C’est avec l’un de ses bergers alsaciens et sous un ciel incertain que Dick Marty, ancien procureur général du canton du Tessin, effectue ce jour-là l’une de ses randonnées réflexives. « La promenade, la forêt, c’est mon hygiène mentale », dit tout de go celui qui a aussi été membre de L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, pour laquelle il a mené différentes enquêtes qui l’ont fait connaître sur la scène internationale1. « La nature permet de décharger des tensions, de retrouver une certaine distance avec les questions qui vous tourmentent. Moi, j’ai toujours trouvé mon équilibre comme ça. » Les rochers impressionnants de la Gemmi derrière lui, l’homme se balade un peu sur la terre de ses aïeux, puisque les Marty viennent de Gutet, un village qui fait partie du district de Loèche.
La foi ?
Après avoir affirmé ne pas pouvoir s’habituer à l’injustice, la question de la foi s’invite dans la conversation. Il faut dire que Dick Marty a de solides racines protestantes. « La foi est une question que je n’ai pas encore résolue, en fait », dit-il d’abord. Puis, le long du chemin, il s’assied sur un banc, son chien blotti contre lui. « Ce qui important pour moi dans le protestantisme, ce sont les valeurs. Mais souvent je me dis que croire et avoir une foi inébranlable, ce serait pour ma part presque un acte d’arrogance. Je dis ‘ je ne sais pas’, et reste dans une position d’humilité. »
Responsabilité et solidarité
A parler ainsi de valeurs, transmises par sa famille et son pasteur, comme il lui plaît de le souligner, il dit qu’elles ont contribué à le construire. « C’est indiscutable ! Et ces valeurs, c’est en premier lieu la responsabilité. La responsabilité toujours liée à la solidarité. Donc quand j’entends aujourd’hui parler de délit de solidarité, je me dis qu’on est vraiment tombé très bas. Quand on condamne un pasteur parce qu’il a donné la clé de l’église et à manger à un requérant d’asile qui devait être renvoyé, je dois vous avouer que comme procureur, ce dossier serait resté au fond de la pile. Parce qu’on ne peut pas appliquer les lois d’une façon mécanique. Ce pasteur (Norbert Valley ndlr) n’est pas un passeur ! »
« Je n’aime pas la parade »
Autre valeur qu’il rattache au protestantisme, c’est ce goût pour une certaine retenue. « Je n’aime pas la parade. Je n’ai d’ailleurs jamais voulu devenir président ni de l’assemblée du Conseil de l’Europe, ni du Conseil des Etats, parce que ce genre de fonctions très décoratives, très rituelles, je ne les apprécie pas beaucoup. Je suis très rebelle aux codes. J’aime par contre le contact humain. » A l’approche de son chalet, il revient sur cette question de la foi : « Je ne suis pas tellement croyant, mais pas mécréant pour autant, tient-il à souligner en souriant. Comprenez : je revendique mon protestantisme : il m’a formé ! Et je pense que notre pays a quand même été modelé par la morale protestante. Et que ce n’est pas tout à fait un hasard si les pays les moins corrompus au monde sont pratiquement tous de confession protestante. Les dirigeants y ont cette modestie et cet engagement public compris comme un service. »
L’indifférence à pourfendre
Ce qui le désole, aujourd’hui, par rapport à l’injustice qui reste tentaculaire ? L’indifférence, répond-il sans hésiter une seconde. « Car l’indifférence, c’est le plus grand danger que nos sociétés ont à affronter. »
Gabrielle Desarzens
1 Une certaine idée de la justice, Dick Marty, éditions Favre : 2018.