Les évangéliques : des ennemis de l’Etat en Erythrée

lundi 31 août 2015

Aux yeux du régime dictatorial d’Asmara, les chrétiens indépendants sont des ennemis de l’Etat. Parmi les centaines d’Erythréens qui fuient leur pays et qui se retrouvent en Europe, des évangéliques témoignent avoir tout quitté pour échapper à la mort à cause de leur foi.

La Suisse a connu une forte hausse des demandes d’asile entre avril et juin (+64% par rapport aux trois premiers mois de l’année). Cette hausse s'explique avant tout par l’augmentation du nombre de ressortissants érythréens. En cause : le régime dictatorial d’Asmara, un service militaire sans fin et un manque total de libertés, notamment sur le plan religieux. Toutes les communautés autres que musulmanes, orthodoxe, catholique et luthérienne sont en effet interdites en Erythrée. Les Eglises évangéliques sont dans l’illégalité et, selon l’organisation Portes ouvertes, leurs membres font l’objet de persécutions massives.

Détenu à cause de sa foi

2015-07-16 15.48.14Enoch, 32 ans, et Afom, 42 ans, bible sous le bras, passent ensemble la porte du buffet de la gare à Lausanne. Ils prennent place et racontent l’un après l’autre leur historie. Enoch est de tradition pentecôtiste. Les évènements se sont précipités pour lui dès 2004 : cette année-là, le gouvernement décide la fermeture immédiate de son Eglise évangélique de quelque 1000 membres à Asmara, emprisonne ses pasteurs et anciens, « dont plusieurs sont morts aujourd’hui ». Les fidèles se regroupent en églises de maison. Un soir, des soldats viennent arrêter les 8 membres de son groupe. « Emprisonné au sous-sol, tu ne vois jamais la lumière du jour. Tu n’as pas assez à manger, pas de médicaments, pas de visite. » Il parvient à s’échapper après un an et demi de ce régime, seul, direction le Soudan, d’où il partira par avion sur Bruxelles. Enoch ne s’attarde pas sur les moments particulièrement difficiles de sa fuite. Réfugié en Belgique, il est aujourd’hui l’un des trois pasteurs d’une Eglise pentecôtiste érythréenne d’Anvers. Et s’il est en Suisse, c’est pour visiter son cousin Afom.

En Erythrée, des dizaines de chrétiens issus notamment de mouvements évangéliques sont toujours détenus pour leur foi. Ils peuvent être torturés ou forcés à renoncer à leur identité religieuse. « Si tu renonçais à ta foi évangélique, tu étais libre, témoigne Enoch. Mais je ne l’ai pas fait. J’ai donné ma vie à Jésus. Je veux vivre pour lui. »

Service national à durée indéterminée...

Afom, lui, est de tradition orthodoxe à la base. Il n’a pas souffert pour des questions de pratiques religieuses, même si les membres de l’Eglise orthodoxe peuvent aujourd’hui être inquiétés. Il a fui pour des raisons politiques, explique-t-il, et à cause du service militaire que tout Erythréen est tenu d’accomplir depuis le conflit qui a éclaté en 1998 entre l’Erythrée et l’Ethiopie. Or ce « service national » est de durée illimitée, dans un domaine civil ou militaire. La solde est maigre : elle équivaut à moins de 10 francs par mois ; et le lieu de service est déterminé par les autorités. « Après quatre ans, je n’avais eu que peu de jours de repos, indique Afom. Je n’avais même pas pu me rendre à l’enterrement de mon père. Alors, j’ai décidé de déserter et j’ai dû fuir le pays. » Ce sera aussi via le Soudan, où il réside trois ans, puis la Libye, la Méditerranée... et l’Italie. « A Tripoli, j’ai eu une vision. Moi qui ne connaissais pas Dieu, j’ai su que Jésus était avec moi et qu’il pourvoirait à toute chose pour la suite de mon voyage. J’ai alors été rempli de joie et d’une grande paix. » C’est aussi dans la capitale libyenne qu’il fait la connaissance de celle qui deviendra sa femme et qui lui donne sa première bible en langue tigrigna. C’est celle qu’il a prise d’ailleurs avec lui pour ce rendez-vous. Il la feuillette pour s’arrêter sur Jean 14 au verset 6 : « Jésus lui dit : Je suis le chemin, la vérité et la vie. » Un verset qu’il a vécu dans sa chair et qui continue de le guider, lui qui est aujourd’hui l’un des deux pasteurs d’une petite communauté évangélique érythréenne à Yverdon-les-Bains.

