Roger Zürcher, vous êtes ingénieur agronome. Pourquoi organisez-vous une telle journée ?
Dans notre société occidentale, on fait face actuellement à plusieurs défis nouveaux. Certains disent même que nous sommes dans une phase de transformation qui équivaut à celle du néolithique et à l’invention de l’agriculture. Il y a des gens qui tentent de trouver une alternative à la façon dont on se nourrit. Plusieurs scientifiques montrent comment nos sociétés vont s’effondrer si on ne change rien. Les adaptations techniques d’amélioration de la production et de réduction de la pollution sont insuffisantes par rapport à l’ampleur des défis. Nous avons besoin de précurseurs, de personnes qui s’engagent pour un changement radical.
Donc vous avez des ambitions importantes pour cette journée…
On s’intéresse à des projets pilotes en agroécologie et dans la manière de cultiver son jardin, tout en sachant que ces projets sont susceptibles de provoquer un basculement. Ce que l’on constate, c’est que des mouvements liés à la transition écologique ou à l’économie solidaire sont assez peu investis par les idées chrétiennes. Dans le milieu évangélique, on vise d’abord la réconciliation avec Dieu, soi et les autres, mais on entend très peu parler de la réconciliation avec la création.
Pour vous, c’est donc l’occasion de valoriser une réconciliation non seulement avec Dieu, mais aussi avec la terre ?
Je trouve important de travailler ensemble avec les différents mouvements de transition écologique qui parlent de réconciliation avec la terre. Mais il ne s’agit pas que de la terre, il ne faut pas oublier la dimension spirituelle. Quelqu’un comme Pierre Rabhi, l’auteur de Vers la sobriété heureuse, le montre bien. Je trouve qu’il faut redécouvrir la richesse de ce qu’enseigne Jésus et les Pères de l’Eglise en ce qui concerne la nature. Quand Jésus dit : « Heureux les non-violents, car ils hériteront la terre » (Matthieu 5.5), pour moi c’est une phrase qui concerne toutes les relations, y compris la façon de cultiver. Les évangéliques ont souvent une vision de l’évangélisation et de la réconciliation avec Dieu très désincarnée. On s’arrête à la réconciliation qui nous concerne nous et peut-être autrui, sans avoir à l’esprit qu’il y a aussi une réconciliation avec la création ou avec la terre. A mon sens, il est temps pour les chrétiens de réfléchir à cela. Certains se sont déjà mis en route et on peut faire appel à leur expérience pour élargir ce qui a démarré à petite échelle.
Quelles sont les organisations qui soutiennent cette journée ?
Il y a Food for The Hungry Suisse (FH), l’ONG pour laquelle je travaille à mi-temps, parce que nous encourageons l’agroécologie et la permaculture dans les pays du Sud où nous sommes impliqués. Il y a aussi l’association Permavie qui promeut en Suisse tant le développement durable que le développement personnel. Plusieurs personnes viendront témoigner de leur expérience : Béat Waber, pionnier du bio en Suisse romande, Eliphaz Essah, qui travaille dans un programme contre la malnutrition dans plusieurs pays d’Afrique, Sylvie Perrin-Amstutz, formatrice en permaculture, et le pasteur Norbert Valley, pionnier dans les milieux évangéliques de l’assistance aux personnes dépendantes et praticien de la permaculture…
Qu’est-ce que les chrétiens peuvent apporter dans le processus de transition écologique que vous appelez de vos vœux ?
La démarche holistique chrétienne, basée sur la relation au Père, vise un nouveau rapport à la terre, mais non une divinisation de celle-ci. Elle vise la co-création avec Dieu de beauté, d’abondance et de partage, en harmonie avec la création.
C’est une approche différente de celle qui a longtemps prévalu, considérant que cette terre est vouée à la destruction selon une certaine lecture de 2 Pierre 3.1-13. A mon avis, il s’agit d’une mauvaise interprétation de la Bible. Comme l’a relevé Dave Bookless dans son livre Dieu, l’écologie et moi (1), la terre va connaître une purification et c’est sur cette planète que l’on va vivre et pas sur une autre. Cette planète doit donc être préservée. Ce qui va être purifié, ce sont des choses qui ne sont pas destinées à durer, mais pas un arbre que j’aurais planté.
Comment vous impliquez-vous dans cette dynamique de transition écologique ?
A titre personnel, je suis plutôt un amoureux des abeilles et je fais cela avec mes ruches. Actuellement, on est obligé d’utiliser des acides pour faire tomber les acariens qui sont sur les abeilles. C’est très interventionniste, mais pour l’instant nous n’avons pas d’alternative pour élever les abeilles domestiques sans ces produits. Nous devons retrouver un équilibre avec la nature, et non voir la production agricole ou l’élevage comme une guerre contre les ravageurs, les mauvaises herbes, les ennemis des cultures, etc. La bonne nouvelle, c’est que c’est possible. Dans de nombreux domaines, on n’a plus besoin de produits chimiques de synthèse toxiques, mais le chemin est encore long pour que la production industrielle, destructrice de l’environnement et de la santé, soit abandonnée.
En permaculture, on propose de ne prendre pour soi qu’un tiers de la récolte. Le deuxième tiers devrait être redistribué et le dernier laissé aux autres êtres vivants… Cela suppose un savoir-faire, une production abondante. En faisant cela, il devrait être possible de vivre sans traiter le dernier parasite dans une extrémité du champ, parce que l’on veut le cent pour cent de la récolte pour soi. Aujourd’hui, avec la production intégrée, même les « non-bios » ne traitent plus à tout va. Il y a un changement de paradigme qui est train de se produire.
Propos recueillis par Serge Carrel
« Se nourrir et se réconcilier avec la terre », lundi 30 avril 2018 de 8h30 à 17h. Lieu : Rovéréaz (Mercy Ships), ch. de la Fauvette 98, Lausanne. Organisation : FH Suisse, StopPauvreté, Mercy Ships, Permavie et Potager à croquer. Prix : 40.-. Inscription : rzurcher (at) fhsuisse.org.
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