19h dans le quartier du Vallon à Lausanne. Il fait froid. Elena, Gilbert, Acène, Balti… ils sont déjà quelques-uns à attendre derrière la porte de ce lieu d’accueil géré par l’Armée du Salut. L’officier et pasteur Michael Staiesse prend leur prénom pour ensuite vérifier qu’ils se sont bien inscrits au bureau de réservation pour dormir ce soir dans la structure. Un véhicule de l’Equipe mobile d’urgence sociale (EMUS) arrive, « pour peut-être nous amener quelqu’un, on va voir ». Les deux veilleurs Abel et Antonio sont là, qui à l’accueil pour distribuer les serviettes de toilette, qui déjà en cuisine pour servir la soupe puis les pâtes au thon qui sont au menu. Il y a 31 lits ? Deux matelas d’appoint permettront de recevoir les 33 bénéficiaires qui se sont annoncés. « Ce soir la structure est pleine », commente Michael Staiesse.
« La descente est très rapide »
Gilbert, un bonnet de laine vert bouteille enfoncé sur la tête, est à table avec un bol de soupe fumante : « Faut se réchauffer ! » Il rit. « Si j’avais pas besoin d’être là, j’serais pas là… C’est la vie, on fait avec. » Régulier de La Marmotte, il dit être né à Lausanne, mais ne plus avoir de papier, plus rien. « On m’a volé quand je vivais dans la forêt, donc je me suis retrouvé avec juste ce que j’avais sur moi. » Il goûte son breuvage encore chaud, son chien couché à ses pieds. Comment en arrive-t-on ainsi à devoir trouver des solutions d’accueil bas-seuil pour la nuit ? « C’est compliqué, répond-il. La descente est très rapide. Mais pour remonter, c’est autre chose. » Plus loin, Jean-Pierre raconte qu’il travaille la journée. Il a connu un divorce, s’est endetté et ne parvient pas à trouver un logement. Vers la machine à café, Elena, toute menue, explique la voix rauque venir souvent à La Marmotte. « J’y ai une longue réservation. J’suis au chaud. L’hiver, c’est très important. » Avant de sortir fumer une cigarette, elle ajoute être toutefois habituée à dormir dehors depuis de longues années.
Souci au niveau politique
Deux femmes seulement sont assises autour des tables. « Elles constituent le 10 à 15% des structures d’urgence1 », commente Michael Staiesse. Après le repas, les différents bénéficiaires se rendent dans les étages supérieurs se doucher ou dormir. L’occasion de se retrouver dans le bureau de l’officier de l’Armée du Salut pour parler des difficultés de l’exercice. « Je travaille à La Marmotte depuis 6 ans et c’est vrai qu’en hiver ces dernières années à Lausanne, on a souvent connu une pénurie de logements. Du coup, Le Répit de la Fondation Mère Sofia - qui n’a pas de lits mais qui permet aux personnes dans le besoin d’être au chaud - nous a donné une bouffée d’oxygène. » Une solution qui réconforte Oscar Tosato, municipal socialiste de la cohésion sociale à Lausanne, qui se dit toujours soucieux de savoir que des personnes puissent être à la rue l’hiver. « Cela m’empêche de dormir », dit-il. En novembre dernier, il avait d’ailleurs lancé un appel aux églises de l’agglomération lausannoise pour qu’elles ouvrent leur porte.
Engagement de l’église évangélique de Renens
L’église évangélique (FREE) de Renens avait répondu présente et ouvert ses locaux du 27 au 29 décembre. « Et on est actuellement en pourparlers avec Renens et Lausanne pour ouvrir si nécessaire en cas de demandes particulières ou en cas de grand froid », indique son pasteur Christian Reichel. Pas de lit, mais un accueil à l’image du Répit. Une équipe d’une dizaine de bénévoles s’est constituée tout exprès. Pour Louis Grandjean, l’un de ses coordinateurs, « pas besoin d’être chrétien pour aimer son prochain. Mais en l’occurrence, l’avantage de l’église, c’est d’être une communauté et de partager ces valeurs-là. » Et l’église est une structure pérenne avec des personnes qui savent « évaluer » une situation, comme un pasteur, estime Oscar Tosato. Non sans ajouter qu’elle est, pour lui, un partenaire essentiel.
Gabrielle Desarzens
1 Dans l'agglomération lausannoise, en plus de La Marmotte, il y a le Sleep-in, à Renens, et l'abri Etape, situé sous la gare de la capitale vaudoise. A elles trois, ces structures peuvent accueillir 117 personnes.