Régime dictatorial

Plusieurs membres des familles d’Enoch et d’Afom sont toujours au pays. « Les chrétiens qui veulent suivre Jésus-Christ en Erythrée ont beaucoup de problèmes. Priez pour eux », lance Afom. « Les prisons, c’est une chose ; mais beaucoup sont enfermés dans des containers, en plein soleil, dans des conditions vraiment difficiles », lui fait écho Enoch, en demandant aussi de prier pour leurs autorités.

Depuis la proclamation de l’indépendance, en 1993, l’Erythrée est dirigée par Issaia Afeworki et son Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ), qui est un parti unique. Quiconque émet des critiques à l’encontre du gouvernement est généralement placé en détention sans être jugé. Des spécialistes décrivent le pays comme une prison à ciel ouvert.

Gabrielle Desarzens

 

  • Encadré 1:

    Brkti : « J’ai cherché Dieu »

    2015-07-17 11.00.01Trois bougies sont allumées sur la table basse du salon de Brkti, 40 ans, à Villars-sur-Glâne (FR). Le café est servi. Hélène Suter de l’Eglise évangélique de Bourguillon (FREE) est entrée en contact avec cette Erythréenne par l’organisation fribourgeoise « Espace Femmes », qui propose aux intéressées des duos pour aider les femmes migrantes à s’intégrer dans la société suisse. « J’ai appris à connaître une femme qui est devenue une amie. Une femme au parcours éprouvant, qui fait confiance de façon pratique et profonde à Dieu, dit-elle. Et je vois Dieu agir dans sa vie : c’est un témoignage extraordinaire ! »

    Hélène boit par erreur dans la tasse de son amie, elles rient... Puis Brkti raconte. Elle a quitté son pays en 2005, avec ses deux enfants de un et cinq ans. Elle ne pouvait plus se résoudre à vivre seule, sans argent, sans mari qui est à l’armée et qu’elle ne voit plus depuis cinq ans. Sans savoir exactement où planifier son avenir, elle vend tout et se rend au Soudan. Puis en Libye, où elle fait trois mois de prison avec ses enfants, suite à une tentative avortée de départ en mer. Deuxième tentative : dans une barque en bois avec 25 personnes à bord, elle survit à la traversée de trois jours sur la Grande bleue... Après l’Italie, elle arrive en Suisse, à Bâle. Elle reçoit une bible d’une bénévole suisse dans un centre pour demandeurs d’asile. « J’ai cherché Dieu. Je voulais le connaître », déclare-t-elle simplement. Brkti est rayonnante.

    Son mari a pu rejoindre la Suisse deux ans après son arrivée. Ils se rendent aujourd’hui en famille dans une Eglise de Réveil, et aussi dans une communauté érythréenne, où ils célèbrent le culte et lisent la Bible en langue tigrigna.

  • Encadré 2:

    Racket gouvernemental

    La Suisse compte près de 20'000 Erythréens. Une longue enquête intitulée « La main lourde du régime érythréen en Suisse » a été publiée en décembre dernier par la NZZ am Sonntag. Elle détaille les pressions exercées par le régime totalitaire sur ses ressortissants en Suisse. Le Consulat général d'Erythrée imposerait ainsi une taxe de 2% sur les revenus de certains de ses ressortissants, et ce, parfois, en usant de violence ou de chantage, révèle le journal dominical. Selon un témoin anonyme cité par l'hebdomadaire, toute demande de documents au consulat nécessiterait le paiement de cette taxe. Le fruit de cette imposition transiterait ensuite vers le régime par un compte UBS à Zurich. Cela explique la grande retenue de certains Erythréens à prendre la parole. Afom et Brkti confirment avoir entendu parler de ce genre de pratique, mais ne pas y être soumis personnellement.

