« Je crois à la communion des saints. » Ces paroles du Symbole des Apôtres nous rappellent que, lorsque nous parlons de l’Eglise, celle-ci comprend non seulement les vivants, mais aussi tous ceux qui ont vécu avant nous et ne sont plus, ainsi que tous ceux qui viendront et qui placeront leur espérance en Jésus-Christ. Cette « communion des saints » est le fruit du corps du Christ qui nous lie à tous les chrétiens de tous les siècles et de tous les lieux, alors que nous vivons en Christ. Lorsque, confrontés de plain-pied à la vulnérabilité de la vie humaine, soudainement, nous réalisons que nous partageons l’expérience de nos grands-parents et de nos arrière-grands-parents qui ont fait face à la Première Guerre mondiale, à la récession des années 30, à la Seconde Guerre mondiale et à l’invention de la bombe atomique… Soudainement, nous partageons l’expérience d’innombrables hommes et femmes, à travers toute l’histoire. Oui, tout à coup, nous partageons l’expérience de tant d’autres chrétiens, d’ici et d’ailleurs, de hier et d’aujourd’hui.
Depuis le temps des Apôtres, il y a eu plus de 70 générations de chrétiens qui ont foulé cette terre. 70 générations qui ont fait face à l’obscurité, tout en s’accrochant à la lumière lors de situations de crise, que ce soient la persécution, la peste, la guerre, la famine, et j’en passe. 70 générations qui ont accumulé des richesses dévotionnelles, théologiques et intellectuelles pour répondre à de tels temps. Dès lors, imaginez-vous la sagesse que nous pouvons glaner, alors que nous vivons des temps incertains. Contrairement à ce que la modernité pourrait prétendre, le passé est une source de sagesse continuelle pour notre présent.
Les premiers chrétiens face à l’adversité
Commençons notre parcours au sein de la communion des saints avec l’épître aux Hébreux. L’auteur s’adresse probablement à des chrétiens vivant dans des temps incertains et difficiles, alors qu’il les encourage à s’accrocher au message de l’Évangile afin de ne pas être entraînés à leur perte (1). L’épître, elle-même, ne cesse de réorienter notre regard vers le Christ, lui qui est le suprême exemple d’endurance en temps d’adversités. Jésus, en tant que parfait grand-prêtre, nous a non seulement rachetés, mais il est celui qui nous soutient, celui qui nous permet d’endurer quelle que soit la situation à laquelle nous faisons face. L’espérance que nous avons en Christ est comme une ancre solide et sûre pour notre âme (2). Jésus est le précurseur de notre foi. Il est le garant d’une bien meilleure alliance : la nouvelle alliance que Dieu a conclue avec nous, alors qu’il a envoyé son Fils unique sur terre, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Au point culminant de l’épître aux Hébreux, l’ordre est de courir « avec persévérance l’épreuve qui nous est proposée », tout en ayant les yeux fixés sur Christ (3). Oui, Jésus est l’auteur et le finisseur, le commencement et la fin de notre histoire. Et lors de temps incertains, il est bon de suivre les conseils du Psalmiste qui s’écrie : « Dès le matin, fais-moi entendre ta bonté, car je me confie en toi ! Fais-moi connaître le chemin où je dois marcher, car je me tourne vers toi ! » (4).
Face à la peste des IIe et IIIe siècles
Courir la course qui nous est destinée tout en gardant les yeux fixés sur le Christ, c’est ce qu’ont fait les chrétiens des deuxième et troisième siècles, alors que la peste ravageait l’Empire romain. Le sociologue Rodney Stark, dans son livre « L’essor du christianisme » (5), nous rappelle qu’en 165, lors du règne de Marc Aurèle, une pandémie qui dura une quinzaine d’années a décimé un quart de la population de l’Empire. Pas même un siècle plus tard, en 251, une autre pandémie, tout aussi mortelle, ravagea l’Empire romain touchant autant la campagne que les villes. Alors que les habitants quittaient les villes pour trouver refuge à la campagne, les chrétiens y sont restés afin d’aimer leurs prochains.
Denys, un évêque d’Alexandrie du IIIe siècle, décrit dans une lettre datée de Pâques 260 la bravoure des chrétiens, alors qu’ils s’occupaient des malades de façon sacrificielle. Il écrit : « La plupart de nos frères en tout cas, débordant de charité et d’amour fraternel, sans s’épargner personnellement, s’attachaient les uns aux autres, visitaient sans se ménager les malades, les servaient magnifiquement, les soignaient dans le Christ et ils étaient heureux d’être emportés avec eux… » (6). Le compte-rendu que Denys nous rapporte souligne que le reste de l’Empire s’est comporté bien différemment. Dès le début de l’épidémie, il écrit que les païens « chassaient les malades… fuyaient les personnes les plus chères… jetaient dans les rues des hommes à demi morts... » Les croyances dominantes de l’Empire romain étant basées sur l’intérêt personnel, la conviction chrétienne que Dieu aime l’humanité de façon inconditionnelle et que ceux qui aiment Dieu aiment leurs voisins était pour le moins un concept étranger. Tout comme Jésus nous a dévoilé son amour au travers de son sacrifice à la croix, les chrétiens des premiers siècles ont fait preuve de courage, alors que, par un amour désintéressé, ils ont pris soin des malades.
