Il fait froid, moins 5 degrés. De la Turquie, ils sont des centaines à avoir pris la route de la Grèce, puis de la Macédoine, à avoir traversé l’Albanie, et être remontés le Monténégro, pour se retrouver derrière le mur européen quasi infranchissable en Bosnie. Tous ces migrants viennent de Syrie, du Pakistan, d’Irak ou du Maghreb. Dans les rues de Sarajevo, beaucoup vendent des mouchoirs en papier pour survivre. Danilo Gay, 76 ans, s’arrête auprès d’eux, pose la main sur leurs épaules, discute. « Je devais venir les voir », dit-il simplement. Accompagné de quatre autres Suisses venus se rendre compte de ce que vivent ces hommes, ces femmes, ces enfants sur cette route migratoire, il serre des mains, achète sur place ce qui semble essentiel, là, tout-de-suite, à cette population fragilisée, écoute, partage.
Danilo Gay, qu’est-ce que vous observez ?
Je suis encore en pleine découverte. Mais je suis sous le choc. On est arrivé en train et en bus jusqu’à Tuzla (à une centaine de kilomètres de la capitale ndlr), où les migrants sont de passage et où ils vivent sous des tentes de fortune en plastique. Au lieu d’être misérables, ils nous offrent un grand sourire. Ils ne se rendent pas compte encore de ce qui les attend. A Sarajevo, où l’on est maintenant, c’est différent. Beaucoup ont déjà essayé de passer la frontière au nord et sont revenus meurtris, blessés parce qu’ils se sont heurtés aux gardes-frontières croates. Ils racontent en effet s’être fait frapper, blesser, voler, casser leur téléphone, parfois déshabiller.
Cela provoque quoi chez vous ?
Une humiliation. Une humiliation d’être dans cette Europe. J’ai visité beaucoup de pays pauvres dans ma vie, où j’ai été accueilli, accueilli, accueilli... On tuait la poule, comme on dit. Et dans mon pays qui est l’un des plus riches au monde, qui aurait les moyens d’accueillir beaucoup plus, j’ai honte. Nous avons développé un égoïsme, une assurance de ce que nous avons réussi à faire, mais sur le dos de qui ?
Une des raisons fondamentales pourquoi je suis ici, c’est pour être en contact avec la réalité de notre monde qui est là, sur les routes de la migration. Nous sommes dans un monde qui va migrer de plus en plus et ici, nous touchons la réalité de la souffrance du monde qu’on a souvent produite. Je veux la partager par mon regard, par ma main, par un geste généreux peut-être, au nom de tous ceux qui nous ont aidés à faire ce voyage.
Le migrant, pour vous, c’est qui ?
C’est un homme, c’est une femme, c’est un frère en humanité. Et ils m’apprennent beaucoup. En préparant ce voyage, j’ai médité sur la personne de Jésus. Et je me suis souvenu que lui était devant les foules ému de compassion. Il a souffert avec. Et a accueilli l’autre, l’étranger, celui qui était différent.
Gabrielle Desarzens
L’interview complète de Danilo Gay dans l'émission Babel du 16 février 2020