  • Encadré 3:

    Un livre de Helen Berhane

    Helen Berhane a passé 30 mois enfermée dans un conteneur étouffant. Elle a subi la torture. Son crime? Avoir parlé de sa foi en Jésus-Christ et refusé de le renier. Son pays, l'Erythrée, ne pouvait l'accepter.

    Helen Berhane, Le chant du Rossignol, Romanel-sur-Lausanne, Ourania, 2011, 184 p.

Publicité
  • Surmonter les abus au fil d’un conte

    Surmonter les abus au fil d’un conte

    Il était une fois… une enfant abusée, dont les larmes sont recueillies par une grenouille qui l’accompagne jusqu’au Roi d’un royaume fabuleux. Dans cette histoire, la psychologue Priscille Hunziker parle de la prise en compte de la souffrance. « Le voyage que fait la petite Emmy, c’est la métaphore d’un accompagnement psycho-spirituel », dit-elle mercredi 6 avril. Rencontre.

    jeudi 07 avril 2022
  • Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Noël, ou devenir des sauveurs sur les pas de Jésus

    Au Liban, les habitants vivent l’intensité de la vie face à l’intensité de la mort, selon les mots du théologien et prêtre maronite Fadi Daou rencontré à Genève. Il invite notamment ses concitoyens à devenir des sauveurs… sur les pas de Jésus.

    mardi 21 décembre 2021
  • Noël, ou sortir de nos jugements

    Noël, ou sortir de nos jugements

    Thierry Lenoir est aumônier à 100% à la clinique de La Lignière à Gland. Cet ancien pasteur adventiste parle de l’esprit de Noël en termes de jugements moraux, sociaux et religieux à mettre de côté. Une réflexion qu’il partage dans l’émission Hautes Fréquences diffusée dimanche 19 décembre à 19 heures sur RTS La Première.

    mercredi 15 décembre 2021
  • « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    « Votre couple a 2, 10, 30 ans au compteur ? Prenez-en soin ! »

    On investit dans nos carrières professionnelles, dans nos maisons… mais pas assez dans notre couple. C’est le constat que dressent Marc et Christine Gallay, le couple pastoral de l’église évangélique (FREE) de Lonay. Qui pratique avec bonheur une méthode dite « Imago », qui met la cellule de base créée par Dieu à l’honneur. Rencontre.

    lundi 01 novembre 2021
  • « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    « J’ai été un bébé volé du Sri Lanka »

    Il y a quelques années, un trafic d’enfants proposés à l’adoption à des couples suisses secouait l’actualité. Sélina Imhoff, 38 ans, pasteure dans l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin, en a été victime. Elle témoigne avoir appris à accepter et à avancer, avec ses fissures, par la foi. Et se sentir proche du Christ né, comme elle, dans des conditions indignes. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

  • Des choix porteurs de vie

    Des choix porteurs de vie

    Abandonner la voiture et emménager dans une coopérative d’habitation ?... Deux couples de l’Eglise évangélique (FREE) de Meyrin ont fait ces choix qu’ils estiment porteurs de vie. « Le rythme plus lent du vélo a vraiment du sens pour moi », témoigne Thiéry Terraz, qui travaille pour l’antenne genevoise de Jeunesse en mission. « Je trouve dans le partage avec mes voisins ce que je veux vivre dans ma foi », lui fait écho Lorraine Félix, enseignante. Rencontres croisées. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

    vendredi 22 septembre 2023
  • Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian, une flamme d’espoir à Arusha

