Rien ne prédestinait Rosa Parks, couturière de métier, à devenir l’icône de la lutte pour les droits civiques en Amérique ; ou la « Mère » du mouvement qui a abouti à l’abolition de la loi raciale. Le 1er décembre 1955, elle refuse, dans un bus, de céder sa place assise à un homme blanc comme la législation l’exige. Elle se fait arrêter, condamner à payer une amende, est inculpée de désordre public et de violation de la loi. Elle a 42 ans.
Comme la plupart des Afro-Américains de cette époque, elle est impliquée dans la vie d’une Eglise noire. Chrétienne convaincue, elle dit dans son livre intitulé « Quiet Strength » (La force tranquille) avoir appris jeune à mettre sa confiance en Dieu et à le considérer comme sa force. Mais elle écrit aussi ne pas avoir planifié son arrestation. C’est donc presque malgré elle, mais consciente de sa dignité d’être humain devant Dieu, qu’elle suscite un véritable raz de marée dans cette Amérique de l’après-guerre. « On a souvent dit que j’avais refusé de céder ma place ce jour-là parce que j’étais trop fatiguée, mais ce n’est pas exact..(...) Ma fatigue était plutôt morale. J’en avais assez de toujours suivre sans protester les ordres des Blancs. J’étais surtout fatiguée de devoir capituler. »
« Sois fière d’être ce que tu es »
Fille d'un charpentier et d'une enseignante, elle est née en 1913 à Tuskegee, en Alabama. Après le divorce de ses parents, elle est élevée avec son frère par sa mère dans la ferme de ses grands-parents à Pine Level, dans le comté de Montgomery.
A cette époque, l’organisation raciste Ku Klux Klan (KKK) a pignon sur rue. Elle terrorise les Noirs, les lynche et brûle leur maison. L’école pour enfants noirs que fréquente Rosa Parks est brûlée à deux reprises... Le grand-père ne manque pas de monter la garde devant la maison familiale, un fusil à la main. Et martèle à sa petite-fille : « N'accepte jamais les traitements iniques d'où qu'ils viennent ; ne baisse jamais les bras devant l'injustice ! » Sa mère, elle aussi, lui recommande d'être digne : « Sois fière d'être ce que tu es. Deviens quelqu'un qui sera respecté par les autres et qui les respectera aussi. »
Tous les jours avant les repas, sa grand-mère lit la Bible à haute voix et la famille prie ensemble. Toute l’enfance comme la vie de jeune adulte de Rosa sont cependant confrontées au racisme quotidien. Dans son autobiographie, elle mentionne un fait qui l’a profondément blessée : il y avait des fontaines réservées aux Blancs et d'autres destinées aux Noirs. « Enfant, je pensais que l'eau des fontaines pour les Blancs avait meilleur goût que celle des Noirs. »
La ségrégation dans les bus
Dans cet Etat du Sud des Etats-Unis, les bus symbolisent à eux seuls la ségrégation qui règne. Ils sont divisés en trois parties :
- l’avant est réservé aux Blancs. Les Noirs n’ont pas même le droit de rester debout dans l’allée;
- l’arrière est réservé aux Noirs. Ils n’y ont pas toujours de places assises;
- une zone intermédiaire est accessible aux Blancs et aux Noirs, mais un Noir doit se lever dès qu’un Blanc le demande.
Pour pouvoir prendre le bus, les Noirs paient d’abord auprès du conducteur, puis descendent et remontent par l’arrière du véhicule. Il n’est pas rare que le chauffeur redémarre avant que ces passagers de deuxième catégorie n’aient le temps de remonter, les laissant sur place. Le 1er décembre 1955, Rosa Parks est une femme mariée depuis 23 ans et jouit d’une excellente réputation tant sur son lieu de travail que dans son quartier ou son Eglise. Quand elle prend le bus en cette fin de journée, elle s’assied dans la zone intermédiaire et, contrairement aux autres passagers, refuse de se lever quand un homme blanc demande à s’asseoir.
