A Sion, certains l’appellent avec humour « Très cher saint Père », « Monseigneur » ou encore « le Padre ». Depuis début 2006, Samuel Ribagnac, pasteur dans l’Eglise évangélique de Vallorbe, est aumônier d’entreprise. Il travaille à 60 % chez Aligro, une chaîne de 3 marchés de gros à Genève, Chavannes-Renens et Sion, dans chacun desquels il passe une journée chaque semaine.
A l’écoute de chacun
« Au moment où j’entre dans un marché Aligro, explique Samuel Ribagnac, je sais que je suis là pour les employés. Je fais abstraction de ce que je vis personnellement pour me mettre à l’écoute de chacun. » A Sion ce matin-là, Samuel Ribagnac se rend d’abord dans les bureaux de la direction pour y prendre des nouvelles. Il consulte aussi son courrier électronique pour prendre connaissance des informations transmises par la direction lausannoise d’Aligro. « Les ressources humaines de chaque marché me signalent aussi, ajoute le pasteur de Vallorbe, que telle personne est malade, telle autre accidentée ou alors qu’une troisième a repris le travail à 50 %, après un temps d’absence. »
Samuel Ribagnac se rend ensuite au bar du supermarché pour prendre la température du lieu. Ce jour-là, c’est Maria qui l’accueille avec un espresso. « Lorsque je vois Samuel, s’empresse-t-elle de dire, ça me fait chaud au coeur ! Avec lui, on peut parler de tous nos problèmes personnels, sans être jugée ! » Cette femme entre 30 et 40 ans a travaillé dans la restauration avant d’être engagée par Aligro. C’est la première fois qu’elle intègre une entreprise de 400 employés en Suisse romande et elle se réjouit de pouvoir bénéficier d’un tel accompagnement.
Quand la semaine devient « jour du Seigneur »
Après son passage au bar, Samuel Ribagnac se dirige vers le fond du marché, dans la zone de réception des marchandises. Là, c’est Philippe qui le salue avec une formule de son crû. Aujourd’hui, ce sera : « Monseigneur » ! « Quand on connaît Samuel, s’empresse d’ajouter ce collaborateur, on peut se permettre ce genre d’entrée en matière. On se connaît depuis quelque temps et on a pas mal d’affinités. » Philippe a subi voilà une année une opération et Samuel Ribagnac est venu le voir à l’hôpital. « Ça m’a fait un bien fou, se rappelle-t-il. J’avais en face de moi quelqu’un que je connaissais et j’ai vraiment pu me lâcher. » Le responsable des arrivages est très reconnaissant à la direction d’Aligro d’avoir engagé un aumônier d’entreprise. Pour lui, d’autres sociétés devraient faire de même. Ça éviterait bien des problèmes sur le lieu de travail et ça permet d’être orienté sur les bons services sociaux quand on en a besoin. Pince sans rire, il lâche en final : « Ce qui est génial avec Samuel Ribagnac, c’est qu’on n’a plus besoin d’aller à l’Eglise le dimanche, on a un ecclésiastique toute la semaine avec soi au travail ! »
Ce matin-là, l’étape suivante pour Samuel Ribagnac, ce sera la boulangerie. Là on s’affaire depuis 4 heures du matin pour confectionner le pain mis en vente. « L’un des meilleurs du Valais », s’empresse de relever - pas peu chauvin ! - l’aumônier d’entreprise. C’est Serge qui nous accueille, très occupé à façonner des tresses à 5 branches. « Samuel nous donne du courage explique-t-il, surtout quand on a des problèmes familiaux ou avec des amis. Même s’il est protestant et moi catholique, on peut parler de tout avec lui. D’ailleurs moi, je l’appelle « le padre » ».
Eviter les conflits
L’idée d’engager un aumônier d’entreprise a germé au sein de la direction d’Aligro pour trouver un moyen d’éviter des situations de conflit. Selon Dominique Demaurex, l’un des deux directeurs de cette chaîne de supermarchés, cette idée a bénéficié de l’appui de deux expériences. Tout d’abord du fait que, depuis plusieurs années, le club de hockey de Genève-Servette dispose d’un aumônier pour veiller au bien-être des joueurs et à une bonne entente au sein de l’équipe fanion. Ensuite des bonnes expériences vécues par le directeur d’Aligro au sein de l’armée suisse dans le face à face avec les aumôniers.
Dominique Demaurex dresse un bilan positif de cette première année avec un aumônier d’entreprise. « Ça a permis à Samuel Ribagnac d’entrer en contact avec beaucoup d’employés, indépendamment de notre service des ressources humaines, explique-t-il. Il a pu visiter de nombreuses personnes à la maison ou à l’hôpital et cette démarche a été bien perçue du côté de nos collaborateurs. » Pour l’un des deux directeurs d’Aligro, le fait que Samuel Ribagnac a travaillé précédemment dans son entreprise comme magasinier puis comme vendeur, a constitué un argument décisif dans l’engagement d’un pasteur plutôt que d’un psychologue. « De plus le fait que je fréquente régulièrement une Eglise et que je peux m’adresser à un pasteur quand je le souhaite, m’a encouragé à offrir le même service à nos employés. »
Un « curé », sous-marin de la direction ?
Au début de cette expérience, certains se demandaient ce que venait faire ce « curé » à Aligro. S’agissait-il d’un sous-marin de la direction ? « J’ai dû rassurer, se rappelle Samuel Ribagnac, et souligner que mon travail était confidentiel et tout à fait indépendant. Rien ne transpire auprès de la direction sans le désir exprès de mon vis-à-vis. » Alors certes, Samuel Ribagnac n’est pas devenu le confident de tous les collaborateurs d’Aligro. Certains souhaitent conserver une distance et le pasteur de l’Eglise évangélique de Vallorbe ne s’en formalise pas. « Ce service est offert par la direction du groupe, il n’est pas imposé ! Chacun reste libre, et dans son face à face avec moi, et dans ses convictions profondes ! »
Serge Carrel