    Vivian symbolise l’espoir pour tous ceux que la vie malmène. Aujourd’hui, cette trentenaire tanzanienne collabore comme assistante de direction au siège de Compassion à Arusha, en Tanzanie. Mais son parcours de vie avait bien mal débuté… Nous avons rencontré Vivian au bureau suisse de l’ONG à Yverdon, lors de sa visite en mars dernier. Témoignage.

    jeudi 15 juin 2023
  • « Auras-tu été toi ? »

    « Auras-tu été toi ? »

    Elle puise dans le judaïsme de quoi nourrir sa foi chrétienne. La théologienne et pasteure Francine Carrillo écoute, calligraphie et fait parler les lettres hébraïques qui, selon elle et avec toute la tradition juive, sont porteuses de sens et d’espérance. Rencontre.

    lundi 20 juin 2022

eglisesfree.ch

  • Un·e responsable des finances (10%)

    Lun 29 janvier 2024

    Plus grande fédération d’Eglises évangéliques en Suisse romande, la FREE offre un cadre de travail dynamique et défiant, en lien étroit avec les autres acteurs du milieu chrétien évangélique romand, suisse et international. Dans ce cadre, la FREE recherche un·e responsable des finances.

  • Rencontre générale : une fédération utile

    Mer 29 novembre 2023

    La Rencontre générale du 25 novembre 2023 a permis de remercier Stéphane Bossel pour 23 ans d’engagements divers et importants dans la FREE. Elle a aussi permis à l’équipe de direction de partager quelques priorités, notamment le sens, les valeurs et la plus-value que la FREE peut offrir aux Eglises.

  • Rencontre générale de la FREE : l’équipe de direction souffle sa première bougie

    Sam 08 avril 2023

    La Rencontre générale de la FREE, qui a eu lieu le 1er avril 2023 à Aigle, a permis à la nouvelle équipe de direction de dresser un bilan, après tout juste une année de fonctionnement. Et ce qui saute aux yeux, c’est le grand nombre des défis à relever.

  • FREE : une première « Journée stratégique »

    Ven 03 février 2023

    Les personnes qui exercent un rôle dans la FREE se sont réunies en janvier pour réfléchir à la mise en œuvre de la nouvelle « gouvernance à autorité distribuée » (1). Retour sur une « Journée stratégique » conviviale et studieuse.

LAFREE.INFO

  • Ballens : Le départ à la retraite de Jean-Pierre et Brigitte Junod dignement fêté

    Jeu 28 mars 2024

    Le couple Junod a implanté pas moins de cinq communautés évangéliques, dont deux Eglises rattachées aujourd'hui à la FREE: l’Eglise «La Rencontre» à Vallorbe et L’Eglise «En Chemin» à Ballens. Le 24 mars, c’est entre joie et tristesse que la jeune communauté de Ballens a laissé partir à la retraite Jean-Pierre et Brigitte. Une centaine de personnes étaient venues les entourer.

  • The Chosen, à Pâques, sur C8

    Jeu 28 mars 2024

    A l’occasion de Pâques, la chaîne de télévision française C8 (Canal 8) diffuse le début de la saison 4 de la série The Chosen, consacrée à la vie de Jésus.

  • Je veux m’en aller

    Mer 27 mars 2024

    A l’image de Jésus-Christ, il est bon que nous ayons conscience de la brièveté de notre vie. De même, il est important que nous ayons confiance en Dieu qui choisit, avec sagesse, le moment de notre départ.

  • Que faisons-nous du temps qui passe ? Que fait de nous le temps qui passe ?

    Ven 22 mars 2024

    Nous sommes invités à vivre le « déjà » du « Tout est accompli » à Golgotha, et le « pas encore » du « Oui, je viens bientôt ! ». Cet éclairage nous suggère deux questions : « Que faisons-nous du temps qui passe ? Que fait de nous le temps qui passe ? » Vigilance et persévérance dans une fidélité vivante et libre. [Cet article a d'abord été publié dans Vivre (www.vivre.ch), le journal de la Fédération romande d'Eglises évangéliques.]

Instagram

Suivez-nous sur les réseaux sociaux !