Le conducteur lui donne l'ordre de céder sa place. Elle n’obtempère pas. Très en colère, il descend, puis revient avec un policier qui arrête Rosa Parks. A cet homme qu’elle doit suivre, elle demande : « Pourquoi tant de persécutions ? » Celui-ci de répondre : « Je l'ignore, mais la loi est la loi et je vous arrête. » Les leaders de l’Association pour l’avancement des gens de couleur (National Association for the Advancement of Colored People, NAACP), dont Rosa assure le secrétariat, se saisissent de l’affaire. Un avocat libéral blanc, Clifford Durr, accepte de la défendre et conteste à ses côtés devant la Cour suprême la loi sur la ségrégation qui a conduit à son arrestation.
Martin Luther King mène le boycott
Très rapidement, la communauté noire, soit 75% des clients de la compagnie de bus, s’organise pour la boycotter. Et les Noirs américains marchent. Des taxis font leur apparition et transportent les gens pour 10 cents, prix pratiqué par la compagnie des bus. Les organisateurs mettent également en place un service de bus parallèle. Rapidement, la faillite menace la société des transports. Un jeune pasteur populaire est choisi pour diriger cette campagne : Martin Luther King Jr.
La presse internationale se fait alors l’écho du mouvement. Le monde a les yeux rivés sur l’Amérique. Des fonds, des chaussures, des vêtements parviennent de toutes parts pour soutenir les marcheurs. Par réaction, le Ku Klux Klan se déchaîne : coups de fil nocturnes, menaces, arrestations injustes, attentats, renvois illégaux... La propre maison de Martin Luther King subit un attentat à la bombe, alors que sa femme et leur bébé de deux mois sont à l’intérieur.
En apôtre de la non-violence, Martin Luther King demande à chacun de ne pas réagir autrement qu’en continuant le boycott des bus, jusqu’à ce que :
1. les Noirs et les Blancs puissent s’y asseoir où ils veulent ;
2. les chauffeurs soient plus courtois à l’égard de toutes les personnes ;
3. des chauffeurs noirs soient engagés.
Dans le même temps, la Cour suprême s’interroge sur la validité constitutionnelle de la condamnation de Rosa Parks. Le 13 novembre 1956, presque un an après l’arrestation de celle-ci, elle rend son verdict : les lois ségrégationnistes de Montgomery sont déclarées illégales. Le 20 décembre 1956, la Cour suprême oblige la société des transports à mettre en pratique le jugement.
Le boycott cesse le lendemain, mais la violence redouble contre les leaders du mouvement et contre les églises fréquentées par les Noirs. La répression s'abat sur les Parks et les membres de leur famille. La plupart d'entre eux perdent leur travail ou sont harcelés par les Blancs. En 1957, Rosa et Raymond Parks – qui a milité avant elle en faveur de droits civiques pour tous – décident de déménager à Detroit, dans le Michigan. Le couple y trouve finalement du travail : Rosa devient l’assistante de John Conyers, un démocrate afro-américain à la Chambre des représentants des Etats-Unis.
De nombreuses distinctions
Le couple reste actif au sein de la NAACP comme au sein de l’Association des leaders chrétiens du Sud (Southern Christian Leadership Conference, SCLC). Après le décès de son mari en 1987, Rosa crée une fondation à l’adresse des jeunes. Son but : apprendre aux adolescents qu’il est nécessaire de s’engager en faveur de la justice et de la liberté. Leur faire connaître l'histoire du mouvement des droits civiques, et les initier à une culture de la paix. « Parce que j’ai connu la moitié de ma vie des lois qui ont permis aux Blancs de traiter les Noirs avec aucun respect. »
De nombreuses distinctions honorifiques lui sont décernées, dont La Médaille d'or d'honneur du Congrès Américain en 1999, soit la plus haute distinction honorifique décernée à un civil. A cette occasion, elle déclare : « Cette médaille représente l'encouragement qui nous est donné à tous de continuer jusqu'à ce que nous ayons tous des droits égaux. »
Rosa Parks s’éteint paisiblement le 24 octobre 2005, il y a 5 ans, 37 ans après l’assassinat de Martin Luther King, qu’elle avait qualifié de Moïse du peuple noir américain. Le Révérend Jesse Jakson a dit d’elle : « Elle s’est assise pour que nous puissions nous tenir debout. »
Gabrielle Desarzens
Vous pouvez écouter la version audio de cette biographie. Réalisation : Radio-Réveil (Bevaix).