« Le Seigneur a commencé à toucher mon cœur lors d’une conférence de Lavigny où l’un des orateurs avait abordé le thème du sida, raconte Eveline Félix. Ensuite, j’ai fait la connaissance d’un sidéen tchadien, puis j’ai entendu parler de jeunes dans les Eglises du Tchad… des jeunes qui sont morts du sida… »
Le sida : un tabou
Un jour, Eveline apprend qu’une jeune femme qu’elle avait connue dans un camp n’allait pas bien. Peu après, sachant qu’elle n’allait pas mieux, elle la visite. « Quand je suis allée la voir, j’ai constaté qu’elle était quasiment grabataire, donc on se doute de quelque chose. En fait, c’était une jeune femme de 25 ans qui se mourrait du sida », se souvient Eveline. On parle du sida parce qu’il y a beaucoup de décès, mais on n’en discute pas ouvertement. On dit que la personne est morte de « la maladie ». Malgré tout, personne ne peut ignorer le sida à N’Djamena. Car aujourd’hui, dans pratiquement chaque famille élargie, on trouve des sidéens.
Eveline s’est occupée durant 12 ans des femmes tchadiennes : elle enseignait des formatrices qui à leur tour enseignaient les femmes dans les Eglises. Mais comment continuer à les former, sans se préoccuper de certains de leurs enfants qui sont atteints du sida ?
De l’audace…
En 2004, de retour au Tchad après son année sabbatique, Eveline constitue une équipe de prévention du sida. Elle s’entoure de deux sages-femmes et d’un enseignant. Elle est aussi épaulée par un pasteur et un médecin. Le principe est simple : ensemble, ils organiseront des séminaires avec les jeunes adultes de toutes les Assemblées chrétiennes au Tchad (ACT) de N’Djamena. Ensuite, les participants donneront eux-mêmes le séminaire dans leur Eglise. « En mai et juin 2006, nous avons invité les 45 ACT de N’Djamena. Toutes n’ont pas répondu, mais nous avons pu former une trentaine de jeunes » se réjouit Eveline. Ces jeunes ont pour mission de retransmettre l’enseignement dans leur Eglise et leur voisinage, puis dans les ACT de leur région.
…et de la ténacité !
Si le principe est simple, il a fallu de la ténacité pour mettre en place un tel projet ! Déjà pour décrocher les finances nécessaires à l’organisation des séminaires… Ensuite pour que le pasteur de l’équipe développe sa propre vision et réussisse à la transmettre aux autres pasteurs… ce n’était pas une mince affaire ! Une pastorale a été consacrée au sida l’an dernier. Quelques pasteurs très réticents à en parler dans leur Eglise étaient là ! Ce qui les froisse beaucoup, c’est le préservatif. « On ne peut pas éviter cette question, s’insurge Eveline. De toute façon, on n’en parle pas de la même manière que dans le monde. Le cours est axé d’abord sur le projet de Dieu pour le couple. Mais lorsqu’une personne est séropositive dans un couple, il faut parler du préservatif pour éviter qu’elle contamine son conjoint ! »
Un enseignement direct et profond
Eveline a déniché un manuel d’approche chrétienne de prévention du sida, grâce à des missionnaires suisses au Kenya, Gilles et Myriam Bonvallat. Ce cours a été conçu par une équipe médicale travaillant au Zimbabwe et au Kenya. Le premier manuel, écrit en anglais et en swahili, a déjà été traduit en français. Le 2e volume, consacré à l’accompagnement des malades, n’est pas encore disponible… mais Eveline compte bien pouvoir l’utiliser un jour ! « Le contenu de ces cours est prévu pour des gens qui n’ont jamais enseigné : tout est « mâché » pour dire comment enseigner aux adultes, quels outils utiliser (jeux de rôle, etc.), comment faire parler les gens dans un petit groupe, etc. La matière est fournie pour chaque journée de cours, avec une méditation biblique. Dieu est vraiment mis au centre de cette formation », raconte Eveline.
