Devenu conseiller national ce début d’année suite à l’affaire Buttet, Benjamin Roduit, 55 ans, siège à Berne avec encore des histoires plein la tête de ce qu’il appelle « son année différente ». Celle-ci l’aura mené avec sa femme Anne de septembre 2016 à juin 2017 d’abord sur les chemins de St-Jacques de Compostelle, puis à Haïti dans un dispensaire des Sœurs de Mère Teresa. En hiver 2016-2017, le couple s’engage comme bénévoles à l’hospice du Grand St-Bernard. Il se rend enfin au Bénin, en Afrique, avec la Fondation Zedaga pour former des enseignants.
Pour en parler, on refait la route à peaux de phoques jusque vers les chanoines qui restent à l’année à 2'500 mètres d’altitude. Benjamin saisit les lattes et les oriente direction montée. Un couple d’aigles plane au-dessus de nous, tandis que les marmottes, sorties de leur hibernation, s’amusent sur les pentes. Nous nous engageons dans la Combe des Maures. A mi-parcours, il sort de son sac du thé chaud, sa femme propose des ananas séchés du Bénin.
Pourquoi cette pause d’une année? « Après trente ans d’expériences familiales, professionnelles, sociales et politiques, je souhaitais un engagement différent. Donner du temps à des personnes peut-être plus dans le besoin », déclare Benjamin. Au Grand St-Bernard, il dit avoir appris la sérénité, l’acceptation de l’imprévu. Et souligne aussi avoir retrouvé une spiritualité terre-à-terre dans ce coin des Alpes. A l’arrivée devant les murs de l’hospice, il ajoute : « Tout à l’heure, j’avais comme le sentiment d’être accompagné par le Tout Autre, par Celui qui nous pousse à être solidaires. »
La foi indispensable
Le couple dit aujourd’hui avoir découvert une nouvelle disponibilité à l’autre. Et un dépouillement salutaire. Mais le nettoyage des sanitaires a été plus difficile à l’hospice du Grand St-Bernard qu’à Haïti, lance tout de go Benjamin. « Car on y côtoie des gens que l’on connaît. Et j’ai dû expliquer que l’accueil de l’autre commence par des tâches toutes simples comme faire les chambres. »
Le livre qui rend compte de leur périple débute par leur première étape : la marche pour se désencombrer… et apprendre à ne pas encombrer les autres.
De son sac à dos pris pour la journée, et pour les besoins de l’interview, Benjamin Roduit sort un chapelet pour évoquer leur séjour haïtien. « Il m’a été offert par la Mère supérieure de la congrégation des Sœurs de Mère Teresa, qui a dû sentir que je n’étais pas très ouvert à ce genre de prière », dit-il en souriant. Dans les pages qu’il a rédigées, il déclare que dans ce pays, « le cœur et l’esprit ne suffisent pas, la foi est indispensable. Parce que dans des situations extrêmes où l’on ne comprend plus rien, où l'on ne maitrise plus rien, où l’on se sent complètement inutile, il n’y a à mon sens que la foi qui peut nous aider à continuer le chemin. » Et notre homme de témoigner avoir tenu un adolescent de 13 ans qui est mort dans ses bras. « A ce moment-là, la foi, le recours à Dieu, à Celui qui peut tout et qui sait tout, permet d’aller au-delà de toutes les valeurs humaines imaginables. »
Lâcher le lâcher-prise
A leur retour, Anne et Benjamin entendaient préserver le plus longtemps possible ce lâcher-prise avec des idées d’engagements sociaux ou humanitaires. « Voire spirituels », glisse le conseiller national. Il précise que cela l’a même amené à renoncer à sa fonction de directeur d’établissement scolaire, pour reprendre l’enseignement. Et puis la politique l’a rattrapé. « Mon plan n’était pas de m’engager en politique à Berne. » Mais, philosophe, il cite Alexandre Jollien: « Il faut savoir lâcher, même le lâcher-prise ».
Gabrielle Desarzens
1 Une Année différente, A la grâce de Dieu, Benjamin Roduit, Ed. Saint-Augustin, 2018.
(Cet article est paru dans les colonnes de La Liberté)