Julienne de Norwich, face à la peste noire
La théologienne mystique anglaise, Julienne de Norwich, qui vécut en recluse aux XIVe et XVe siècles est une autre figure de l’histoire de l’Eglise, auprès de laquelle nous pouvons trouver de la sagesse dans des temps incertains. Julienne n’était qu’une enfant, alors que la peste noire, une des pandémies les plus sévères du moyen-âge, décimait plus de la moitié de la population européenne. Autant dire qu’avec une telle expérience, ainsi qu’une santé précaire marquée par une maladie incurable, glaner la sagesse que cette théologienne a acquise au fil des années se révèle d’une magnifique richesse. À l’âge de 31 ans, en 1373, alors qu’elle est au seuil de la mort, Julienne reçoit une série de seize visions centrées sur le Christ. La recluse passera le reste de sa vie à méditer ces visions et à en découvrir le sens théologique et dévotionnel. Alors que Julienne médite sur le fait que Jésus-Christ ne quitte jamais l’âme d’un chrétien dans laquelle il demeure, elle est remplie de reconnaissance devant un tel encouragement. Peu après, elle reçoit de Jésus les mots suivants : « Tu ne seras pas vaincue. » Julienne écrit : « Ces mots : ‘Tu ne seras pas vaincue’ ont été dits avec insistance et fermement, afin d’avoir de la certitude et de la fermeté envers toute épreuve qui pourrait nous faire face. Il ne m’a pas dit : ‘Tu ne seras pas tourmentée, tu ne seras pas accablée de coups, tu ne seras pas troublée’ ; mais il a dit : ‘Tu ne seras pas vaincue’. » Julienne de Norwich ajoute : « Dieu veut que nous prenions ces mots au sérieux et que nous soyons toujours forts en ayant une confiance fidèle en lui, lorsque nous sommes en bonne santé et lorsque nous sommes malades, car il nous aime et il prend plaisir en nous. Et il désire que nous l’aimions et que nous prenions plaisir en lui. Il désire que nous placions toute notre confiance en lui, et tout ira bien » (7).
C. S. Lewis, à l’âge atomique
Plus proche de nous, l’écrivain britannique du XXe siècle, C. S. Lewis, est aussi une source de sagesse, alors que nous nous tournons vers le passé afin de réagir avec discernement dans le présent. Dans un essai intitulé « Vivre à l’âge atomique, » l’auteur des « Chroniques de Narnia » demande à ses lecteurs comment ils devraient vivre à l’âge atomique. Il répond à sa question rhétorique avec les mots suivants : « Pourquoi [une telle question ?] Il vous faut vivre comme vous auriez vécu au XVIe siècle lorsque la peste visitait Londres presque tous les ans, ou comme vous auriez vécu à l’époque des Vikings lorsque des pilleurs de Scandinavie pouvaient débarquer à toute heure de la nuit et vous égorger ; ou alors, comme vous vivez déjà dans une période marquée par le cancer ou la syphilis, dans un temps imprégné de la paralysie, de raids aériens, d’accidents de train et de voitures » (8). C. S. Lewis rappelle à ses lecteurs que toute vie doit un jour se finir. Puis, il ajoute : « La première action qu’il nous faut faire, c’est se serrer les coudes. Si nous allons être détruits par une bombe atomique, que cette bombe, lorsqu’elle arrivera, nous trouve en train de faire des choses raisonnables et humaines, c’est-à-dire prier, travailler, enseigner, lire, écouter de la musique, baigner des enfants, jouer au tennis, bavarder avec nos amis autour d’une pinte de bière et d’une partie de fléchettes. » C. S. Lewis finit son essai en affirmant que la réponse à la question « Comment vivre à l’âge atomique ? » est au fond une question sur l’existence de Dieu et la façon dont il nous appelle à vivre en toutes circonstances. L’écrivain britannique conclut avec les mots suivants : « Ceux qui désirent le plus ardemment le Ciel sont ceux qui ont le mieux servi la terre et qui ont été les plus serviables. Ceux qui ont aimé l’être humain moins que Dieu sont ceux qui ont fait le plus pour l’être humain. »
Ces quatre générations de chrétiens, les Hébreux, les chrétiens des premiers siècles, Julienne de Norwich et C. S. Lewis nous encouragent à fixer notre regard sur le Christ et la vie éternelle qu’il nous promet. Ces frères et sœurs en Christ nous encouragent à continuer à aimer notre prochain et à le faire de manière dévouée selon les circonstances. Ils nous rappellent, au travers de la communion des saints, que d’innombrables chrétiens partagent notre vécu, et qu’au lieu de céder à l’anxiété, la peur et le conflit, ils se sont accrochés au Christ et ils ont couru la course avec joie et espérance, jusqu’à atteindre le repos de Dieu.