Après quelques jeux pour briser la glace, on entre très vite dans le vif du sujet. Tout y est très bien expliqué, avec affiches à l’appui. De nombreuses discussions en petits groupe sont prévues, avec un retour en plénière. Cela permet de soulever des questions importantes, par exemple : Qu’est-ce qui favorise ou défavorise la propagation du sida dans votre culture ? Quelle est l’attitude de Jésus vis-à-vis des malades, et quelle est la nôtre ? Généralement, les discussions vont bon train !
Un travail discret, en amont…
Eveline se voit comme un stimulant, en amont, pour mettre en place la prévention du sida dans les Eglises. C’est un travail de contact qu’elle faisait déjà en partie pour la formation des formatrices. Cependant, elle ne contacte plus les femmes, mais les pasteurs… ce qui est beaucoup plus délicat ! « Même si j’ai passé plus de 10 ans au Tchad et que mon travail a été reconnu, je reste une femme ! Le fait d’avoir la peau blanche ouvre des portes, mais je n’ai pas eu droit de parole à la pastorale ! » regrette Eveline. Heureusement, le pasteur de son équipe a pu prendre le relais !
Pour financer les séminaires, Eveline a contacté le Programme national de lutte contre le sida (PNLS). Le PNLS trace les lignes de conduite et détermine comment l’argent sera utilisé pour venir en aide à la population. Cet organisme est très content que les Eglises s’occupent des sidéens : les religieux leur inspirent plus confiance... car ils gèrent l’argent de façon plus intègre ! De plus, les Eglises sont ramifiées et touchent une grande variété de populations.
Le PNLS paie, mais donne aussi des directives… « Ce printemps, ils nous ont dit de faire surtout de la prévention et de rester à N’Djamena. Ils ne veulent pas qu’on fasse de l’accompagnement des malades, parce qu’ils estiment que c’est pris en charge par d’autres organismes. Cela peut se discuter… car on tombe parfois sur des malades qui n’ont aucune aide, ou qui sont suivis par une association qui ne fait rien pour eux… », s’inquiète Eveline. Son prochain défi ? Faire traduire le manuel d’accompagnement des malades et développer un créneau d’accompagnement. « On rêve d’avoir un lieu d’accueil pour les malades vraiment démunis, pour qu’ils puissent au moins être pris en charge quelques jours. »
…mais aussi en prise avec les malades !
Eveline rêve encore d’un lieu pour accueillir les personnes séropositives. Car elles ont grand besoin de conseils, de prières et d’accompagnement. « Pour l’instant, je le fais à la maison une fois par mois, avec les personnes qui sont assez valides. C’est l’occasion de témoigner et de les encourager… mais une fois par mois, ce n’est pas beaucoup ! » reconnaît Eveline. Alors entre deux, elle les visite à domicile. L’accompagnement par les pasteurs se fait seulement au stade terminal. Car ils ne pourraient pas suivre le grand nombre de malades. Mais ils s’occupent des services funèbres…
Des objectifs un peu fous ?
Eveline a pour objectif de sensibiliser les Eglises des différentes dénominations, afin qu’elles aient une politique commune de lutte contre le sida. Un autre défi, c’est d’étendre la prévention dans les villages, où le sida est très répandu. Car certaines familles envoient leurs malades y mourir, pour cacher leur honte. Et les villageois ne sont pas formés pour s’en occuper…
Rendre les gens capables de pourvoir à leurs propres médicaments… voilà encore ce qu’Eveline aimerait développer. Notamment pour les veuves atteintes du sida et dont les forces diminuent. C’est assez difficile de leur trouver une activité rémunératrice. « J’ai essayé d’apprendre le tricot à une veuve, raconte Eveline, mais les résultats n’étaient pas très probants ! On aimerait créer une association de personnes vivant avec le VIH, pour voir comment elles pourraient trouver des fonds. Par exemple en faisant de l’artisanat qu’on pourrait vendre ensuite en Europe. » Des objectifs un peu fous ? Peut-être… mais une chose est sûre : ils révèlent une foi qui déplace les montagnes !
Anne-Catherine Piguet