femme de pasteur a particulièrement bouleversé Fanny. Cette jeune maman n’avait jamais fait de petit commerce. Elle était très engagée au côté de son mari dans un groupe de prière et dans l’évangélisation, tout en cultivant son champ de manioc. Les conditions de vie de ce couple pastoral étaient précaires. L’octroi d’un micro-crédit a permis à cette femme de développer une culture maraîchère, de retrouver sa dignité et de devenir un des éléments moteurs au sein du CEMADEF. « En fait notre ONG parvient, grâce au micro-crédit, à créer des liens d’amitié entre femmes. Des liens qui dépassent les clivages ethniques, très à vif ces dernières années dans cette région. »
Les risques encourus par cette démarche apparaissent limités à Fanny Ukety. Certes il y a toujours la maladie et la mort qui peut toucher certaines femmes et précariser le vécu d’un petit groupe, mais les « surveillantes » responsables d’une dizaine de groupes peuvent alors intervenir. Le risque le plus important, c’est celui d’une reprise de la guerre civile, qui a marqué de son empreinte cette région, depuis 1996.
1’000 femmes sur Bunia
Fanny Ukety envisage de continuer à développer le CEMADEF sur Bunia. Elle est prête à augmenter le nombre de femmes au bénéfice d’un micro-crédit jusqu’à 1’000. Elle prospecte déjà ailleurs dans la région, pour voir dans quelle mesure cette manière de conduire un projet de micro-crédit pourrait se développer dans d’autres villes.
« Ce projet, c’est vraiment mon ministère ! confie Fanny Ukety. J’ai toujours voulu mettre ma réflexion théologique en action et ce que je fais là me plaît plus que de prêcher. Imaginez un peu, ajoute cette théologienne congolaise, nous restaurons la dignité et l’espérance de 300 femmes et de 300 familles. C’est vraiment mettre l’Evangile de Jésus-Christ en pratique ! »
Serge Carrel