« Appelé à la liberté ». C’est le titre que Pierre Tschanz, 76 ans, a donné au livre qu’il vient de publier1. Parce qu’à l’âge de 10 ans, il a été interpelé par une phrase prononcée par son instituteur disant que "les marins sont des hommes libres", explique-t-il dans le premier chapitre. Il s’est ainsi très tôt engagé dans cette voie professionnelle : il quitte la maison familiale à 14 ans pour l’Oberland bernois pour y apprendre l’allemand, puis ce sera un apprentissage de matelot sur le Rhin, et enfin la haute mer avec la Compagnie de navigation suisse à Bâle, après son service militaire. La liberté… vaste programme ! « Quand vous êtes de quart, officier au large de l’Angola, que toutes les étoiles se reflètent sur une mer d’huile, vous vous dites que la liberté, c’est ça », exprime-t-il ce matin de printemps, l’œil rêveur face aux grands arbres de son jardin de Jouxtens-Mézery (VD).
Lekh-lekha
Le métier est rude : « Comme jeune matelot, on se lève à 3h30 le matin pour faire le quart de 4h à 8h. Puis on travaille sur le pont à entretenir les poulies des mâts de charge, réparer un câble, entretenir les machines, refaire la peinture, tenir la barre. » Il faut affronter le gros temps, puis la chaleur. Du bout de sa plume, Pierre Tschanz nous plonge dans l’univers très masculin de cette marine marchande, où le verbe fuse et où il essuie même un naufrage. « J’ai appris l’endurance. A faire avec l’imprévu. A gérer le stress. » Il déclare aujourd’hui avoir toujours aimé vivre de manière intense. Et gardé une admiration sans bornes pour les navigateurs solitaires « qui partent, vont au-delà de l’horizon ». Mais après 14 ans de navigation, et n’étant finalement pas totalement satisfait de « cette liberté-là », le capitaine qu’il était a mis un terme à sa carrière de marin. « Parce que la liberté, c’est intimement lié à la vérité qui n'est pas un concept philosophique, mais une personne, Jésus Christ. Je l’ai appris pendant les années qui ont suivi où j’ai travaillé dans l’industrie », dit-il simplement. « J’ai alors trouvé une raison de vivre ultime dans la foi. » Il réfléchit, puis ajoute : « La liberté, c’est aussi aller au bout de soi-même. C’est le lekh-lekha d’Abraham, ce « va vers toi », qui nous dit de faire ce pourquoi on a été appelé ! » En ce sens, Pierre Tschanz indique avoir eu deux appels dans sa vie : celui de la mer, et celui du ministère.
Traverser les tempêtes
En 1982, il a en effet été engagé comme directeur de Portes Ouvertes en Suisse. Il y a pris naturellement son bagage de marin avec lui : « Par exemple, j’ai toujours aimé les tempêtes. Je trouve que ce sont des moments extraordinaires. Il faut avoir le courage de les traverser, même si on a une certaine crainte. Avoir ainsi vécu du gros temps m’a certainement inspiré pour développer un ministère d’aide aux chrétiens persécutés et notamment ceux d’Algérie dans les années nonante, quand le pays était ravagé par le terrorisme. » Et d’ajouter avoir appris, pendant ses années en mer, à soigner les gens et à avoir du respect pour n’importe quel être humain. Dans le salon où il se raconte, sa femme Micheline sert un café : « A la mission, on lui a souvent demandé de remettre une situation d’aplomb, comme en Inde et en Colombie, c’est son charisme de meneur », glisse-t-elle.
« C’est fou ce qu’on peut développer »
Celui qui continue à faire des nœuds sur terre ferme et qui aime montrer son sextant au visiteur ose encore ces mots : « La liberté, pour moi aujourd’hui, je la trouve dans mon engagement pour le Seigneur et dans mon ministère de prédicateur itinérant. Car je peux dire que si la marine m'a permis d'utiliser mes qualités, la foi en Jésus-Christ, elle, m’a appris que sur ce chemin de liberté, c’est fou ce qu’on peut développer pour contribuer à rendre le Royaume visible sur la terre. Notamment en termes d’amour, de compassion, de justice, de réconciliation. Quant à mon livre, j'espère qu'il encouragera les gens à répondre à leurs appels. »
Gabrielle Desarzens
1 « Appelé à la liberté, chroniques de la vie d’un marin », de Pierre Tschanz, Vérone éditions : 2020.