21 décembre 1943, sur le front russe, une carte à ma femme
Mon amour,
Il est vingt-trois heures passée, je suis seul et j’ai froid. C’est de la folie, ici. Je ne peux pas te décrire ce que je vis, ce que j’endure. Penser à toi me fait presque mal.., et en même temps, je crois que si j’arrêtais de penser à toi, c’est toute ma vie qui s’arrêterait.
Tu es ma seule trace d’humanité qui reste dans mon cœur et mes pensées.
Comment vont les filles ? … j’ai presque oublié que j’étais père…
Dire que dans trois jours, c’est Noël. Günthard, notre lieutenant, nous donnera certainement une bouteille de liqueur, comme l’année passée. Vivre Noël dans ces circonstances n’a pas de sens. C’est révoltant. Je ne crois plus en rien. J’ai la gorge qui se serre.
J’espère que tu recevras cette lettre avant la fin de l’année. Pardonne le goût amer de ces quelques phrases, mais j’avais besoin de t’écrire.
Notre amour est le seul fil de ma vie qui m’apporte encore de l’humanité.
Prends soin de toi. Et des filles.
Vous me manquez
Joyeux Noël
Papa
Alabama, 22 décembre 1968, à la maison, une carte et un dessin sous le sapin
J’ai écrit une lettre pour toi, papa. Je la glisserai sous le sapin. Peut-être que tu pourras la lire depuis là-haut. Je fêterai Noël, papa, parce que tu aimais ça, mais sans toi, c’est pas la même chose.
C’est pas juste. Tu te battais pour les autres, avec des mots. Ils t’ont tiré dessus, avec des armes.
Y a beaucoup de choses que je comprends encore moins bien depuis que tu n’es plus là.
Je t’aime quand même.
Ta fille
Yvorne, 23 décembre 2018, dans mon journal intime
Ça y est, c’est fait ! J’ai fait mes cadeaux ! l’horreur ! C’est la dernière fois que je fais ça. La dernière fois que je fête Noël ! Je le jure !
Quelle folie ! Quel gaspillage de temps, et d’argent ! … pour des cadeaux qui, de toute façon, n’apporteront jamais le bonheur qu’on aimerait tant qu’ils apportent !
Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, c’est clair.
Et j’ai pas envie, en plus, cette année … pas envie de ce grand repas, pas envie de prendre des kilos, pas envie de faire semblant que tout va bien entre nous. Pas envie.
Qu’est-ce que je vais dire à ma belle-mère ? … qu’on ne se parle plus, avec Eric, depuis des mois, ou juste pour se dire des banalités, pour éviter que les enfants souffrent trop de nous voir si éloignés ? Je souffre tellement de cette situation que j’ai l’impression de gâcher une énergie folle rien qu’en évitant d’y penser. J’en peux plus de faire semblant. Ça me gâche tout ; toute ma joie, toute mon énergie. Même plus envie de faire du yoga.
On va où comme ça.
C’est quoi le sens ?
Il nous arrive souvent de penser que, dans certaines circonstances, Noël a perdu son sens. Quand on souffre, quand on se déchire, quand la guerre fait rage au cœur de certains pays, de certaines familles. On se dit que ça n’a plus de sens de fêter Noël. Alors on fait semblant, pour un soir, mais au fond, on trouve qu’il vaudrait peut-être mieux arrêter la comédie.
… comme si fêter Noël requérait une belle ambiance, une famille unie, un monde sans drame.
Le premier Noël n’a pas eu lieu dans un cadre somptueux, autour d’un grand repas pris dans l’harmonie et le calme d’une famille zen. Non ! Il y avait des tensions, il y avait des problèmes … et Jésus est venu quand même.
Noël, c’est Dieu qui vient visiter le monde qu’il aime tant, en la personne d’un nourrisson. Il vient visiter ce monde en vrai, avec ses drames, ses histoires et ses déboires. Dieu n’a pas attendu que ce monde soit en paix pour venir l’habiter.
Il est venu l’habiter justement parce que cette paix manquait.
Il est venu parce que notre monde était en manque. Hier comme aujourd’hui. En manque de pardon, en manque de paix, en manque de réconciliation, de repos, d’amour. En manque de Lui.
Jésus n’est pas venu chercher la paix ici-bas, ni la joie. Il est venu l’apporter ; il est venu la donner.
On croit souvent que ce sont les circonstances de nos vies qui devraient donner sens à Noël. On se trompe. C’est Noël qui donne du sens aux circonstances de nos vies.
Ce n’est pas Noël qui manque de sens à cause de nos vies compliquées ; ce sont nos vies qui manquent de sens à force d’oublier Noël ; nos vies qui manquent de sens à force d’oublier cette nouvelle extraordinaire d’un Dieu aimant qui vient nous visiter, nous rencontrer, en Jésus, nous habiter de son amour, de sa justice et de sa bonté.
Pas besoin d’être en paix pour vivre Noël, non… Mais besoin de vivre Noël pour être en paix.
Yvorne, 24 décembre 2018, dans mon journal intime
Les invités sont repartis, la famille aussi. Finalement, tout ne s’est pas si mal passé.
J’avais besoin de retrouver du sens à cette fête ; j’ai relu les textes des Evangiles qui en parlaient … ça faisait des années - des décennies !- que je n’avais pas relu la Bible. Ça m’a fait un bien fou. Je ne m’y attendais pas.
J’ai passé un bon Noël. J’ai envie de retrouver Eric.
Merci.
Gilles Geiser