LaFree : Vous êtes partie en Afrique avec vos parents alors que vous étiez toute petite. Comment avez-vous vécu cette réalité en tant qu’enfant ?
Rachel Lampert : Très bien. J’avais 3 ans lorsque nous sommes partis et je n’ai pas réalisé tout de suite que je changeais de pays et de mode vie. Nous ne vivions pas dans une capitale, et j’ai passé mon enfance à jouer dehors avec les autres enfants, ce qui m’a permis d’apprendre l’arabe.
L.F. Que vous en reste-t-il aujourd’hui ?
R.L. Beaucoup de souvenirs positifs, une envie de voyager et de découvrir des gens qui sont différents de moi. Et un autre regard sur mon mode de vie ici, en miroir avec la misère.
L.F. Enfant, ressentiez-vous cette misère ?
R.L. Un peu, j’avais une maison avec un toit et des murs, d’autres une simple case et pas autant à manger. J’allais à l’école en voiture et mes camarades africains devaient marcher pendant une ou deux heures. J’ai compris ce que cela voulait dire le jour où je l’ai fait!
L.F. Etiez-vous considérée comme une étrangère ?
R.L. Je n’ai pas senti de différence. En Afrique, blanc signifie la richesse, l’Europe, mais je n’ai pas vécu de racisme.
L.F. Comment percevez-vous l’engagement de vos parents?
R.L. Mes parents vont au bout de leur valeur et mettent en actes ce qu’ils pensent et ce à quoi ils croient. Pour moi c’est la même chose, aller au bout de ce que je crois, garder l’enthousiasme dans ce que je fais et ne pas me décourager, surtout ne pas faire des choses par acquis de conscience.
L.F. Pourquoi êtes-vous repartie en Afrique?
R.L. Après mon bac, j’avais envie de faire une année sabbatique et j’hésitais entre voyage et humanitaire. En fait, je n’avais pas envie d’être juste une touriste. J’ai eu l’occasion de travailler et de loger dans des familles africaines à Kinshasa, au Congo. Le fait de pouvoir m’immerger dans la culture d’un pays plutôt que de rester dans un hôtel m’a beaucoup intéressée. C’est une forme d’implication à un autre degré.
L.F. Vous êtes partie «sur appel» ?
R.L. Je ne dirais pas que c’était un appel. J’avais ce désir, mais Dieu a ouvert les portes. Si mes désirs sont justes, je crois que Dieu ouvre les portes. J’ai remis cela dans la prière et j’ai considéré que c’était le bon moment. Mais je n’ai pas eu un message écrit sur un mur!
L.F. Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté ?
R.L. Cela m’a donné un autre regard sur l’Afrique que celui que j’avais quand j’étais petite et où je ne voyais que les bons côtés. J’avais généralisé ce que j’avais vécu, et j’ai réalisé que le Congo a une culture différente de celle du Tchad, qui est musulman et aride. Le Congo est tropical, animiste ou chrétien, et cela influence beaucoup la mentalité. J’ai pris conscience que l’Afrique est multiple.
J’ai aussi été confrontée à la misère et, paradoxalement, cette expérience m’a ouvert l’esprit sur la problématique des difficultés sociales en Suisse, les personnes âgées, les étrangers, l’isolement.
L.F. La misère en Suisse est tout de même plus douce ?
R.L. En Afrique, je m’y attendais. Ce qui me choque en Suisse, c’est de voir des gens qui sont dans la rue, alors que dans notre politique, on dit autre chose.
La misère en Suisse se situe au niveau de l’isolement social. En Afrique, personne n’est seul, il y a toujours quelqu’un de la famille pour s’occuper des plus démunis. Ce n’est pas le cas chez nous.
L.F. Seriez-vous croyante si vous parents ne l’étaient pas ?
R.L. C’est une bonne question (rires). Je ne sais pas. J’aime bien réfléchir. J’ai eu de nombreuses remises en question, mais les valeurs du christianisme ont toujours été une évidence pour moi. Je pense qu’en ayant des parents chrétiens, j’ai eu la chance d’y avoir accès.
L.F. Que signifie pour vous la foi aujourd’hui ?
R.L. Croire que Dieu existe, croire à ce que je ne vois pas. Accepter de ne pas tout comprendre et tout savoir tout le temps.
L.F. Comment la foi est-elle perçue par les jeunes dans votre école ?
R.L. Dans l’ensemble, je dirais que la plupart des gens sont très ouverts.
L.F. La foi est-elle une préoccupation chez les jeunes ?
R.L. Je pense que oui. Mais davantage pour ceux qui ont vécu dans une famille croyante, et qui ont été une fois dans une paroisse ou dans une église, qui sont en recherche.
L.F. Pensez-vous que le fait d’être chrétien fasse un peu «ringard» ?
R.L. Dans mes préjugés, oui, j’ai l’impression. Mais lorsque je parle de ma foi, je ne ressens aucune moquerie, c’est généralement très bien accepté. En fait, la plupart des gens dans ma classe ne perçoivent pas cela comme «ringard», c’est plutôt moi qui hésite à en parler parce que j’ai cette crainte.
L.F. Vous êtes étudiante en psychomotricité à Genève, qu’est-ce qui vous a poussée à choisir ce métier ?
R.L. L’aspect thérapeutique dans la santé et le côté artistique, c’est un métier qui mélange bien les deux. J’aime aussi l’idée des outils artistiques pour travailler la relation.
L.F. Vos projets par rapport à ce métier ?
R.L. J’ai beaucoup de projets. J’aime l’aspect thérapeutique de ce métier, plutôt que le côté préventif et j’aimerais éventuellement travailler avec des enfants qui présentent des troubles du comportement. Mais à vrai dire, je ne sais pas encore. Je prépare un projet de mémoire sur la psychomotricité en entreprise que j’espère mettre en place, si je finis mes études !
L.F. Songez-vous à repartir en Afrique ?
R.L. Je vais me marier cet été, donc nous verrons avec mon conjoint. Pourquoi ne pas partir un an et pourquoi pas aussi changer de continent.
L.F. Toujours dans l’humanitaire ?
R.L. Cela me tente oui, mais pas forcément.
L.F. Vous pensez avoir des enfants, leur faire vivre la même expérience à l’étranger ?
R.L. Cela me plairait bien, mais on verra. Il est vrai que j’ai vécu une expérience inoubliable avec mes parents en Afrique, et cela m’a apporté énormément. Si j’en ai l’occasion, j’aimerais bien pouvoir le vivre avec ma propre famille.
Pour la FREE, Magaly Mavilia/Alliance Presse