Etes-vous disposés à croire cela ? Il se trouve que plus d’une vingtaine de conférences et de consultations ont déjà été organisées par des organisations islamiques internationales afin de condamner la conduite de l’Etat islamique (E.I.) ! Et ce, durant les douze premiers mois, seulement, qui ont suivi l’apparition du groupe durant l’été 2014.
Très peu d’attention médiatique
Bien que les conclusions ainsi que les remarques tirées de ces réunions soient libres d’accès en ligne, les médias n’y ont porté que très peu d’attention. Il m’arrive souvent d’entendre des gens dénoncer le silence « manifeste » des responsables musulmans en ce qui concerne les atrocités commises par l’E.I., et le reproche de ne pas en faire assez pour les condamner. En fait, cette remarque ressort à chaque fois qu’un musulman commet un acte terroriste. De telles réactions ont éveillé ma curiosité. Au bénéfice de nombreuses connaissances musulmanes, je sais pertinemment qu’elles désapprouvent la conduite de l’E.I. J’ai donc décidé de creuser la question.
L’une des premières rencontres en réaction à l’E.I. a été organisée le 19 novembre 2014, par le Centre international pour le dialogue interreligieux et interculturel Roi Abdullah Bin Abdulaziz (KAICIID) à Vienne, en Autriche. La déclaration qui en découle est accessible en ligne et s’intitule : « Unis contre la violence au nom de la religion ».
La conférence a rassemblé les « hauts représentants des plus grandes institutions religieuses et sociales mondiales ». Elle avait pour but de développer « des programmes et des initiatives qui contribuent au renforcement de l’unité contre la violence au nom de la religion », et de « soutenir la diversité religieuse et culturelle en Irak et en Syrie ».
Plusieurs autres conférences
Un autre changement intéressant est intervenu ces derniers temps en Egypte. Il a été déclenché par l’appel au changement lancé par le président Abdel Fattah al-Sissi. En février 2015, le ministère égyptien des dotations religieuses a organisé une conférence intitulée : « La grandeur de l’islam et les erreurs de certains de ses adhérents ». La rencontre a soulevé quatre problèmes qui ont été traduits en 9 langues différentes (malgré un format peu commode) : (1) la politisation de la religion comme explication du gouffre qui sépare la grandeur de l’islam et l’attitude de certains de ses adhérents ; (2) la grandeur de la civilisation islamique, la grandeur de son système de valeurs, et la grandeur de sa conduite envers les autres différents ; (3) l’identification des erreurs intellectuelles et comportementales de ceux qui se disent faussement musulmans ; et (4) le besoin de rectifier l’image des musulmans en corrigeant le comportement erroné de certains et en développant des outils afin de corriger leur image au plan mondial.
De nombreuses autres conférences ont été organisées à Beyrouth, en Iran (ce qui n’est pas surprenant puisque les chiites ont été constamment la cible des violences de l’E.I.), ainsi qu’à Paris, Istanbul, au Tadjikistan, en Irak, à Amman, etc. Il est regrettable que les conclusions de ces réunions ne soient pas davantage accessibles à un lectorat anglophone. Les traductions quelque peu défaillantes pourraient expliquer ce manque de couverture médiatique.
En fait l’E. I. a transformé le visage de l’islam
Depuis l’été 2014, j’ai ouï dire plusieurs fois que l’E.I. « montrait finalement le vrai visage de l’islam ». Je crois qu’il serait plus juste de dire que l’E.I. a transformé le visage de l’islam. L’islam est bien trop diversifié pour se révéler dans un certain mouvement, une région, ou encore une certaine période de l’histoire. Mais je crois fermement que, sur le long terme, l’E.I. aura davantage contribué à transformer l’islam, qu’aucun autre mouvement de réforme de la fin du XIXe ou du début du XXe siècle. Le côté positif de cette transformation n’apparaît pas au travers d’une action directe, mais, au contraire, il émerge suite aux réactions à la conduite barbare de l’E.I.
Le monde musulman est embarrassé. Cet embarras que l’E.I. suscite au sein de l’islam et du monde musulman refait régulièrement surface lors de ces conférences. Ce qui est légitime dans une société gouvernée par une culture de l’honneur et de la honte. Mais il reste à voir si le mouvement de réforme dans le monde musulman ira plus profondément et au-delà d’un désir de « sauver la face ».
La transformation sera-t-elle profonde ?
Les organisations et les gouvernements musulmans sont en train de lancer une série d’initiatives afin de s’assurer que les réformes gagnent en profondeur. Alors même que j’écris ces quelques lignes, je prends part à une réunion du KAICIID, qui réunit des doyens d’écoles musulmanes de la charia et de facultés chrétiennes de théologie. Le but de cette réunion est de créer un réseau d’écoles religieuses dans le monde arabe afin de coordonner nos efforts pour former des responsables religieux et des prédicateurs qui poseront de nouveaux fondements pour des communautés religieuses modérées. En espérant, qu’elles travailleront côte à côte afin de marginaliser les discours et les comportements religieux extrémistes et violents.
Alors que le monde musulman traverse des temps difficiles, quelle devrait être la position de l’Eglise chrétienne ? Devrait-on afficher une suffisance et une complaisance dignes du prêtre de la parabole ? Devrait-on marcher de l’autre côté de la route, indifférent et cynique ? Les musulmans gisent battus au bord de la route. Ils sont tombés aux mains de voleurs. On leur a arraché leurs vêtements, et on les a roués de coups, en les laissant à moitié mort. Serait-il possible que, là aussi, Jésus nous appelle à agir comme le bon samaritain ? Ce dernier a montré de la compassion. Il a soigné les plaies de l’homme avec de l’huile et du vin. Il l’a emmené dans une auberge et a pris soin de lui. Jésus dit : « Va, et agis de même ! » (Luc 10.30-37).
Martin Accad
Directeur de l’Institut du Moyen-Orient (Beyrouth)
Note
1 Ce texte est la traduction d’un article paru sur le site de l’Institut d’études du Moyen-Orient. Il est intitulé : « Isis and The Future of Islam ». Il a été traduit par Antje Carrel.