La Suisse a connu une forte hausse des demandes d’asile entre avril et juin (+64% par rapport aux trois premiers mois de l’année). Cette hausse s'explique avant tout par l’augmentation du nombre de ressortissants érythréens. En cause : le régime dictatorial d’Asmara, un service militaire sans fin et un manque total de libertés, notamment sur le plan religieux. Toutes les communautés autres que musulmanes, orthodoxe, catholique et luthérienne sont en effet interdites en Erythrée. Les Eglises évangéliques sont dans l’illégalité et, selon l’organisation Portes ouvertes, leurs membres font l’objet de persécutions massives.
Détenu à cause de sa foi
Enoch, 32 ans, et Afom, 42 ans, bible sous le bras, passent ensemble la porte du buffet de la gare à Lausanne. Ils prennent place et racontent l’un après l’autre leur historie. Enoch est de tradition pentecôtiste. Les évènements se sont précipités pour lui dès 2004 : cette année-là, le gouvernement décide la fermeture immédiate de son Eglise évangélique de quelque 1000 membres à Asmara, emprisonne ses pasteurs et anciens, « dont plusieurs sont morts aujourd’hui ». Les fidèles se regroupent en églises de maison. Un soir, des soldats viennent arrêter les 8 membres de son groupe. « Emprisonné au sous-sol, tu ne vois jamais la lumière du jour. Tu n’as pas assez à manger, pas de médicaments, pas de visite. » Il parvient à s’échapper après un an et demi de ce régime, seul, direction le Soudan, d’où il partira par avion sur Bruxelles. Enoch ne s’attarde pas sur les moments particulièrement difficiles de sa fuite. Réfugié en Belgique, il est aujourd’hui l’un des trois pasteurs d’une Eglise pentecôtiste érythréenne d’Anvers. Et s’il est en Suisse, c’est pour visiter son cousin Afom.
En Erythrée, des dizaines de chrétiens issus notamment de mouvements évangéliques sont toujours détenus pour leur foi. Ils peuvent être torturés ou forcés à renoncer à leur identité religieuse. « Si tu renonçais à ta foi évangélique, tu étais libre, témoigne Enoch. Mais je ne l’ai pas fait. J’ai donné ma vie à Jésus. Je veux vivre pour lui. »
Service national à durée indéterminée...
Afom, lui, est de tradition orthodoxe à la base. Il n’a pas souffert pour des questions de pratiques religieuses, même si les membres de l’Eglise orthodoxe peuvent aujourd’hui être inquiétés. Il a fui pour des raisons politiques, explique-t-il, et à cause du service militaire que tout Erythréen est tenu d’accomplir depuis le conflit qui a éclaté en 1998 entre l’Erythrée et l’Ethiopie. Or ce « service national » est de durée illimitée, dans un domaine civil ou militaire. La solde est maigre : elle équivaut à moins de 10 francs par mois ; et le lieu de service est déterminé par les autorités. « Après quatre ans, je n’avais eu que peu de jours de repos, indique Afom. Je n’avais même pas pu me rendre à l’enterrement de mon père. Alors, j’ai décidé de déserter et j’ai dû fuir le pays. » Ce sera aussi via le Soudan, où il réside trois ans, puis la Libye, la Méditerranée... et l’Italie. « A Tripoli, j’ai eu une vision. Moi qui ne connaissais pas Dieu, j’ai su que Jésus était avec moi et qu’il pourvoirait à toute chose pour la suite de mon voyage. J’ai alors été rempli de joie et d’une grande paix. » C’est aussi dans la capitale libyenne qu’il fait la connaissance de celle qui deviendra sa femme et qui lui donne sa première bible en langue tigrigna. C’est celle qu’il a prise d’ailleurs avec lui pour ce rendez-vous. Il la feuillette pour s’arrêter sur Jean 14 au verset 6 : « Jésus lui dit : Je suis le chemin, la vérité et la vie. » Un verset qu’il a vécu dans sa chair et qui continue de le guider, lui qui est aujourd’hui l’un des deux pasteurs d’une petite communauté évangélique érythréenne à Yverdon-les-Bains.
Régime dictatorial
Plusieurs membres des familles d’Enoch et d’Afom sont toujours au pays. « Les chrétiens qui veulent suivre Jésus-Christ en Erythrée ont beaucoup de problèmes. Priez pour eux », lance Afom. « Les prisons, c’est une chose ; mais beaucoup sont enfermés dans des containers, en plein soleil, dans des conditions vraiment difficiles », lui fait écho Enoch, en demandant aussi de prier pour leurs autorités.
Depuis la proclamation de l’indépendance, en 1993, l’Erythrée est dirigée par Issaia Afeworki et son Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ), qui est un parti unique. Quiconque émet des critiques à l’encontre du gouvernement est généralement placé en détention sans être jugé. Des spécialistes décrivent le pays comme une prison à ciel ouvert.
Gabrielle Desarzens